Philippe Meirieu aborde briévement et de façon neutre les reseaux francs-maçons en France ….Mais l’intérêt de l’article réside dans la vision de l’auteur sur la société française et l’éducation.
Philippe Meirieu, né le 29 novembre 1949 à Alès, est un chercheur et écrivain français, spécialiste en sciences de l’éducation et en pédagogie inspirateur de réformes pédagogiques . Il occupe actuellement les fonctions de professeur en sciences de l’éducation à l’Université Lumière-Lyon 2 où il enseigne à l’Institut des sciences et pratiques d’éducation et de formation (ISPEF).
Source : http://www.capital.fr/carriere/interviews/avant-les-hommes-de-pouvoir-avaient-des-disciples-aujourd-hui-ils-favorisent-leur-progeniture-445792
Les velléités de Jean Sarkozy, fils du président de la République, de prendre la tête du quartier d’affaires de la Défense ont fait couler beaucoup d’encre et suscité l’indignation populaire. Pourtant l’ensemble des Français ont admis le parrainage comme un vecteur efficace d’ascension sociale. Entretien avec Philippe Mérieu, chercheur, écrivain et professeur en sciences de l’éducation à l’Université Lumière-Lyon 2.
Capital.fr: En déclarant sa candidature à la présidence de l’Epad, Jean Sarkozy a provoqué un tollé dans l’opinion publique. Quelle est votre vision de cette affaire?
Philippe Mérieu: Je n’ai pas de jugement sur le cas Sarkozy ni celui de la fille de José Bové. Si on ne peut admettre le favoritisme, on ne peut pas supporter non plus que pèse une présomption d’incompétence sur les héritiers. Etre fils de ne doit être ni un avantage ni un inconvénient. Le problème de l’affaire Sarkozy, c’est qu’elle a conduit des millions de personnes à penser qu’il faut être le fils du président de la République pour réussir à 23 ans.
Capital.fr: D’après de récentes études, les Français semblent pourtant avoir admis depuis longtemps le piston comme un moyen de trouver un emploi ou de réussir plus rapidement ?
Philippe Mérieu: Les Français sont dans un mode de fonctionnement contre nature, ils désavouent publiquement le piston mais y font systématiquement appel. Et il y a plusieurs formes de piston. S’il permet à une personne incompétente d’obtenir un poste, il est évidement condamnable. Mais si le candidat a les qualités requises, on peut bien sur le regretter mais pas tout à fait le condamner. Ce qui est réellement dérangeant avec le piston, c’est qu’il est le symptôme d’un grave dysfonctionnement de la société, le signe d’un échec de la promotion sociale par le mérite, d’un raté dans la mobilité républicaine. Et tout le monde, quelle que soit la couche sociale, a intégré l’idée que ce n’est pas le mérite mais les appuis qui aident à réussir.
Capital.fr: Comment expliquer cette dérive? Est-ce typiquement français?
Philippe Mérieu: Ce n’est pas typiquement français, mais la société française s’est tout de même plus ghettoïsée que les pays anglo-saxons, l’Italie ou l’Espagne. Les réseaux comme la Franc-maçonnerie par exemple y ont toujours été plus implantés qu’ailleurs. Ce n’est pas forcément négatif, on doit aux Francs Maçons de grandes avancées comme l’adoption de la pilule contraceptive par exemple. Mais les réseaux deviennent de plus en plus imperméables. Il est très difficile d’en faire partie et même de passer d’une caste à l’autre. Il n’y a que la cooptation qui fonctionne.
Capital.fr: Le piston n’est pourtant pas un phénomène nouveau…
Philippe Mérieu: Ce n’est pas nouveau mais la situation s’aggrave et cela décourage les jeunes. Le phénomène est aussi générationnel. Autrefois, les hommes de pensées et de pouvoirs se cherchaient des disciples. Les Sartres et Camus avaient des élèves, ils n’ont jamais favorisé leur parenté proche. Aujourd’hui le pouvoir est concentré dans les mains de la génération du baby-boom. Les soixante-huitards tout puissants peinent à passer le relai. Ils ont bloqué l’arrivée des autres, et comme ils n’ont pas de disciples et promeuvent leur progéniture. Quand il n’y a plus de filiation intellectuelle, il ne reste que la filiation clanique
Capital.fr: Peut-on réhabiliter la méritocratie?
Philippe Mérieu: Certains dispositifs vont dans le bon sens comme la Valorisation des acquis de l’expérience (ndlr: elle permet de faire valider un savoir faire acquis en travaillant par un diplôme), mais elle est difficile à mettre en oeuvre: elle coûte cher et les universités n’y mettent pas du leur. Elles trouvent dévalorisant de donner des diplômes à des personnes qui n’ont pas suivi la formation traditionnelle. La formation continue est aussi une bonne idée, mais là encore elle ne bénéficie qu’aux personnes qui possèdent déjà un bon bagage.
Propos recueillis par Anne-Hélène Pommier