Il a été publié le 15 octobre 2017 sur le site d’information « Slate.fr » :
Alors que la franc-maçonnerie fête cette année ses 300 ans, sites conspirationnistes et réseaux sociaux témoignent d’une haine toujours vivace.On ne compte plus les thèses loufoques en vogue expliquant le monde par l’existence de complots ou de plans cachés de minorités influentes… Le sociologue Gérald Bronner a bien décrit l’impact d’internet sur l’essor et le renouvellement incessant des théories parfois les plus fommes (des gens croient par exemple à un complot «reptilien»…). Le journaliste Thomas Huchon s’était quant à lui intéressé à un complot bien réel, celui contre Salvador Allende en 1973 au Chili, avant de travailler à un documentaire-piège ainsi présenté par Spicee :
«Le Sida a été inventé par les États-Unis pour combattre la révolution castriste à Cuba dans les années 1960. Voilà pourquoi, les Américains ont imposé un blocus à l’île. Et si aujourd’hui, la situation se détend, c’est parce que les Cubains sont en passe de trouver un vaccin sur lequel lorgnent les grands laboratoires pharmaceutiques. Vous ne le saviez pas? Normal, c’est totalement faux. Et pourtant, des milliers de personnes ont avalé cette théorie sans broncher sur le net.».
Ainsi facilement, il est possible de développer une thèse farfelue et d’y faire adhérer nombre de personnes. On pourrait ajouter à l’essor d’internet le fait que toute crise sécrétant des phénomènes morbides, les théories «conspis» en sont d’édifiants exemples contemporains.
Relativement moins cité que d’autres théories conspirationnistes, l’antimaçonnisme fonctionne néanmoins comme une matrice du conspirationnisme redoutablement efficace. La dénonciation d’élites invisibles mais puissantes est un classique qui permet d’ailleurs de délégitimer toute critique rationnelle et démocratique du fonctionnement des élites. Il s’agit aussi d’un complotisme en kit, facile à utiliser près de chez soi, au coin de sa rue dans la vie quotidienne. Une difficulté professionnelle peut très vite s’expliquer par l’influence des francs-maçons. Une subvention refusée, des déboires commerciaux, une carrière artistique en berne: tout est vite imputé aux francs-maçons. Surnommés «Frères trois points», «Fils de la Veuve» ou «Frères la gratouille» (par François Mitterrand), ils ont la réputation de s’entraider et d’influencer nombre de décisions. L’antimaçonnisme a tellement imprégné le sens commun qu’il apparaît parfois comme un conspirationnisme tolérable. Mais rend surtout la lutte contre les idéologies conspirationnistes plus difficiles.
La franc-maçonnerie est née au début du XVIIIe siècle. Société à l’origine secrète, elle a joué un rôle dans la diffusion des idées des Lumières. Les Constitutions d’Andersen en définissent les principes. On compte de nombreux «frères» célèbres: Mozart évidemment mais bien d’autres également Garibaldi, Mazzini, Allende et bien d’autres. En 2014, selon les chiffres fournis par les organisations maçonniques elles-même, on dénombrait près de 175.000 frères et sœurs en France, réparties dans plusieurs obdiences. Les trois principales sont le Grand Orient de France (GODF), la Grande Loge de France (GLF) et la Grande Loge Nationale Française (liée à la Grande Loge d’Angleterre). Certaines obédiences imposent la croyance en l’existence de Dieu, d’autres non.
Pourquoi tant de haine?
En ligne de mire de l’antimaçonnisme se trouve «l’idéologie des Lumières» mais c’est dans la frustration personnelle qu’il amorce son travail d’influence chez l’immense majorité de ceux qui y adhèrent. L’antimaçonnisme puise dans une longue tradition très présente en France, depuis plus de deux siècles. La franc-maçonnerie a suscité très tôt réticences ou hostilités, surtout de la part de l’Église, en particulier des papes Clément XII et Benoît XV qui la condamnèrent. Les thèses complotistes de l’époque ciblaient aussi les Jésuites –thèses que l’on retrouve aujourd’hui dans les productions du groupe sectaro-folklorique d’extrême-droite des «Brigandes». Si l’Église se sentit menacée par la montée en puissance de la franc-maçonnerie, ce n’est qu’après la Révolution Française que fut systématisée une idéologie antimaçonnique. L’Abbé Barruel, notamment, fit profession de combattre les philosophes et les francs-maçons. Devenu un fervent soutien du pouvoir napoléonien, il s’investit parallèlement dans une véritable croisade contre la supposée influence maçonnique. Dans le viseur de Barruel, les Jacobins, ouvriers du complot qui était censé avoir donné naissance à la Révolution. Une thèse qu’aucun historien sérieux ne retint jamais. C’est chez Barruel que l’on trouve trace de la dénonciation des Illuminati, dont le nom se retrouve fréquemment au cœur des théories conspirationnistes les plus délirantes actuellement en vogue.
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