Histoire de la Reine du matin et de Soliman, Prince des Génies.
Chapitre XII. Macbénach
(…) Le temps était bas, et le soleil, en pâlissant, avait vu la nuit sur la terre. Au bruit des manteaux sonnant l’appel sur les timbres d’airain, Adoniram, s’arrachant à ses pensées, traversa la foule des ouvriers rassemblés ; et pour présider à la paye il pénétra dans le temple, dont il entrouvrit la porteorientale, se plaçant lui-même au pied de la colonne Jakin.
Des torches allumées sous le péristyle pétillaient en recevant quelques gouttes d’une pluie tiède, aux caresses de laquelle les ouvriers haletants offraient gaiement leur poitrine.
La foule était nombreuse ; et Adoniram, outre les comptables, avait à sa disposition des distributeurs préposés aux divers ordres. La séparation des trois degrés hiérarchiques s’opérait par la vertu d’un mot d’ordre qui remplaçait, en cette circonstance, les signes manuels dont l’échange aurait pris trop de temps. Puis le salaire était livré sur l’énoncé du mot de passe.
Le mot d’ordre des apprentis avait été précédemment JAKIN, nom d’une des colonnes de bronze ; le mot d’ordre des autres compagnons, BOOZ, nom de l’autre pilier ; le mot des maîtres JÉOVAH.
Classés par catégories et rangés à la file, les ouvriers se présentaient aux comptoirs, devant les intendants, présidés par Adoniram qui leur touchait la main, et à l’oreille de qui ils disaient un mot à voix basse. Pour ce dernier jour, le mot de passe avait été changé. L’apprenti disait TUBALKAÏN ; le compagnon, SCHIBBOLETH ; et le maître, GIBLIM.
Peu à peu la foule s’éclaircit, l’enceinte devint déserte, et les derniers solliciteurs s’étant retirés, l’on reconnut que tout le monde ne s’était pas présenté, car il restait encore de l’argent dans la caisse.
« Demain, dit Adoniram, vous ferez des appels afin de savoir s’il y a des ouvriers malades, ou si la mort en a visité quelques-uns. »
Dès que chacun fut éloigné, Adoniram vigilant et zélé jusqu’au dernier jour, prit, suivant sa coutume, une lampe pour aller faire la ronde dans les ateliers déserts et dans les divers quartiers du temple, afin de s’assurer de l’exécution de ses ordres et de l’extinction des feux. Ses pas résonnaient tristement sur les dalles : une fois encore il contempla ses oeuvres, et s’arrêta longtemps devant un groupe de chérubins ailés, dernier travail du jeune Benoni.
« Cher enfant ! » murmura-t-il avec un soupir.
Ce pèlerinage accompli, Adoniram se retrouva dans la grande salle du temple. Les ténèbres épaissies autour de sa lampe se déroulaient en volutes rougeâtres, marquant les hautes nervures des voûtes, et les parois de la salle, d’où l’on sortait par trois portes regardant le septentrion, le couchant et l’orient.
La première, celle du nord, était réservée au peuple ; la seconde livrait passage au roi et à ses guerriers ; la porte de l’Orient était celle des lévites ; les colonnes d’airain, Jakin et Booz, se distinguaient à l’extérieur de la troisième.
Avant de sortir par la porte de l’occident, la plus rapprochée de lui, Adoniram jeta la vue sur le fond ténébreux de la salle, et son imagination frappée des statues nombreuses qu’il venait de contempler évoque dans les ombres le fantôme de Tubal-Kaïn. Son oeil fixe essaya de percer les ténèbres ; mais la chimère grandit en s’effaçant, atteignit les combles du temple et s’évanouit dans les profondeurs des murs, comme l’ombre portée d’un homme éclairé par un flambeau qui s’éloigne. Un cri plaintif sembla résonner sous les voûtes.
Alors Adoniram se détourna s’apprêtant à sortir. Soudain une forme humaine se détacha du pilastre, et d’un ton farouche lui dit :
« Si tu veux sortir, livre-moi le mot de passe des maîtres. »
Adoniram était sans armes ; objet du respect de tous, habitué à commander d’un signe, il ne songeait pas même à défendre sa personne sacrée.
« Malheureux ! répond-il en reconnaissant le compagnon Méthousaël, éloigne-toi ! Tu seras reçu parmi les maîtres quand la trahison et le crime seront honorés ! Fuis avec tes complices avant que la justice de Soliman atteigne vos têtes. »
Méthousaël l’entend, et lève d’un bras vigoureux son marteau, qui retombe avec fracas sur le crâne d’Adoniram. L’artiste chancelle étourdi, par un mouvement instinctif, il cherche une issue à la seconde porte, celle du Septentrion. Là se trouvait le Syrien Phanor, qui lui dit :
« Si tu veux sortir, livre-moi le mot de passe des maîtres !
– Tu n’as pas sept années de campagne ! répliqua d’une voix éteinte Adonirm.
– Le mot de passe !
– Jamais ! »
Phanor, le maçon, lui enfonça son ciseau dans le flanc ; mais il ne put redoubler, car l’architecte du temple, réveillé par la douleur, vola comme un trait jusqu’à la porte d’Orient, pour échapper à ses assassins.
C’est là qu’Amrou le Phénicien, compagnon parmi les charpentiers, l’attendait pour lui crier à son tour :
« Si tu veux passer, livre-moi le mot de passe des maîtres.
– Ce n’est pas ainsi que je l’ai gagné, articula avec peine Adoniram épuisé ; demande-le à celui qui t’envoie. »
Comme il s’efforçait de s’ouvrir un passage, Amrou lui plongea la pointe de son compas dans le coeur.
C’est en ce moment que l’orage éclata, signalé par un grand coup de tonnerre.
Adoniram était gisant sur le pavé, et son corps couvrait trois dalles. A ses pieds s’étaient réunis les meurtriers, se tenant par la main.
« Cet homme était grand, murmura Phanor.
-Il n’occupera pas dans la tombe un plus vaste espace que toi, dit Amrou.
– Que son sang retombe sur Soliman Ben-Daoud !
– Gémissons sur nous-mêmes, répliqua Méthousaël, nous possédons le secretdu roi. Anéantissons la preuve du meurtre ; la pluie tombe ; la nuit est sans clarté ; Éblis nous protège. Entraînons ces
restes loin de la ville, et confions-les à la terre. »
Ils enveloppèrent donc le corps dans un long tablier de peau blanche, et, le soulevant dans leurs bras, ils descendirent sans bruit au bord du Cédron, se dirigeant vers un tertre solitaire situé au-delà du chemin de Béthanie. Comme ils y arrivaient, troublés et le frisson dans le coeur, ils se virent tout à coup en présence d’une escorte de cavaliers. Le crime est craintif, ils s’arrêterent ; les gens qui fuient sont timides… et c’est alors que la reine de Saba passa en silence devant des assassins épouvantés qui traînaient les restes de son époux Adoniram.
Ceux-ci allèrent plus loin et creusèrent un trou dans la terre qui recouvrit le corps de l’artiste. Après quoi Méthousaël, arrachant une jeune tige d’accacia, la planta dans le sol fraîchement labouré sous lequel reposait la victime.
Pendant ce temps-là, Balkis fuyait à travers les vallées ; la foudre déchirait les cieux, et Soliman dormait.
Sa plaie était plus cruelle, car il devait se réveiller. (…) le bruit du meurtre d’Adoniram s’étant répandu, le peuple soulevé demanda justice, et le roi ordonna que neuf maîtres justifiassent de la mort de l’artiste, en retrouvant son corps.
Il s’était passé dix-sept jours : les perquisitions aux alentours du temple avaient été stériles, et les maîtres parcouraient en vain les campagnes. L’un d’eux, accablé par la chaleur, ayant voulu, pour gravir plus aisément, s’accrocher à un rameau d’acacia d’où venait de s’envoler un oiseau brillant et inconnu, fut surpris de s’apercevoir que l’arbuste entier cédait sous sa main, et ne tenait point à la terre. Elle était récemment fouillée, et le maître étonné appela ses compagnons.
Aussitôt les neuf creusèrent avec leurs ongles et constatèrent la forme d’une fosse.
Alors l’un d’eux dit à ses frères :
« Les coupables sont peut-être des félons qui auront voulu arracher à Adoniram le mot de passe des maîtres. De crainte qu’ils n’y soient parvenus, ne serait-il pas prudent de le changer?
– Quel mot adopterons-nous ? objecta un autre.
– Si nous retrouvons là notre maître, repartit un troisième, la première parolequi sera prononcée par l’un de nous servira de mot de passe ; elle éternisera le souvenir de crime et du serment que nous faisons ici de le venger, nous et nos enfants, sur ses meurtriers, et leur postérité la plus reculée. »
Le serment fut juré ; leurs mains s’unirent sur la fosse, et ils se reprirent à fouiller avec ardeur.
Le cadavre ayant été reconnu, un des maîtres le prit par un doigt, et la peau lui resta à la main ; il en fut de même pour un second ; un troisième le saisit par le poignet de la manière dont les maîtres en usent envers le compagnon, et la peau se sépara encore ; sur quoi il s’écria : MAKBÉNACH, qui signifie : LA CHAIR QUITTE LES OS.
Sur-le-champ ils convinrent que ce mot serait dorénavant le mot de maître et le cri de ralliement des vengeurs d’Adoniram, et la justice de Dieu a voulu que ce mot ait, durant des siècles, ameuté les peuples contre la lignée des rois.
Phanor, Amrou et Méthousaël avaient pris la fuite ; mais reconnus pour de faux frères, ils périrent de la main des ouvriers, dans les États de Maaca, roi du pays de Geth, où ils se cachaient sous les noms de Sterkin, d’Oterfut et de Hoben.
Néanmoins, les corporations, par une inspiration secrète, continuèrent toujours à poursuivre leur vengeance déçue, sur Abiram, ou le meurtrier… Et la postérité d’Adoniram resta sacrée pour eux ; car longtemps après ils juraient encore par les fils de la veuve, ainsi désignaient-ils les descendants d’Adoniram et de la reine de Saba.
Bonjour,
Permettez quelques mots au sujet de la réalité voilée derrière la légende d’Hiram. Merci.
C’est dans la cérémonie d’initiation au 3e degré des Mystères de Jérusalem qu’on faisait l’histoire de Myriam et qu’on disait : « Notre grande Maîtresse innocente était née pour être heureuse, pour jouir en toute plénitude de tous ses droits sans exception, mais elle est tombée sous les coups de trois assassins. » Nous avons déjà vu que le nom d’ « Hiram » doit se lire de droite à gauche comme lisent les Hébreux et non de gauche à droite suivant L’usage des Européens : Hiram alors devient Maria. Le heth final se prononce A.
C’est l’antique nom de Myriam qui, en passant de l’égyptien à l’hébreu des temps postérieurs, est devenu Maria.
Daud voulut perpétuer, dans les Mystères qu’elle institua, l’histoire de la grande Femme qui fut l’auteur du Sépher.
D’après la légende qui a surnagé, il y eut trahison et meurtre. On croit qu’elle fut enterrée vivante, comme cela fut dit, peut-être symboliquement. En tout cas, c’est son œuvre qui fut étouffée, tuée, trahie, c’est-à-dire altérée. C’est sa personnalité qu’on s’acharna à faire disparaître de l’histoire ; et l’on y parvint, puisque, deux siècles après Daud, on commença à donner au Sépher un auteur masculin : Moïse.
Daud prévoyait ce meurtre, puisqu’elle voulut perpétuer le nom de MARIA, en le cachant dans le rituel des assemblées secrètes.
Cette précaution prouve qu’on ne pouvait pas glorifier ouvertement Myriam, parce que cette glorification déchaînait la colère des hommes.
On cite parmi ceux qui la trahirent Sterkin, Oterfut, Abibala… dont on fera Jubelas, Jubelos, Jubelum, quand on cachera la première légende sous une seconde (1).
L’acacia, qui symbolisait la Femme et son œuvre scientifique, devint l’arbre funéraire quand elle tomba de son piédestal primitif.
Cet événement est relaté dans toutes les vieilles Écritures sacrées. C’est la descente d’Istar aux Enfers ; celle de Proserpine dans la sombre demeure de Pluton ; c’est aussi le thème du Livre des Morts des Égyptiens.
Mais les Israélites, en reproduisant ce mythe, le personnifièrent en leur grande Femme méconnue, leur législatrice, Myriam Hathor. On désignait cette triste époque par le mot Mac-Benac qui signifie désunion.
Plus tard, dans la seconde légende qui voilera la première, on dira que ce mot signifie : la chair quitte les os, ce qui est en effet une désunion, mais bien différente de la première signification du mot : la désunion de l’homme et de la Femme.
Dans les Initiations aux « Mystères » de Jérusalem, on demandait au postulant s’il avait les mains pures, c’est-à-dire s’il n’avait pas participé au meurtre moral de la Femme, ce qui était alors le grand crime. Puis on lui faisait considérer une tête de mort dans laquelle brûle une lumière (une bougie dans les temps modernes) ; cela signifie : la Femme est morte, c’est dans sa tête qu’a brillé l’esprit féminin. Le rituel lui fait dire : « J’ai été, et je ne suis plus ; j’ai commandé, j’ai aimé, j’ai pratiqué la vertu, et pourtant je ne suis plus. »
Une lumière matérielle a été mise là où brillait la lumière divine, là où la Pensée rayonnait. Qui a détruit ce bel ouvrage ? Cette tête nous indique l’abîme dans lequel nous serons engloutis quand l’imposture aura triomphé et aura poussé l’homme pervers à commettre le crime !
« La Maîtresse que nous pleurons est celle qui nous éclairait dans nos travaux, qui nous consolait dans nos afflictions, et qui soutenait notre courage.
« Cette Maîtresse, c’est Myriam. »
Puis on racontait l’histoire de la femme brutalement renversée par l’homme téméraire qui voulait atteindre le sommet qu’elle occupait, sans se donner la peine d’étudier la science qui y conduit. Il avait voulu conquérir par la force l’autorité qu’on n’acquiert que par la science et la sagesse ; et il la tua, croyant sottement que, Elle disparue, il pourrait occuper sa place et faire ce qu’elle faisait. Mais il s’aperçut alors que le meurtre ne lui donnait pas la lumière, et que, au lieu de la puissance qu’ils rêvaient, les traîtres n’eurent en partage que le remords d’un crime inutile.
Ces traîtres qui tuèrent la Déesse Myriam, pour prendre sa place, ce sont les Prêtres de toutes les Nations.
Cette histoire fut cachée, plus tard, sous une nouvelle « légende d’Hiram », donnant à ce personnage le sexe masculin et masculinisant son nom, en l’appelant Adon-Hiram. Mais l’idée fondamentale resta celle qui faisait le fond de la lutte de l’homme contre la femme, et de sa prétention de faire ce qu’elle faisait, croyant posséder les mêmes facultés qu’elle, du moment qu’il était admis, comme elle, dans la chambre du milieu. (C’est sous ces mots qu’on cacha le secret des Déesses.)
C’est sous cette forme masculinisée que la légende d’Hiram a passé dans la Franc-Maçonnerie moderne. Les rituels en donnent un résumé très suggestif pour ceux qui connaissent bien le symbolisme : c’est encore la mort et la résurrection d’un personnage mystérieux.
Dans les cérémonies antiques, après la scène funéraire, on changeait l’ornementation du temple ; on remplaçait les draps noirs par des draps de couleur ; tout reprenait un air d’allégresse, et l’on célébrait par des acclamations de joie l’heureux jour attendu qui ramenait la lumière qu’on avait crue à jamais perdue.
Ce mythe symbolique, qui a été conservé, remplissait l’histoire de l’époque de Daud ; c’était l’actualité.
En Egypte, la Maîtrise, premier grade de l’Initié, se nommait « Porte de la mort », parce qu’on touchait aux confins de la vie et de la mort, suivant l’expression d’Apulée, on descendait dans la tombe noire de l’Humanité, c’est-à-dire dans la vie de mensonge et d’erreur que faisait naître le règne de l’homme, pour renaître ensuite à la lumière et à la vie renouvelée, avec le retour de la Femme dans son ancien pouvoir.
Cette allégorie, toujours la même, se retrouve dans toutes les religions, dans une multitude de légendes, sous des noms différents. Partout c’est la même idée : un martyr succombe sous les coups du génie du mal et subit le trépas pour recommencer bientôt après une vie glorieuse et immortelle. C’est le dogme de la lutte éternelle des sexes, des deux Principes opposés qui pèsent sur le monde : le Bien et le Mal, la Lumière et les Ténèbres.
Si nous lisons l’histoire des siècles passés, si nous jetons les yeux autour de nous, nous voyons que, partout où la Femme est vaincue, le talent est méconnu, la vraie science méprisée, la vertu persécutée, l’ignorance, le fanatisme et l’ambition gouvernent le monde.
« Détruire cet empire pour faire régner à sa place la Vérité, qui est la science même, la défendre contre des ennemis intéressés à la proscrire ; telle est la tâche qui était imposée aux Initiés, tel est le devoir qu’ils devaient remplir, même au péril de leur vie. »
Ces admirables paroles que les Femmes asservies et persécutées avaient mises dans leurs rituels, la Tradition les a propagées et les Loges les ont textuellement gardées.
Les Rituels des Mystères de Jérusalem ont été écrits dans le même esprit que les Psaumes : on y trouve, comme dans la doxologie, l’agonie de la Puissance Féminine, le cri de vengeance de la Femme trahie, le chant de tristesse dont les échos vont envelopper le monde.
Nous pouvons donc croire que c’est Daud elle-même qui a écrit le rituel des trois premiers grades, les seuls qui existèrent primitivement. Nul homme, par la suite, n’a atteint à cette hauteur spirituelle et morale. Une femme, et une femme-déesse, comme Daud, pouvait seule écrire cela.
(1) « Les trois assassins d’Hiram, dont les noms varient, ont été appelés Abiram, Romvel, Gravelot, ou Hobbhen, Schterche, Austersfuth, ou Giblon, Giblas, Giblos, etc. Les Templiers y voient Squin de Florian, Noffodei et l’inconnu qui les trahirent. Dans les Rose-Croix de Kiwinning, les trois assassins de la Beauté sont Cain, Hakan, Heni » (Papus).
Article du blog : https://livresdefemmeslivresdeverites.blogspot.com/2017/07/histoire-des-israelites.html
Cordialement.