Ce sujet a déjà été superbement traité dans un ensemble de cinq textes intitulé « Perception, vérité et tolérance », que l’on peut facilement retrouver grâce au marque-page Vérités. Dans un résumé très concis, et donc brut, le premier de ces textes met en évidence les limites de nos sens et de notre cerveau lorsqu’il s’agit de reconnaître ce que nous appelons la vérité. Dans le deuxième cas, les limites que le langage impose à la transmission de la vérité perçue. Troisièmement, la différence entre la science et la foi, entre ce que l’ on sait être vrai et ce que l’on croit être vrai. Dans le quatrième de ces textes, il est mentionné comment chacune des diverses religions a, non pas une , mais sa vérité , qui est incompatible, au moins dans son intégralité, avec les vérités également absolues des autres religions. Enfin, dans le dernier de ces textes, il est noté que la Franc-Maçonnerie ne prend pas parti entre les religions, car « elle n’entend pas, contrairement à la Religion, traiter de la relation entre l’Homme et son Créateur ; ne traite que de la relation entre l’Homme et l’Homme .
Mais alors si nos sens et notre cerveau sont susceptibles d’être trompés dans la détermination de la vérité, quelle est cette Vérité que la Franc-Maçonnerie met en avant dans sa devise ? Si notre langage est inévitablement imparfait pour transmettre la Vérité, quelle Vérité les Francs-Maçons transmettent-ils ? Si ce que l’on sait être vrai de bonne foi n’est pas complètement et absolument démontrable, on ne peut qu’espérer conclure qu’il n’a pas été démontré qu’il est faux, et s’il y a des vérités qui ne peuvent être démontrées par la raison, quel est, après tout, l’objet de la Vérité de la devise maçonnique ?
À mon avis, la réponse ne réside pas dans la recherche de l’Absolu, mais dans la découverte de l’individu. La Vérité Absolue est inaccessible aux humains, du moins sur ce plan d’existence. Grâce à la méthode scientifique, l’humanité se rapproche de plus en plus de l’établissement de nombreux aspects de la Vérité – mais souvent, chaque nouvelle avancée dans un aspect finit par imposer la conclusion que ce qui était tenu pour acquis dans un autre aspect n’est pas vrai après tout. De nombreuses « vérités » scientifiques d’hier se sont avérées aujourd’hui ne plus être si vraies. Combien de vérités scientifiques aujourd’hui indiscutablement acceptées se révéleront demain fausses ? La croyance, ou la foi, quand on regarde les choses de près, n’est rien d’autre qu’un artifice (nécessaire ?) que nous, humains imparfaits, utilisons pour conformer notre besoin d’atteindre la vérité à l’inévitabilité de l’impossibilité de satisfaire ce besoin.
La Vérité qui compte, la Vérité de la devise, ne sera alors pas dans le concept absolu inaccessible, mais seulement – et c’est bien le cas ! – en chacun de nous. La Vérité qui compte est la Vérité de ce que chaque personne EST. Ce n’est pas une mince affaire ! Que chaque personne prenne conscience de sa Vérité, de ce qu’elle EST réellement, dépouillée de tous les masques, artifices et armures que la Vie nous oblige à utiliser pour (sur)vivre en Société, n’est ni une tâche simple ni une tâche facile. Nos instincts fondamentaux (surtout les instincts de survie), combinés au conditionnement de notre éducation et de nos apprentissages, nous conditionnent, dès notre plus jeune âge et très profondément, à cacher nos imperfections, nos incapacités et nos faiblesses aux autres. Nous apprenons que ces imperfections, incapacités, faiblesses, sont des vulnérabilités qui constituent des cibles d’attaques de la part d’autrui. C’est pourquoi, dès la petite enfance, nous sommes conditionnés (accro ?) à les cacher à tout le monde. Et on finit par le faire si bien, si bien, qu’on se le cache même à soi-même ! Nous finissons par prétendre être quelque chose de différent de ce que nous sommes réellement. Cette incohérence entre notre image – devant les autres et devant nous-mêmes – et notre vraie nature, tôt ou tard, se paie, parfois au prix fort. Notre malaise face à l’incohérence entre qui nous sommes et ce que nous nous forçons à montrer (et à nous montrer…) nous pèse peu à peu, nous limite, nous affecte, nous use. Certains le ressentent comme une simple fatigue (quelle absurdité de qualifier notre propre fatigue de simple…), que nous gérons avec des vacances ou quelques moments de complicité et de solitude avec nos proches. D’autres gèrent la situation de plus en plus mal et la dépression s’installe, ils perdent le goût de vivre…
La solution réside dans la perte de nos peurs et dans l’acquisition de la capacité de regarder sous l’armure, derrière le masque, en ignorant les artifices et en nous confrontant à qui nous sommes vraiment, en identifiant nos forces, mais aussi nos faiblesses, nos vertus et nos vices, nos désirs et nos peurs. Cette audace nous permet de nous reconnaître à nouveau, tels que nous sommes réellement et non tels que nous nous montrons, elle nous permet la bouffée d’air frais de retrouver notre pureté – la pureté que nous pensions perdue et que, après tout, chacun de nous conserve, seulement subjugué, enveloppé, couvert, caché, par mille et un artifices, masques, armures et excuses.
Ce travail de redécouverte de notre Vérité est facilité par l’expérience maçonnique. Et c’est libérateur. Du denim que nous avons accumulé insensiblement, du poids de tout ce que nous utilisons pour nous cacher. Nous rend plus libres et plus légers !
De plus, les Maçons apprennent non seulement à redécouvrir la Vérité qu’ils sont vraiment et qu’ils cachent en eux-mêmes, mais aussi à partager cette Vérité avec leurs Frères, en se permettant de se débarrasser de leurs défenses devant eux – car ils savent que, dans la Loge et parmi les Colonnes de leurs Frères, ils sont en sécurité, protégés et à l’abri des attaques. De cette façon, chaque personne peut non seulement se voir telle qu’elle est réellement, mais peut également avoir une idée de ce que sont réellement ses frères et sœurs. Et cette transparence mutuelle permet à chacun de découvrir qu’ils sont, après tout, si profondément semblables, au plus profond de leurs incommensurables différences ! Peut-être que cela nous aidera à comprendre pourquoi et comment des liens forts et profonds s’établissent entre les Francs-Maçons !
La Vérité de la devise est, après tout, la Vérité inhérente à chacun, redécouverte par lui et partagée avec ses Frères.
C’est dans l’exposition franche de la Vérité que chacun est capable d’identifier l’Aide dont chacun a besoin et ce que chacun peut apporter et impliquer tout le monde dans l’Amour Fraternel.
Rui Bandeira
publié dans le blog « From stone »