MISCELLANÉES MAÇONNIQUES par Guy Chassagnard
En franc-maçon de tradition, attaché à l’histoire de ce qui fut jadis le Métier de la Maçonnerie avant que de devenir la Maçonnerie spéculative des Maçons libres et acceptés, notre frère Guy Chassagnard met en chroniques ce qu’il a appris dans le temple et… dans les textes ; en quarante et quelques années de pratique maçonnique. Ceci selon un principe qui lui est cher : Apprendre en apprenti, comprendre en compagnon, partager en maître.
Chronique 108
1736 – La Loge Coustos-Villeroy
Il convient de le souligner : on ne sait que peu de choses sur la Loge de MM. Coustos-Villeroy, qui eut pour lieu de réunion l’auberge À la Ville de Tonnerre, située rue des Boucheries ; du moins avant le mois de décembre 1736 et après le mois de juillet 1737, car demeure seulement, pour cette période de huit mois, un recueil de comptes-rendus saisi fort opportunément par le lieutenant de police René Hérault.
Selon ce plus ancien registre de loge français qui nous soit parvenu, près de soixante francs-maçons se réunissent en 1736 sous le maillet du vénérable maître John (Jean) Coustos (1703-1746), parmi lesquels Christophe Jean Baur (futur substitut du comte de Clermont), Bontems (Louis Alexandre, valet de chambre de Louis XV), Jacques Christophe Naudot (chansonnier), et Ricaud (poète).
À retenir que lors de la troisième tenue de la loge, le 14 février, il est décidé de recevoir « masson » Louis François de Neufville, duc de Retz et de Villeroy (1695-1766), qui est admis à la maîtrise trois jours plus tard et, « au désir unanime de la Loge […], déclaré maître de la loge dont il a pris possession en la forme et l’ordre requis ».
Le registre de la loge fait état de quelque dix-sept tenues, au cours desquelles il a été question du port de l’épée par le maître de loge, de l’organisation par voie de fèves des différents scrutins et du fait que la Maçonnerie ne saurait être un « Ordre de Chevalerie mais de Société ».
Il montre clairement que le duc de Villeroy, devenu vénérable maître, n’a dirigé en personne qu’une seule fois les travaux de la loge. Peut-on penser que celle-ci a poursuivi ses activités au-delà du 17 juillet 1737 ? Rien ne l’infirme ni ne le confirme
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© Guy Chassagnard – Auteur de : La Franc-Maçonnerie en Question (DERVY, 2017),
– Les Constitutions d’Anderson (1723) et la Maçonnerie disséquée (1730) (DERVY, 2018),
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Un peu succint.
d'abord la personnalité de Jean Coustos. Jean Coustos était, comme Desaguliers, un huguenot français, né à Berne d'un père chirurgien, lequel s'installa en Angleterre du fait de la révocation de l'Edit de Nantes. Il exerçait la profession de joaillier. Il fut reçu maçon à Londres en 1730, et y fut très actif, fréquentant notamment à la French Union Lodge n° 75, qui comprenait divers musiciens, dont Mercy. Il s'installa ensuite, en 1736, à Paris.
Véritable missionnaire de la maçonnerie, il partit en 1741 au Portugal, où son activité maçonnique lui valut d'être, en 1743, emprisonné et torturé par l'Inquisition. Contrairement à ses Frères portugais, sa nationalité étrangère lui évita la peine capitale. Condamné aux galères, il en sortit en 1744 grâce à l'intervention du roi d'Angleterre (et sans doute de la Franc-Maçonnerie) et trouva refuge à Londres, d’où il écrira un livre sur ses mésaventures avec l’inquisition portugaise.
La couverture du livre reflète d'ailleurs la forme des divulgations sur la Franc-Maçonnerie qui fleurissent à cette époque et elle contient divers symboles maçonniques dont la localisation symbolique de la Loge dans la vallée de Josaphat, conformément au tuileur anglais de 1725, « dialogue de Simon et Philippe » ), montrant bien que ce sont les rituels de ma grande loge de Londres qui sont utilisés.
Cette Loge avec celle "au Louis d'Argent" et "Bussy d'Aumont" sont citées dans le texte de Lalande de 1773, comme une émanation de la loge St Thomas de Derwentwater. Mais, là encore, on voit mal comment, avec les personnalités en présence et les enjeux politico-religieux de cette période, ces trois loges d’obédience manifestement hanovrienne aient pu être issues de l’essaimage d’une éventuelle loge jacobite.
L’opposition entre les loges hanovriennes et la loge de St Thomas d’inspiration jacobite, n’est pas seulement politique, mais philosophique, et on peut en mesurer l’importance sur ce tracé de la Loge de Coustos-Villeroy du 12 mars 1737 .
« Feuillet 138 Ce jour d’hui, 12 mars 1737….
Il a été proposé encore par le Vénérable Maître Cousteau au lieu et place du très vénérable Duc Mon Seigneur le duc de Villeroy maître de notre Loge que les maîtres des loges et surveillants doivent s’assembler avec le Grand Maître des Loges de France au sujet de quelques innovations qui sont faites dans la loge dudit grand Maître, comme de tenir l’épée à la main dans les réceptions, de trouver dans le balotage des voix plus nombreuses que le nombre de frères présents, les avis pris par le Vénérable Maître Cousteau les frères d’un commun accord ont dit qu’il n’était pas permis à personne de faire des lois dans la maçonnerie puisque la charge de grand maître, de maître et de surveillants ne consiste qu’à faire observer celles qui nous ont été transmises par la tradition. Cette uniformité distinguant les maçons de tout autre secte et cette uniformité les ayant rendu respectables par toute l’Europe sans laquelle on ne sera pas reconnu maçon dans un autre pays puisque l’on ne doit pas porter de métaux à sa réception et les frères ont ajouté que l’ordre n’était pas un ordre de chevalerie, mais de société où tout homme de probité peut être admis sans porter l’épée , bien que plusieurs seigneurs et princes se font un plaisir d’en être….. »
Il semble plus conforme à la logique historique de l’époque, de penser, en ne considérant que les documents avérés, que Desaguliers et le Duc de Richmond, chacun ayant des attaches en France, aient entrepris, à la fin de la décennie de 1720, la « conquête » maçonnique de ce pays à travers la création de plusieurs Loges régulières avec des francs-maçons convaincus, souvent issus du milieu huguenot, véritables missionnaires de la nouvelle philosophie et que, par réaction, pour contrer ces créations, Derwentwater et les stuartistes aient voulu , aux alentours de 1735, fonder une Loge jacobite, pour utiliser l’engouement pour la Franc-maçonnerie hanovrienne avec l’espoir d’en concurrencer le développement.