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LA PAROLE EN LOGE

Voici une planche dont le sujet a toujours suscité de nombreuses interrogations … Tout initié à ses débuts est astreint au silence…

Une telle confrontation intérieure n’est pas sans effet…

Source : http://www.fideliteprudence.ch

Nous savons tous que la maçonnerie est la voie spirituelle qui met en son centre ni un discours intellectuel, ni une réflexion philosophique au sens strict, ni un acte de foi, mais le travail qui à chaque occasion est célébré!

La parole est-elle un outil, et sous quelle forme l’est-elle ou non ? – Tel est l’objet de notre travail ce soir.

La parole est la dimension où nous advenons à notre être même – que cela nous apparaisse dans la nudité du coeur, dans le déploiement vrai de ce que nous regardons ou dans l’expérience de la beauté où la chose se découvre à nous dans tout son éclat.

Une autre manière de faire apparaître cette différence, entre la parole authentique et la parole habituelle, est de souligner qu’une parole authentique est une parole qui soutient, même de manière inapparente notre propre mortalité.

Vrai maçon est celui qui est entré dans le cabinet de réflexion et a pu en sortir victorieux. Car, il sort victorieux d’un face à face avec la mort. Une telle victoire consiste à ne plus se dérober au fait que nous sommes mortels!

Ce face à face seul permet d’accéder à notre véritable identité: celle d’un être régénéré.

Or, ce face à face n’est pas dépassé, oublié dans ce moment précédant notre initiation, mais à chaque instant, nous avons à réaliser cette initiation qui, sans cela, reste purement virtuelle.

Une parole qui affronte notre mort est celle où nous sommes dit. Non pas où nos passions sont dites, mais ce que nous sommes, des maçons sur un chantier!

I.      Parole authentique, parole inauthentique.

Quelle parole pourrait soutenir l’intensité et la brillance de ces brefs instants où les yeux de deux personnes se rencontrent. Ce moment où se regardant, ils se sentent reconnu pour ce qu’ils sont.

A cet instant, aucune parole ne peut exprimer leurs sentiments…

Le silence est dans son ouverture la plus propre, capable d’abriter des résonances les plus profondes de sens!

Alors, comment la parole pourrait-elle ne pas dévaler d’une telle hauteur?

Et, en effet, le plus souvent elle cache, recouvre ces moments éclatants qui nous arrivent dans la vie.

Lorsque nous écoutons un morceau de musique, comme le concerto opus 77 de Brahms, quelle parole peut s’élever assez pour rendre compte de l’inouï qui se laisse ainsi entendre.

D’autre part, la parole a ceci d’effrayant que la plupart de ce qui est dit, ne l’est que pour distraire du sens de l’expérience humaine.  – Souvent aussi elle est prononcée que pour recouvrir un silence inquiétant, qui met mal à l’aise.

On prend des poses. On parle, cachant ce qu’on est, derrière ce qu’on voudrait faire apparaître.

Cela s’entend par un certain ton tout à fait naturel qui marque la plupart de ceux qui prennent la parole en jouant leur rôle.

On pourrait s’y habituer, mais si nous gardons notre sens critique, nous ne nous y habituerons jamais!

Ce que nous tentons d’expliquer ici, c’est que pour penser la parole, il faut distinguer la parole authentique, la parole vraie, (qui est rare, extrêmement rare), de la parole habituelle.

Celle qui est authentique, peut prendre trois visages, celui de la fidélité au coeur qu’elle fait résonner, celui de la rigueur qui lui permet de répondre à ce qui est, avec une justesse qui ne laisse pas indemne, et celui d’une parole qui réussit dans son rythme même à être beauté répondant à la beauté.

Dans tous les cas, une telle parole s’appuie sur le silence dont elle n’est qu’une modalité.

Elle nous expose donc dans ce que nous sommes, tandis que la parole habituelle ne fait que recouvrir la profondeur de l’expérience.

Il.     La parole en Loge.

Si nous nous tournons maintenant vers la loge et la manière dont la parole s’y déploie, qu’est-ce que nous voyons?

La parole est l’occasion d’un travail constant.

La maçonnerie semble dire: attention chaque fois que nous prenons la parole, il faut tenter d’être à la hauteur qu’elle réclame. Un effort véritable doit être fait pour tenter de la maintenir à sa dignité propre et ne pas la laisser dévaler la pente de la facilité et des habitudes.

Alors, quelles sont ces manières par lesquelles la parole devient l’occasion d’un travail, d’un effort? Autrement dit, comment la parole est-elle tenue? Nous avons bien dit: tenue.

Le mot tenir vient de la racine indo-européenne « ten », soit tenir, tendre, étirer.

On tient dans une tension qui joue par rapport à la tendance inverse où tout s’échappe, où l’on se laisse aller.

Tenir est en rapport profond avec le fait d’être vivant!

La maçonnerie est une école pour apprendre à tenir, comme le fait de devoir « se tenir à l’ordre » l’indique.

La gorge est régie par la complexité de l’impulsion susceptible non d’être domptée, mais d’être détournée bestiales et transmutée sous l’influence des forces supérieures de l’individu.

Le maçon affirme alors par son geste qu’il a isolé sa pensée des influences inférieures.

« Se tenir à l’ordre », c’est se tenir dans l’effort constant pour ne pas laisser aller – se laisser aller à l’emportement, aux idées reçues, aux préjugés, à la paresse, au relâchement…

Et tout particulièrement en faisant attentions aux mots qui passent par notre gorge.

Cette manière de se tenir, prend, par rapport à la parole trois aspects. D’abord, avant d’être autorisé à parler, le maçon est invité au silence, durant le temps où il est apprenti.

Ensuite, la parole dite est souvent déjà donnée, prévue, écrite et n’est pas directement notre parole personnelle. Nous la récitons ou nous la lisons.

Enfin, même la parole où nous nous exprimons est entourée d’un rituel qui la tient.

A.      Le silence de l’apprenti.

La parole est si importante que l’apprenti doit d’abord apprendre à se taire avant de pouvoir parler.

Il faut une profonde formation pour être à même de parler.

Il faut apprendre à écouter, disons plutôt: apprendre à entendre avec l’ouïe de sa conscience.

Il faut apprendre à ne pas utiliser les habitudes de langage, qui dans le monde profane tendent à émousser le sens véritable de la parole!

B.      La parole donnée.

Ensuite nous remarquons que nombres de paroles sont reçues.

La plupart de celles qui sont proférées en loge, le sont de façon purement rituelle.

Nous ne sommes pas libres de dire ce que nous voulons.

Nous devons obéir à un ensemble de règles bien codifiées.

Sur les colonnes, chaque fois que la parole nous est accordée, nous devons commencer par dire: « Vénérable Maître en chaire, dignitaires qui décorez l’Orient et vous tous mes frères en vos grades, qualités et fonctions »…

Lorsque nous disons cela, nous ne disons pas quelque chose d’accessoire, mais une parole qui nous regarde au plus profond de nous-mêmes.

Elle nous garde de dire n’importe quoi et elle exprime notre place dans la loge.

Elle nous relie dans la chaîne du passé à tous les maçons qui nous ont précédés et qui ont dit à leur tour cette phrase.

Elle nous dépouille sur le champ de notre subjectivité trop personnelle. Nous parlons dès lors en tant que maçons – ce qui nous oblige!

En limitant notre manière habituelle de nous exprimer, la maçonnerie indique un travail profond, que nous devons faire sur nous-mêmes pour nous transformer.

Nous sommes invités à ne plus prendre pour nous, l’ensemble de nos opinions habituelles sur laquelle nous nous identifions au point de nous mettre en colère si elles sont contredites et, à ce que chaque parole puisse aider à la construction du Temple.

Ceux qui ont un office, de manière encore plus exemplaire que ceux qui sont sur les colonnes, ne font qu’obéir aux règles.

Par exemple, chaque mot que prononcent les surveillants, en tant que tels, est écrit – Ils ne sont pas les auteurs de ce qu’ils disent.

La parole rituelle qu’ils proclament les obligent à une profonde humilité, qui passe même par un renoncement.

Nous sommes ici en rapport avec quelque chose de très profond, mais très difficile à penser, car cela va à l’encontre d’un assemblage de croyances qui circulent dans le monde profane.

On pense ainsi spontanément que notre parole doit être celle que nous aurions nous-même inventée. – Notre parole – La maçonnerie nous apprend qu’il n’en est rien.

Une parole que nous recevons peut être davantage nôtre que l’ensemble de celles que nous disons dans une journée.

C.      Dire quelque chose sur quelque chose.

A la parole rituelle s’ajoute une parole où un maçon « s’exprime ». Mais s’exprime-t-il ou répond-t-il à ce qui demande à être dit?

Quoi qu’il en soit, pourquoi un maçon prend-il la parole?

Quelle est la motivation maçonnique de toute prise de parole?

Ce n’est jamais pour briller, pour montrer qu’il est intelligent, pour essayer de prouver qu’il a mieux compris que les autres, mais pour tenter de contribuer, à la mesure de ses propres forces, à la construction du Temple.

Nous retrouvons ici même, l’humilité et le renoncement que nous avions souligné dans la parole rituelle.

Prendre la parole, ce n’est pas tant pouvoir parler en loge, mais plus fondamentalement devoir sans cesse s’interroger.

Et s’il est important de prendre la parole en loge, c’est pour pouvoir intégrer en soi, l’enseignement maçonnique.

C’est là un des sens de la liberté de conscience que nous évoquons si souvent. – Laisser notre conscience la plus libre, pour qu’elle puisse faire sienne ou non, les vérités qui lui sont présentées.

Prendre la parole, c’est donc être critique.

Le mot critique vient du grec « crinien », qui signitie: separer, cribier, cerner, examiner.

La critique sépare ce qui doit être séparé et qui est habituellement confondu.

Elle est exercice d’un examen, afin d’éviter la confusion des choses qui apparaissent sous une forme incompréhensible.

Le maçon ne s’exprime pas au sens de déverser ses pensées personnelles, mais partage dans un geste de générosité les fruits de son travail, cet acte de fraternité lui permet en retour d’intégrer en lui les vérités qu’il a reçues.

III. Ce que cela nous dit sur la parole.

Nous sommes partis de la difficulté à ce qu’une parole soit véritablement parole, à la hauteur de notre humanité, et puisse être fidèle à ce qu’elle veut faire apparaître.

Nous avons vu comment la maçonnerie est une école pour nous apprendre à tenir cette parole et lui rendre toute sa force.

Cette école nous permet aussi de retrouver la véritable parole que nous ne cessons de perdre.

Comment la maçonnerie nous montre-t-elle la manière dont il nous faut conduire la parole à sa plénitude?

Etre maçon n’est pas donné une fois pour toute, mais doit être réalisé. Quand est-ce que la maçon se réalise?

Nous découvrons qu’il y a un aspect magique au coeur de la maçonnerie, qui réside dans sa dimension initiatique.

Le symbolisme, les mots, gestes et attouchements, les mythes et les rites qui la composent, ont un pouvoir de nous transformer de manière très profonde et très étrange à première vue, puisque ce n’est pas le résultat d’un effort conscient, mais un surcroît, un don.

Et tout cela se déploie effectivement dans la dimension de la parole.

La vérité de celle-ci n’apparaît jamais autant que dans le rituel et tout particulièrement dans l’initiation, là où sa capacité à donner forme éclate d’une vive clarté.

Faire attention à ce fait est déjà en soi une merveille.

Ce n’est pas une personnalité qui prend la parole, mais un maçon en tant qu’il représente sa charge précise.

Et ce n’est pas un seul qui incarne la maçonnerie, mais un ensemble de personnes puisque chacun d’eux transmet. La parole est alors à sa plénitude de façon non individuelle mais comme l’expression de l’atelier tout entier.

Donc après réflexion, dans notre chemin, la parole qui nous a le plus aidé, celle qui nous a le plus transformé est toujours la parole donnée. Celle du rituel!

Alors que dans le monde profane, la parole perd toute sa densité et devient bavardage et recouvrement de ce qui est, mais de plus, on considère la parole comme quelque chose de peu d’importance.

Ce qui prime aujourd’hui, ce sont les actes. Ce qui est au contraire de moindre importance, ce sont les paroles.

Mais l’agir lui-même n’est compris que comme ce qui produit des effets.

Ce monde là est orienté vers une conception où l’être humain est vu comme un producteur – consommateur.

Et la nouvelle éducation forme des êtres humains pour la production – consommation. On supprime peu à peu les vraies humanités, qui elles ne servent pas à gagner de l’argent et on s’empêtre dans la confusion.

Parole est action.

Pour avoir accès au réel, il est nécessaire de s’extraire du tourbillon kaléidoscopique de ce monde matériel, de regarder à l’intérieur de soi et ensuite d’enlever lentement toutes les couches de la subjectivité. Et nous découvrirons alors un noyau de vérité qui absorbe plutôt qu’il ne réfléchit. Si nous pénétrons dans ce noyau, notre esprit mettra fin à son habitude incessante qui consiste à suivre ses désirs et ses impulsions matérialistes, et nous entrons alors dans un silence où règnent plénitude et perfection.

La maçonnerie nous permet d’entrer dans ce silence. Agir ne devient possible que dans le silence de l’écoute et de l’illuminations de la parole L’apparente maîtrise de celle-ci, en l’utilisant comme simple outil, découvre son sens véritable.

La parole en maçonnerie est avant tout un acte instaurateur du travail.

Sa forme la plus achevée est celle du rituel. Car elle est alors action pure, action constructrice.

S’ouvrir à la parole elle-même, c’est s’ouvrir à ce qu’elle déploie avant même qu’elle ne dise quelque chose, elle qui nous met à nu, d’autant plus à nu, qu’elle nous tient en sa tenue la plus propre.

La parole est fondamentalement manifestation de la présence pure de notre propre être, lequel s’accomplit dans l’oeuvre sur laquelle nous travaillons.

Parole sacrée que nous transmettons, notre tâche consiste alors à la garder comme un joyau que l’on nous a confié et, qui ne brille vraiment qu’en tant que nous manifestons ce qu’’elle dit.

Parole personnelle, elle nous demande de nous exposer, en témoignant de l’endroit où nous sommes de notre cheminement.

La parole ne consiste donc pas en l’ébruitement de sons articulés.

Il existe des paroles silencieuses; il y a manière de dire des choses sans prononcer aucun mot.

« La langue n’est jamais d’abord expression de la pensée, du sentir et du vouloir. La langue est la dimension initiale à l’intérieur de laquelle l’être humain peut alors seulement correspondre avec les autres et à son exigence » (disait un philosophe)

La maçonnerie, dans la parole sacrée qu’il nous faut dire, dans la parole que nous devons élaborer, peut nous permettre d’entrer dans cette dimension – celle du sérieux le plus profond et de la meilleure compréhension de l’autre. Et miracle sublime, c’est par elle que nous apprenons à faire silence, par elle que nous créons notre égrégore.

A.S.:

View Comments (2)

  • Voilà ce que dit Le grand historien de la maçonnerie française Roger DACHEZ sur cette formule utilisée avant de prendre la parole en loge:
    « En vos grades et qualités »
    On chercherait vainement cette expression dans des textes ou des rituels maçonniques du XVIIIème et même encore au XIXème siècle : elle n’y figure nulle part. Mais alors, d’où vient-elle, et que fait-elle dans le discours maçonniques au point que l’on en soit venu si souvent à penser que ce sont les francs-maçons qui ont inventé cette formule protocolaire ?
    Ladite formule comporte du reste des variantes : « grades, dignités et fonctions », etc. Tour cela est en effet bien connu et assez classique, mais pas dans la franc-maçonnerie : c’est un lieu commun de la phraséologie des discours administratifs, des prises de paroles officielles de la haute fonction publique.

  • Merci pour cette réflexion de haut niveau.
    C'est le temps qui nous dit si la parole est sincère, authentique et constructive.
    FRATERNITE