Demandez le programme s’intéresse à l’histoire fascinante mais méconnue de Joseph Bologne, le Chevalier de Saint-George, à la fois compositeur, musicien et escrimeur. David Abiker revient sur le parcours de cet homme, jalonné d’embûches et au destin exceptionnel sous les règnes de Louis XV et de Louis XVI.
Source : « Un homme d’exception » : Découvrez l’histoire méconnue du Mozart noir, le Chevalier de Saint-George – David Abiker – Radio Classique
C’est l’histoire d’un musicien français totalement méconnu, injustement méconnu, le Chevalier de Saint-George. Mis à l’honneur dans un film réalisé par Stephen Williams et dont la date de sortie dans les salles françaises n’a pas encore été divulguée, Chevalier retrace l’incroyable destin de celui qu’on appellera plus tard le « Mozart noir », né à la Guadeloupe un 25 décembre 1739, 50 ans avant la Révolution française.
Joseph Bologne est un « mulâtre » qui bénéficie d’une bonne éducation
Fils illégitime de Guillaume Pierre Tavernier de Boullongne et de sa servante Nanon, Joseph a 10 ans quand son père rentre à Paris. L’enfant est ce qu’on appelle un « mulâtre » mais son éducation est confiée aux meilleurs précepteurs.
On lui enseigne l’escrime, la littérature, l’équitation. Beau garçon, grand, Joseph s’impose vite comme l’un des meilleurs escrimeurs de son temps. Mieux, le Paris insouciant de l’aristocratie se l’arrache. Mais Joseph n’est pas qu’un bel homme bien fait ; son éducation musicale a été confiée à Jean-Marie Leclair, le meilleur violoniste du royaume. Voilà Saint-George bientôt nommé par François Joseph Gossec premier violon du Concert des amateurs.
De l’escrime à la musique classique
En 1771, alors âgé de 32 ans, Joseph se lance, enfin, dans la composition. Dans le Paris pré-révolutionnaire en tant que métis, il n’est pas aisé de se construire un destin exceptionnel. En 1769, Saint-George prend le poste de premier violon dans l’orchestre du Concert des amateurs, sous la direction du concert spirituel Gossec et qui en fait l’une des meilleures formations de Paris.
Joseph devient une personnalité, ce qu’on appellerait aujourd’hui un people : la rumeur lui prête une foule d’aventures galantes qui s’accompagne d’un racisme qui voit Métra, poète et échotier de l’époque, régaler la chronique des ragots et des plaisanteries en dessous de la ceinture. Et si tant est que le beau métis ait du talent, disent les plus aigris, c’est qu’il imite les blancs.
Le Chevalier de Saint-George a bénéficié de la protection de Marie-Antoinette
De ces préjugés, la reine Marie-Antoinette n’a que faire. Dans le film Marie-Antoinette de Sofia Coppola, le chevalier de Saint-George est présenté comme le professeur de musique de la reine. Il apparaît à ses côtés, au clavecin.
En 1776, alors âgé de 37 ans, l’almanach musical lui décerne le satisfecit de « meilleur orchestre pour les symphonies qu’il y ait à Paris et peut-être dans l’Europe ». C’est un fait : les concertos pour violon du Chevalier attirent les foules à l’hôtel de Soubise.
Joseph, Chevalier de Saint-George a du succès, beaucoup de succès. Il est même à la mode et Louis XVI le nomme directeur de l’Opéra royal, poste jadis occupé par le grand Lully. Et c’est un scandale. Quelques divas refusent de jouer sous les ordres d’un homme à la peau noire. Parmi elles, Sophie Arnoud, une chanteuse sans voix, et la fameuse « Guimard », la danseuse immortalisée par Fragonard qui approchait déjà l’âge de raccrocher les ballerines. Louis XVI recule : ce ne sera pas la dernière fois que le roi n’assume pas une décision.
Mozart était contrarié par le succès du Chevalier de Saint-George
En dépit de l’opéra royal, Joseph aura la direction du théâtre de la marquise de Montesson, épouse du duc d’Orléans. La branche cadette des Bourbons adopte le chevalier. Mieux, Louis-Philippe de Chartres le fait initier en franc-maçonnerie, comme Mozart.
Nous sommes en 1778 : Saint George est le premier franc-maçon français à la peau noire. Cette année là, un autre musicien célèbre est de passage à Paris. Si Saint-George a du succès et gagne suffisamment d’argent, Mozart, lui, apprécie peu son séjour français.
Pire, il refuse absolument d’aller au Concert des amateurs. Et ce malgré les conseils de Léopold, son père. Mozart est semble-t-il jaloux du Chevalier de Saint-George a qui tout réussi. En témoigne sa Sonate pour Piano n°8 composée à l’occasion de son séjour à Paris et loin d’être la plus gaie que Wolfgang ait composée.
Joseph de Bologne rejoint les francs-maçons
Les grands mécènes sont en manque d’argent et le Concert des amateurs doit fermer ses portes. Qu’à cela ne tienne, Saint-George crée une nouvelle formation qui vivra de ses recettes et d’égalité. Elle est organisée sous la forme d’une loge maçonnique, dans laquelle règne la fraternité.
L’orchestre prend pour nom « L’Olympique de la parfaite estime ». Tous les musiciens sont donc francs-maçons (une soixantaine de musiciens et 11 voix, ce qui, pour l’époque, est original). Chacun y porte le même uniforme : habit brodé avec manchettes en dentelle, épée au côté et chapeau à plumes. Qu’on soit nombre ou roturier, tout le monde est traité sur un pied d’égalité.
« L’Olympique de la parfaite estime » a une auditrice de choix, Marie-Antoinette, qui fait souvent le déplacement. La reine assistera même au premier opéra du Chevalier, Ernestine, dont le livret est d’un certain Choderlos de Laclos, l’auteur des Liaisons Dangereuses.
Saint Georges est un mondain qui a tous les talents. L’homme a du goût et reconnaît le génie d’un Haydn auquel il commande 7 symphonies parisiennes au prix de 25 louis d’or par symphonie, plus 5 louis pour les droits de publication. Joseph en dirigera la création, une fois de plus devant la reine, qui se prend vite de passion pour l’une de ces symphonies, laquelle s’appellera bientôt La Symphonie de la reine.
Le Chevalier de Saint-George fut le premier colonel à la peau noire en France
Le protecteur de Saint-George l’emmène à Londres, nous sommes à la fin des années 1780. Là-bas, Saint-George devient l’ami du Prince de Galles qui lui présente le chevalier d’Eon de Beaumont. Joseph a un talent en commun avec le Chevalier d’Eon : tous les deux sont des fines lames. Autre point commun, et non des moindres, tous deux ont une identité particulière à cette époque.
Joseph est métis, autant dire noir pour le commun de ses contemporains, et le Chevalier d’Eon cultive l’ambiguïté sur son genre. Ce personnage a le goût du travestissement et s’en est servi pour des activités d’espionnage. Mieux, il passe la moitié de sa vie en chevalière et l’autre en chevalier. Et le 9 avril 1787, un duel a lieu entre la chevalière transgenre et le chevalier métis. Le personne de la chevalière d’Eon inspirera même un second opéra à Saint-George, mais la partition s’est perdue.
Robespierre fait emprisonner Saint-George
Joseph retourne en France en 1790. Il s’engage alors dans la Garde nationale : il devient le premier colonel à la peau noire de l’histoire de France. Il crée même un régiment noir et métis surnommé la « légion Saint-George » qui compte dans ses rangs le père d’Alexandre Dumas.
Cela n’empêche pas Robespierre de faire emprisonner Saint-George, qui passe 11 mois en cellule, avant d’échapper de justesse à la guillotine. Sitôt libéré, il embarque pour Haïti, où il aide Toussaint Louverture dans sa guerre pour l’indépendance. Il revient à Paris et cette fois prend la direction de l’Orchestre du Palais Royal.
Il renoue avec le succès et les Parisiens. Malheureusement, le 9 juin 1799, le chevalier de Saint-George meurt seul et pauvre. Mais quelle vie pour ce métis aux multiples talents ! 60 années de musique, de joutes, d’amours, de rencontres et d’aventures.
Saint-George est mort deux fois : une fois en 1799 et une autre en 1802 quand le rétablissement du code noir par Napoléon fait tomber son œuvre dans l’oubli. Depuis, il n’appartient qu’aux femmes et aux hommes de bonne volonté de faire renaître cet homme d’exception.
David Abiker
C’était aussi un excellent cavalier.Il mérite largement que l’on joue ses oeuvres musicales et que justice soit rendue à son talent.