MISCELLANÉES MAÇONNIQUES par Guy Chassagnard
En franc-maçon de tradition, attaché à l’histoire de ce qui fut jadis le Métier de la Maçonnerie avant que de devenir la Maçonnerie spéculative des Maçons libres et acceptés, notre frère Guy Chassagnard met en chroniques ce qu’il a appris dans le temple et… dans les textes ; en quarante et quelques années de pratique maçonnique. Ceci selon un principe qui lui est cher : Apprendre en apprenti, comprendre en compagnon, partager en maître.
Chronique 211
1773 – La naissance du Grand Orient (1)
Petit éphéméride 1773 de la disparition d’une Grande Loge de France et de la naissance d’un Grand Orient :
• 5 mars 1773. – Première réunion, à l’initiative du duc de Montmorency-Luxembourg, de la Grande Loge de France. Soixante frères y participent.
• 8 mars. – Nouvelle réunion de grande loge, qui confirme, par acclamation, l’élection du duc de Chartres, Louis Philippe Joseph d’Orléans (1747-1793), à la grande maîtrise.
• 9 mars. – Troisième tenue de grande loge, rue Saint-Antoine. La Grande Loge est déclarée « Nationale » et « Souveraineo» par le duc de Luxembourg qui en préside les travaux.
• 13 avril. – Date de fondation du Grand Orient de France, avancée par certains auteurs maçonniques. D’autres fixent cette fondation au 7 avril, au 24 mai ou au 26 juin – quand le nouvel Ordre maçonnique français annonce son existence par une circulaire adressée aux loges.
• 24 mai. – Réunie en assemblée générale, la Grande Loge Nationale prend des décisions devant conduire à la constitution du Grand Orient de France. Celui-ci sera composé de la Grande Loge (officiers et dignitaires) et des vénérables ou députés des loges de Paris et de province.
• 17 juin. – Réunis sous couvert de la Grande Loge de France, les maîtres de loges parisiens déclarent le nouveau corps qui s’est créé près d’elle sous le titre de Grand Orient, « subreptice, schismatique et illégalement formé. »
• 21 juin. – Les mêmes maîtres de loge parisiens, déchus de leur inamovibilité, présentent, une dernière fois, à la Grande Loge Nationale des « doléances », en vue de maintenir leurs privilèges, souvent obtenus financièrement.
• 26 Juin 1773. – L’Ordre maçonnique français, dont on ne sait trop s’il est encore Grande Loge ou déjà Grand Orient, entreprend de se structurer et de renforcer son emprise sur les loges.
Si les vénérables doivent être élus périodiquement, les loges se voient fixer un délai de deux ans pour demander, contre paiement de droits élevés, leurs constitutions. Les nouveaux Statuts de l’Ordre Royal de la Franc-Maçonnerie sont présentés dans une circulaire de trente-cinq pages.
• 30 août. – Une partie des maîtres de loge parisiens dénonce à nouveau la nouvelle Grande Loge Nationale comme « illégale, subreptice et irrégulière » et menace ses animateurs de déchéance. Ce jour marque la division de l’ancienne Grande Loge de France en deux institutions rivales.
• 1er septembre. – La Grande Loge Nationale clôture ses travaux, après avoir refusé de prendre en considération les remontrances et les protestations des maîtres de loge contestataires. Comptant 77 membres d’honneur et en exercice, elle s’intègrera au Grand Orient de France, composé de la Grande Loge elle-même et des vénérables ou députés des loges symboliques « tant de Paris que de la province ».
• 17 septembre. – La Grande Loge Nationale de France informe « toutes les respectables loges régulières » qu’elle a accueilli en son sein le Conseil Souverain des empereurs d’Orient et d’Occident, Sublime Mère Loge Écossaise, « avec lequel elle s’est unie pour ne former qu’un corps qui a seul la puissance législative sur tous les grades ».
• 8 octobre. – Nouvelles démarches auprès du duc de Chartres, Louis Philippe Joseph d’Orléans (1747-1793), pour le convaincre d’accepter la grande maîtrise, malencontreusement vacante depuis la mort du comte de Clermont.
© Guy Chassagnard – Auteur de :
- La Franc-Maçonnerie en Question (DERVY, 2017),
- –Les Constitutions d’Anderson (1723) et la Maçonnerie disséquée (1730) (DERVY, 2018),
- –Le Dictionnaire de la Franc-Maçonnerie (SEGNAT, 2016).
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Comme le substitut général, du comte de Clermont, le banquier Baur, négligeait également sa charge et ne convoquait plus la Grande Loge, qui devrait selon les règlements de 1743, se réunir tous les trimestres (la « quaterly communication » des Constitutions de 1723), le comte de Clermont avait nommé en 1756, un substitut particulier le maître à danser Antoine Lacorne, sans doute pour réunir ce qui était en train de s’éparpiller, mais sans désavouer officiellement Baur, comme substitut général.
Comme souvent, les idées du Comte de Clermont, parties d’un bon sentiment, tournent à la catastrophe. Le substitut particulier et le substitut général, surtout quand Baur sera remplacé en 1761 par Chaillon de Jonville, beaucoup plus impliqué que son prédécesseur, se constituent chacun une clientèle de Vénérables Maîtres, qui aboutira à un schisme de fait.
Lacorne, pourtant Vénérable Maître de la Loge « La Trinité », est jugé de trop « basse extraction » par un certain nombre de Vénérables Maîtres, surtout parisiens et souvent nommés à vie, Il se rallient à un ancien maçon, Peny, Vénérable de la Loge de Saint-Martin, qui les regroupe dans une Grande Loge des maîtres de Paris dite de France dite aussi nationale. Mais Lacorne ne se laisse pas faire et rassemble à son tour un certain nombre de Vénérables de Loges de province qui vont constituer une 2ème Grande Loge et qu’on appellera les « lacornards. »
En 1762, Lacorne décède et le Comte de Clermont intervient pour essayer de rapprocher les deux parties. Les deux grandes loges semblent se réconcilier en 1763 et votent des statuts communs. Mais cette entente ne dure pas, preuve que les regroupements de vénérables maîtres de Loge d’une part autour de la Grande Loge de Peny, et d’autre part autour de Lacorne n’étaient pas qu’une question de personne, mais aussi de conception et d’ouverture de la Franc-Maçonnerie.
En 1765, les anciens « lacornards», par un coup monté, sont écartés des postes d’officiers de la Grand Loge dont ils et se retirent en protestant par libelles contre le procédé. L’année suivante ils sont bannis de l’ordre par décret, mais en 1767, à la fête de l’Ordre le 24 juin, les frères bannis font un tel « grabuge » que les travaux de la Grande Loge furent suspendus par l’autorité royale qui certainement ne demandait pas mieux.
Cependant la suspension, n’avait pas brisé la dynamique des « lacornards ». Ils s’activent et clandestinement continuent leurs travaux au faubourg St-Antoine. Ils ont derrière eux la grande majorité des loges de province qui s’opposent aux loges parisiennes avec leurs maîtres de loge inamovibles. C’est ainsi qu’en 1770, les tentatives de la Grande Loge « nationale » de reprendre les travaux pour contrer ces Frères dissidents échouent devant le refus de la majorité des Loges.
En 1771, le décès du Comte de Clermont sauve la Grande Loge à l’arrêt depuis 4 ans. Les « lacornards » proposent au duc de Chartres la Grand Maître de la Grande Loge, ce qu’il accepte avec le duc de Montmorency-Luxembourg comme substitut. A l’assemblée de la Grande Loge de nouveau autorisée, ils se présentent avec l’accord du futur duc d’Orléans qu’ils échangent contre leur réintégration et l’annulation des mesures prises contre eux en leur absence.
Mais devant la situation catastrophique de la Grande Loge, ils demandent la création d’une commission de huit commissaires chargés de faire un rapport pour remédier à la confusion et à l’impuissance dont elle souffre. En attendant, et devant la quantité invraisemblable de patentes et de constitutions délivrées, ils demandent à toutes les loges du royaume de faire renouveler leurs constitutions qui seront examinées au secrétariat de la Grande Loge.
Fin 1772, la commission, avec le concours du Duc de Luxembourg, prend le parti des frères dissidents et convoquent des assemblées à l’hôtel de Chaulnes. Le 24 décembre, ils déclarent que l’ancienne Grande Loge de France est remplacée par une nouvelle Grande Loge nationale qui fait partie intégrante d’un nouveau corps, le Grand Orient de France.
Le 5 mars 1773, la première assemblée du Grand Orient de France se tient, confirme la nomination du duc de Chartres comme Grand Maître et du duc de Luxembourg comme administrateur général. L’ancien substitut du comte de Clermont, M. Chaillou de Joinville, se rallie à la nouvelle structure.
Le 14 juin toutes les constitutions personnelles délivrées à des maîtres de Loge inamovibles sont supprimées et les nouvelles structures Grand Orient de France sont mises en place. Cependant l’ancienne Grande Loge refuse toujours de reconnaître le Grand Orient de France et prend le contrepied de ses arrêts.