Au musée départemental de la résistance et de la déportation à Toulouse se trouve une Marianne pour le moins particulière puisqu’elle représenterait effectivement une femme noire. Cette sculpture, dont l’histoire est longtemps restée méconnue, est entourée de mystères et même de légendes. Malgré les nombreuses recherches menées ces dernières années, seul le fait qu’elle soit maçonnique est avéré.
Une Marianne noire à Toulouse. Quésaco ? – Un article du Journal Toulousain en date du 23 décembre 2022 du écrit par Héloïse Thépaut
Avec son bonnet phrygien et sa longue chevelure, elle a tout d’une Marianne traditionnelle… ou presque. Le buste de la “Statue de la Liberté” exposé au musée départemental de la résistance et de la déportation diffère en effet de ses semblables avec ses emblèmes maçonniques et ses traits de femme noire. Remarquable à bien des égards, la Marianne du musée est toutefois restée longtemps dans l’ombre. « Elle était à la vue de tous, mais on ne l’avait pas remarquée. Ce buste a été exposé pendant 20 ans au musée sans crever les yeux de personnes », souligne l’historienne Jacqueline Fonvieille-Ferrasse.
D’une hauteur d’un mètre vingt et d’un poids de 90 kilogrammes, la Marianne du musée ne passe pourtant pas inaperçue. Alors comment expliquer qu’on ne se soit pas intéressé à cette sculpture durant toutes ces années ? « Quand on va au musée départemental de la résistance et de la déportation, on ne s’attend pas à voir une Marianne. On s’attend plutôt à des armes et des histoires liées à la guerre. Donc on ne voit pas cette sculpture puisqu’on ne sait pas quoi en faire », estime Jacqueline Fonvieille-Ferrasse.
Pourquoi une Marianne au musée de la résistance et de la déportation ?
Cette Marianne a pourtant toute sa place au sein du lieu, fondé par d’anciens résistants et déportés haut-garonnais dans les années 70. « Ces femmes et hommes ont déposé au musée tous leurs souvenirs de la guerre tels que leurs uniformes et armes. Mais ils ont aussi amené ce qui leur est apparu comme étant leur boussole d’engagement. C’est dans ce contexte que la Marianne est arrivée au musée. Elle résume le sens de leur action », explique Antoine Grande, le directeur du musée. Si on sait comment elle est arrivée là, tout le reste de son histoire était plutôt flou.
Ni son auteur, ni sa date de création n’étaient en effet connus. On estimait qu’elle datait du milieu du XIXe siècle. « On ne savait rien sur elle ou que très peu de choses », souligne Jacqueline Fonvieille-Ferrasse. En effet, personne ne s’était vraiment penché sur l’histoire de cette sculpture, aussi intrigante soit-elle. « Longtemps, résistants et témoins de la Seconde Guerre mondiale ont fait visiter le musée. Pour eux, soit cette Marianne n’était pas centrale, soit elle faisait partie du décor. Paradoxalement, c’est la disparition des témoins qui nous a fait nous y intéresser », estime Antoine Grande.
La sculpture a bien été commandée par des francs-maçons
Cette sculpture n’a donc révélé certains de ses secrets que très récemment. « Les premières recherches à son sujet datent de trois ou quatre ans et sont tout à fait fortuites. C’est un professeur d’histoire-géographie, Daniel Chartagnac, qui a commencé à collecter des informations sur cette Marianne, une fois à la retraite », raconte Jacqueline Fonvieille-Ferrasse. Des recherches qui ont notamment permis de confirmer que cette sculpture était bien maçonnique.
« Nous avons trouvé la trace d’une commande de cette Marianne dans les archives des loges maçonniques. Elle a aussi été inventoriée au moment de perquisitions anti-maçonniques ordonnées par Vichy. Une photo d’elle datant de 1914 permet de le vérifier », indique l’historienne. Certains de ses atours ne laissaient toutefois pas la place au doute quant à son origine. On retrouve en effet le Temple de Salomon et l’œil de la Providence sur son socle. Elle est aussi universelle. « Tous les continents sont représentés. Il y a l’éléphant d’Asie sur son socle, le lion d’Afrique sur ses épaules et une pyramide précolombienne sur sa ceinture. Elle possède des emblèmes inhabituels chez les Marianne », relève Jacqueline Fonvieille-Ferrasse.
Cette Marianne noire représenterait une esclavage affranchie
Ses traits ne font que le confirmer. En effet, cette Marianne représenterait une femme noire. « Les lignes de son visage laissent assez peu de place au doute », estime Antoine Grande. Cette Marianne, de couleur bronze à l’origine, serait en fait une esclavage affranchie. « Si sa création date de 1848, elle aurait été commandée à peu près au moment où la commission pour l’abolition de l’esclavage s’était réunie », indique l’historienne. Pour rappel, cette commission était présidée par Victor Schœlcher, sous-secrétaire de la marine et des colonies dans le gouvernement provisoire de 1848. Ce dernier et l’ensemble des autres membres de la commission étaient francs-maçons.
« L’abolition de l’esclavage a été une des grandes ambitions de la seconde République. Cette Marianne devenait donc un symbole de l’abolition de l’esclavage et les traits d’une femme noire étaient logiques », éclaire Jacqueline Fonvieille-Ferrasse. Antoine Grande ajoute : « Cette statue montre qu’une femme noire tout autant qu’un homme blanc peut exprimer l’égalité, la fraternité et la liberté ». Malgré tout, rien ne permet de confirmer si ce buste date bien de 1848. « Nous avons un faisceau d’hypothèses, mais aucune certitude », révèle l’historienne.
Qui est l’auteur de ce buste de la “Statue de la Liberté” ?
Cela a d’ailleurs posé problème pour découvrir l’auteur de la Marianne. Si elle a été créée en 1848, il s’agirait du sculpteur Bernard Griffoul-Dorval. « Il est un des premiers à avoir sculpté les socles de ces statues, il était par ailleurs franc-maçon et proche des milieux qui ont favorisé la révolution française de 1848 », détaille Jacqueline Fonvieille-Ferrasse. Mais une découverte a tout changé. Une signature est effectivement apparue sur le socle de la statue. « Elle a été découverte à la faveur d’une visite du musée par une médiatrice », rapporte le directeur du lieu.
Aucune signature n’avait pourtant été trouvée avant. Mais un nettoyage de la Marianne aurait favorisé l’apparition de cette signature. « J’avais vu un espace en bas du socle où il n’y avait pas de bas-relief. Je m’étais dit que s’il y avait une signature elle serait là », se souvient l’historienne. C’est justement à cet endroit que le nom du sculpteur Jean Sul-Abadie s’est révélé. « Il était l’un des élèves de Griffoul-Dorval. Nous pensons donc que la statue a été inachevée par Griffoul-Dorval et reprise par Jean Sul-Abadie », précise Jacqueline Fonvieille-Ferrasse.
Une Marianne noire symbole de la résistance
Il est toutefois impossible de le vérifier pour le moment. Impossible aussi de savoir si cette Marianne a bien reçu une balle dans la poitrine lors d’une visite pour inventaire du gouvernement de Vichy. En effet, son buste porte une marque en forme de vrille. « Des résistants disaient qu’elle avait pris une balle dans le buffet. Nous n’avons pas les moyens actuellement de le vérifier », informe l’historienne. Une étude balistique a été réalisée, mais n’a rien donné. « Elle n’a pas pu dire avec certitude si c’était un impact de balle ou autre chose », renseigne le directeur du musée.
Après avoir reçu cette balle, la sculpture aurait été enterrée par des francs-maçons dans un jardin pour être protégée. Là encore, il n’est pas possible de le vérifier. « Tout un récit s’est construit autour d’ultras de la collaboration qui auraient essayé de la détériorer et de la briser. C’est une Marianne qui a été attaquée, cachée et sauvée », considère Antoine Grande. Un emblème fort donc pour les résistants. « À l’heure de la disparition des témoins, elle est très clairement une incarnation et pas juste une allégorie », conclut le directeur du musée.