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« LA LIBERTE DE CONSCIENCE EST MENACEE… » dixit LE GRAND MAÎTRE DU GODF


ENTRETIEN. Nicolas Penin, Grand Maître du Grand Orient de France, lance ce 10 avril un appel à constitutionnaliser les deux premiers articles de la loi de 1905. Idée utile pour préserver la laïcité ou initiative symbolique ?

Nicolas Penin est le grand maître de l’organisation franc-maçonne le Grand Orient de France (GODF) depuis août 2024. © Vernier Jean-Bernard / Vernier Jean-Bernard/JBV News/ABACA

Source : Site Le Point – Propos recueillis par Hadrien Brachet – 10/04/2025 

En cadeau d’anniversaire ? En décembre prochain, la loi de 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État soufflera ses 120 bougies. Le Grand Orient de France (GODF) veut profiter de l’occasion pour relancer l’un de ses vieux projets : la constitutionnalisation de ce texte. L’obédience maçonnique lance officiellement ce 10 avril un appel, ouvert aux signatures, à constitutionnaliser ses deux premiers articles. L’un protège la « liberté de conscience » et « le libre exercice des cultes » quand le second édicte que la « République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne » aucun d’entre eux.

Le Grand Orient remet ainsi sur la table une proposition de constitutionnalisation portée par François Hollande au cours de sa campagne de 2012… sans qu’elle se concrétise. Au-delà de l’aspect symbolique, à quoi servirait-elle vraiment ? Le Point s’entretient avec Nicolas Penin, grand maître du Grand Orient de France depuis août 2024.

Le Point : Pourquoi lancez-vous cet appel ? Estimez-vous que la loi de 1905 est menacée ?

Nicolas Penin : Cet appel est issu d’une décision collective de notre obédience. Nous souhaitons constitutionnaliser les deux premiers articles de la loi de 1905 pour protéger la liberté de conscience et la séparation des Églises et de l’État. Ces principes sont menacés de disparition ou de manipulation. Les adversaires de cette loi officient rarement à visage découvert ; ils font même parfois preuve d’une bienveillance surjouée vis-à-vis d’elle.

Derrière, nous voyons bien les tentatives de créer des exceptions à ses principes en considérant, par exemple, que certaines religions relèveraient davantage de la culture que du culte… Comme nous l’avons vu avec l’interruption volontaire de grossesse, des droits qui paraissent imprescriptibles et fondamentaux peuvent être mis en danger.

La laïcité ne peut pas être un principe que l’on ressort seulement de manière défensive autour de telle ou telle actualité.

Mais, concrètement, qui identifiez-vous comme les adversaires de cette loi ?

Ses adversaires peuvent être de tous ordres. On en trouve à l’extrême droite ou à la droite républicaine avec des responsables comme Éric Ciotti ou Bruno Retailleau, tentés de vanter une tradition historique française qui serait supérieure à celle de la République. D’une manière générale, il y a beaucoup de confusions sur la laïcité de ce côté de l’échiquier.

En témoigne la tentation d’étendre la neutralité à l’espace public. À l’autre bout du spectre, des menaces viennent aussi de l’extrême gauche, avec des propositions de certains responsables de La France insoumise qui détournent la laïcité au nom de la valorisation d’un certain communautarisme.

La réponse française a vocation à être fraternelle et humaniste, avec un universalisme qui ne reconnaît que des individus et non des associations ou des communautés. Nous ne devons pas céder à tout ce qui peut faire entrer notre pays dans l’ère de l’identitarisme ou du communautarisme. C’est en se rendant à l’étranger que l’on prend conscience de cette forme de concorde et de paix sociale que ce modèle universaliste nous offre.

Au-delà de l’aspect symbolique, que changerait vraiment cette constitutionnalisation ?

Cela permettrait de bâtir une défense laïque plus efficace. D’abord, les adversaires de la loi de 1905 ne s’attaqueraient plus seulement à un texte, mais à un principe constitutionnel ; cela n’aurait pas la même implication. Ensuite, cela pourrait impulser une réflexion plus large sur les manières de défendre la laïcité, que ce soit, par exemple, par la création d’un défenseur de la laïcité ou d’un ministère dédié.

La laïcité ne peut pas être un principe que l’on ressort seulement de manière défensive autour de telle ou telle actualité. Plus largement, nous devons prendre conscience des menaces qui pèsent au niveau international sur la liberté de conscience. Lorsque, dans des universités américaines, des scientifiques sont interdits de prononcer certains mots, on entre dans quelque chose de très dangereux.

Je ne suis pas sûr que François Bayrou soit le meilleur défenseur de la laïcité.

Dans les faits, la liberté de conscience n’est-elle pas déjà constitutionnellement garantie ?

Tout ce qui n’est pas écrit n’est pas dit. Il faut faire preuve d’une grande prudence quand on sait combien les interprétations du droit peuvent varier.

Cette proposition aurait-elle un impact sur le concordat en vigueur en Alsace-Moselle ?

Cette constitutionnalisation remettrait certainement en cause les régimes dérogatoires.

Dans le contexte politique très instable, cette initiative a-t-elle vraiment une chance d’aboutir ?

L’objet de cet appel est justement d’obliger chaque force politique à prendre position et à assumer son choix. Tout le monde se drape derrière la laïcité, mais là, une proposition concrète est sur la table. J’ajoute que nous ne sommes pas les premiers à aborder la constitutionnalisation de la loi de 1905. Même un ancien président de la République l’avait proposée et n’était pas allé jusqu’au bout… Et puis, dans l’histoire, combien de fois des idées que nous pensions infaisables ont-elles finalement abouti ? Si ses défenseurs avaient été défaitistes, la République elle-même n’aurait jamais vu le jour !

Pour l’instant, le Premier ministre n’a pas souhaité nous recevoir. Cela donne une première indication. Par ailleurs, sur la fin de vie, nous avons le sentiment que tout est fait pour que ce dossier, auquel les Français sont très attachés, n’aboutisse pas. Des raisons de conscience ou de religion ne sont peut-être pas étrangères à cela… Tout comme le président de la République, dont on attend encore un véritable discours sur le sujet, je ne suis pas sûr que François Bayrou soit le meilleur défenseur de la laïcité.


A.S.: