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LA LOI DU SILENCE


En ouvrant le Livre sacré sur l’autel des Serments, le Vénérable Maître propose à la réflexion de chacun le prologue de Saint-Jean l’Évangéliste, lequel commence ainsi : « Au commencement était le Verbe ». Parler du silence et de sa loi, est-ce alors un paradoxe ou une provocation ?

L’expression « la loi du Silence » nous renvoie dans un premier temps à l’Omerta, code de conduite qui interdit aux membres d’une organisation, en particulier les membres de la Mafia, de révéler des informations, ou de témoigner contre leurs complices, lorsqu’ils sont confrontés à des poursuites judiciaires. L’Omerta repose sur la loyauté envers le groupe, et la crainte des représailles.

Nous ne sommes pas une organisation mafieuse, bien sûr. Mais dès le début du parcours initiatique, on nous prie de faire silence sur les Parvis, puis dans le Temple. On nous fait aussi jurer de garder le silence sur ce qui a pu s’y dérouler.

La loi du Silence, comme le maintien du secret par le symbole, la langue des oiseaux ou l’alphabet maçonnique, existent car ce qui est dévoilé en Loge, comme dans toutes les Traditions initiatiques, c’est la voie de la libération. Lorsque le Maçon aura trouvé son maître intérieur, il ne sera plus sous le joug des maîtres extérieurs.

Restons discrets sur ce chemin d’émancipation, qui pourrait être jugé dangereux par les autorités temporelles et religieuses, et risquerait de finir par être interdit, à l’instar de tout ce qui échappe au contrôle et au pouvoir.

Notre rituel nous met en garde :  à l’Apprenti, il rappelle qu’il ne peut ni lire ni écrire, tout juste épeler, et il lui intime de garder le silence sur la colonne du Nord, car chaque parole prononcée au sein du Temple doit être pesée, mesurée. Elle doit être le reflet de l’inspiration sans ses excès : une parole prise trop librement serait diffuse, et polluerait la pensée.

Dans cet ordre d’idée, les 3 tamis de Socrate semblent essentiels à appliquer au quotidien : Avant de parler, pose-toi trois questions : Est-ce utile ? Est-ce vrai ? Est-ce bienveillant ?

La Loi du Silence, c’est aussi et peut-être d’abord une loi que l’on s’impose à soi-même.

Dans le Temple, l’Apprenti est immobile, aligné et silencieux. Son propre silence est un outil, qui lui permet d’accueillir la parole de ses Frères et Sœurs. C’est aussi une modalité de la voie initiatique.

Comme l’écrivit René Guénon, « les mystères eurent toujours un caractère réservé et secret, le mystère lui-même signifie étymologiquement silence total, les choses auxquelles il se rapportait ne pouvant être exprimées par des mots mais seulement enseignées par une voie silencieuse. »

Louis-Claude de Saint Martin aussi pensait que « Les grandes vérités ne s’enseignent bien que dans le silence« . Quelle est cette vérité ?

La Genèse dans la Bible hébraïque commence par la lettre Beth, le Beth de Béréchit qui signifie « au Commencement ». La lettre de valeur 2, qui préside à la Création du monde manifesté, monde duel, divisé : la Lumière et les Ténèbres, le Haut et le Bas, le Masculin et le Féminin, le Noir et le Blanc du Pavé Mosaïque.

Avant le Commencement, avant le Beth, la première Lettre de l’alphabet hébraïque est le Aleph, de valeur Un. Elle correspond au blocage de l’air dans la gorge avant de prononcer un mot : le Silence qui précède la Création.

L’Univers a été créé à partir du rien, un vide froid et silencieux. Puis Dieu dit : « Que la lumière soit« , et sa parole crée, sépare, divise et multiplie. Lorsqu’un son fait vibrer la peau d’un tambour sur laquelle on a versé du sable, la vibration du son déplace les grains de sable vers les nœuds immobiles de l’onde stationnaire, et structure la matière en faisant apparaître des formes. Comme le blanc contient toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, comme le Aleph contient les 22 Lettres de l’alphabet hébraïque, le Silence conserve toutes les potentialités, tandis que le Verbe créateur fige la forme, en la créant.

Le Temple de Salomon a été bâti sans bruit, sans utiliser d’outils de métal. Régulièrement, on se retrouve entre Frères et Sœurs pour partager des Travaux dans cet espace-temps sacré, où règne la Lumière, et où le silence n’est brisé que pour la gloire du Grand Architecte de l’Univers.

Dans le silence, l’ordonnancement du Temple est parfait. Pour ne pas détruire cette harmonie, le Vénérable Maître à l’ouverture des Travaux propose « quelques instants de concentration en musique » : par cette courte méditation, le rythme de la musique met les participants sur la même « longueur d’ondes », elle les accorde sur la même vibration. En déposant nos métaux, les dissonances sont éliminées, et en quelque sorte une onde unique est générée à partir des multiples ondes initiales.

Par la suite, pour que la parole circule dans le Temple, elle devra d’abord être accordée, comme un accord parfait s’harmonise avec la mélodie. Quand il accompagne la voix de celui qui prend la parole, le silence se fait alors écoute et respect.

Sur une partition de musique, les silences sont figurés par des signes spéciaux, soupirs ou pauses, en fonction de leur durée. Le silence n’est pas absence de bruit, mais absence de dissonance.

Le silence n’est pas une absence, il accueille le son, et il en est la substance. Après avoir fait sonner un bol tibétain, on écoute ce son harmonieux et complexe qui se développe, puis il se résorbe progressivement dans le silence, et l’écoute finit par s’écouter elle-même.

Ramana Maharshi (guru dans la tradition de l’Advaïta) disait : « Le silence est la meilleure et la plus puissante initiation« . L’Apprenti que nous serons toujours doit faire silence. Faire le silence en lui.

La Loi du Silence Intérieur fait référence à la pratique de trouver le calme et la tranquillité en soi-même. Elle consiste à cultiver une paix intérieure en mettant fin aux pensées incessantes, aux jugements et aux préoccupations qui nous distraient.

Souvenirs trop présents et vaines projections nous empêchent de vivre pleinement le moment présent. En apprenant à calmer notre esprit et à nous connecter à notre être intérieur, nous pouvons trouver une source de joie et de paix durable.

Krishnamurti disait que l’esprit était constamment préoccupé de lui-même ou encore de l’opinion d’autrui, une autre manière d’évoquer ce qu’on appelle plus communément l’égo. Il préconise de faire de l’espace en nous, un espace certainement nécessaire à la lumière. Il recommande aussi le silence, qu’il qualifie « d’une forme extrême de l’ordre le plus haut qui soit ». Silence entre deux pensées, entre deux notes de musique, silence à la suite d’un bruit… dans ce silence naturel, il se peut, dit-il, qu’advienne cette extraordinaire sensation d’une présence, de quelque chose d’incommensurable, et qui n’a pas de nom.

Dans le texte « Silence et Solitude », René Guénon cite Charles Eastman, sioux d’origine : « L’adoration du Grand Mystère était silencieuse, solitaire, sans complication intérieure ; elle était silencieuse parce que tout discours est nécessairement faible et imparfait, aussi les âmes de nos ancêtres atteignaient Dieu dans une adoration sans mots ».

Le grand mystère est au-delà de toute forme et de toute expression. Et le silence lui-même est le grand mystère. La divinité, l’Être sans fin, n’a pas d’attribut, et on ne peut le nommer ni le représenter : il est inexprimable. La pensée élabore des images, des formules et des idées, et ne permet pas d’atteindre le principe suprême. Citons encore Krishnamurti : « Pour comprendre, soyez silencieux. L’amour ne peut exister que lorsque la pensée est silencieuse, immobile. »

Désobéir à la loi du silence, ce serait perdre une occasion d’établir une communication directe avec le principe suprême, désigné comme le grand mystère.

Comme le Temple de Salomon s’est érigé sans bruit, notre Temple intérieur se bâtit lui aussi dans le silence de l’esprit. Dans le silence intérieur, la conscience observe les pensées qui apparaissent et disparaissent, puis les pensées se raréfient, et la conscience devient consciente d’elle-même. Il est alors possible qu’elle contacte une présence qui n’est pas de ce monde, une présence « inexpressible, ineffable, et que seul le silence peut définir« . La Présence. Le Soi. Le Un. Le Divin. Tout ce que l’on peut tenter de dire sur cette Présence la dénature. Il faut puiser à la source du silence pour que les oreilles entendent et que l’âme comprenne.

Comme pour répondre à Jean l’Évangéliste, Valentin, chrétien gnostique né en Égypte, disait : « Au commencement était le Silence, Éon éternel, source des Éons, l’invisible silence, l’innommé, l’ineffable, l’Abîme ; la langue vulgaire l’appelle Dieu ».

Lorsque le travail est terminé, les multiples ondes personnelles se sont accordées en une onde unique qui s’est progressivement résorbée, l’agitation s’est dissipée, et le silence règne de nouveau sur les Colonnes. Nous pouvons alors nous retirer, sous la loi du silence.

Les Frères et les Sœurs de la Respectable Loge Aset-Astarté ont dit.

Source : GRANDE LOGE TRADITIONNELLE INITIATIQUE

A.S.:

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