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Le Grand Maître de la GLDF répond à Eric Zemmour

Alain-Noël Dubart adresse à Eric Zemmour ses réflexions personnelles, en réaction à l’article de ce dernier paru dans le Figaro magazine du 24 avril.

Dans son article « Les habits neufs de la Franc-maçonnerie », Eric Zemmour dresse une brève rétrospective des relations de la Franc-maçonnerie et de la politique…

…Il y évoque l’influence en baisse des Francs-maçons sur la politique, l’affairisme, la bonne santé de la maçonnerie française malgré cela, et conclut sur ce point de vue : chacun n’entrerait plus en maçonnerie aujourd’hui que pour une raison précise (quête ésotérique, appuis pour son « business », rites d’initiation) et en ressortirait une fois la réponse trouvée, comparant la franc-maçonnerie actuelle à une auberge espagnole.

Alain-Noël Dubart, Grand Maître de la Grande Loge de France, fait part à M. Zemmour de ses réflexions personnelles en réaction à cet article.

Cher Monsieur,

Je ne suis pas un lecteur régulier du Figaro Magazine et je viens seulement de recevoir de la part d’un de mes Frères l’article que vous avez écrit dans le Figaro Magazine du 24 avril 2010.

Je l’ai lu avec attention et il me semble nécessaire de vous faire part de quelques réflexions tout à fait personnelles.

Le tableau que vous brossez, sur le plan historique, de la franc-maçonnerie française et de son influence sur la vie politique de notre pays n’est pas inexact, tant sans faut, mais mériterait peut-être un certain nombre de développements ou d’explications qui sont, je le reconnais, difficiles d’apporter dans un article du magazine.

Par contre le tableau que vous brossez de l’état de la franc-maçonnerie moderne notamment à partir de la Ve République me semble très partiel et, à vrai dire, fort partial.

Dire en particulier que le rôle historique de la franc-maçonnerie s’est achevé en 1967 avec les lois Lucien Neuwirth sur la contraception me semble témoigner d’une méconnaissance assez grande de l’évolution de la franc-maçonnerie moderne.

Ramener celle-ci à une crise affairiste dont vous sous-entendez qu’elle est généralisée à toute la franc-maçonnerie, alors qu’elle n’a intéressé que des obédiences bien précises, m’apparaît extrêmement réducteur ; la généralisation des affaires, touchant quelques uns, à l’ensemble des francs-maçons de France relève plus de l’amalgame que de la vérité intellectuelle.

Confondre le progressisme en lutte contre le conservatisme, et la réaction, avec la volonté de progrès et de perfectionnement individuel véhiculée par la franc-maçonnerie, et en tout cas par celle pratiquée à la Grande Loge de France, me semble également relever de la méconnaissance de la réalité maçonnique.

Que la laïcité et l’égalité restent des valeurs cardinales pour l’ensemble des francs-maçons, Sœurs ou Frères, est une évidence, mais ce ne sont pas les seules valeurs cardinales, et l’immense majorité des Frères de la Grande Loge de France, en tout cas, ont une vision beaucoup plus large de leur perfectionnement personnel et s’intéressent en outre, et ce de manière non limitative, à une réflexion éthique sur leur vie de citoyen et sur leur implication dans la société et, en général, à promouvoir une réflexion humaniste et une démarche concrète qui en découlent.

J’avoue ne pas avoir compris l’opposition que vous faites entre le politiquement correct venu des Etats-Unis, qui serait à l’opposé des valeurs rationalistes des Lumières : ce que je peux vous dire c’est que la franc-maçonnerie s’est développée, pour une large partie, dans les traces de « l’idéologie » des Lumières du XVIIIe siècle, mais qu’elle véhicule en son sein une réflexion spirituelle qui est bien plus ancienne et qui, à travers l’explosion intellectuelle de la Renaissance, a retrouvé ses sources dans la pensée hébraïque en ce qui concerne la loi et la justice, et dans la pensée grecque en ce qui concerne la philosophie et la nécessaire séparation entre ce qui est philosophique et scientifique d’une part, et ce qui est religieux d’autre part.

Il n’y a là à mon sens absolument rien de ringard car cette séparation est toujours aussi nécessaire à l’heure où, manifestement, des communautarismes de tous bords fondés sur des intégrismes religieux, se manifestent dans notre société.

Quant à penser que ceux qui rentrent en franc-maçonnerie n’y viennent trouver que ce qu’ils étaient venus chercher, cela existe sans doute mais m’apparaît fort marginal, car ceux qui sont rentrés en franc-maçonnerie pour cela, la quittent très rapidement.

Par contre tous ceux qui suivent la quête initiatique dans son ensemble et dans sa totalité, c’est-à-dire de manière progressive et dans le temps – ce qui demande plusieurs dizaines d’années – y trouvent, je l’espère du moins, autre chose qu’une auberge espagnole mais bien au contraire une structure parfaitement Traditionnelle, c’est-à-dire résolument tournée vers l’avenir, où la quête du sens à donner à sa vie et la recherche de ce qui peut exister de sacré dans l’existence – en dehors de toute implication religieuse – restent fondamentales.

Voilà les quelques réflexions que m’inspire votre article qui mériterait sans doute une discussion plus approfondie.

Restant à votre écoute, je vous prie de croire, Cher Monsieur, à l’expression de mes sentiments distingués.

A.S.: