Patrick Carré nous offre une nouvelle rubrique « La Langue des Oiseaux » qui reprend les premiers paragraphes de la conférence « Alchimie et Langue des Oiseaux » qu’il donnera en le 14 avril 2016 chez les Soeurs de l’atelier Sentier de Lumière de la GLFF en Tenue exceptionnelle (Voir annonce)
A noter également que Pierre Carré sera le Vendredi 15 avril à partir de 18h30, en Rencontre-dédicace à la Librairie DERAIN 25 rue Bugeaud Lyon °6 (voir annonce)
« La Langue des Oiseaux«
L’Alchimie est liée à la Langue des Oiseaux, car la pratique de l’une induit celle de l’autre, et il suffit juste d’être initié(e) à l’une pour l’être à l’autre. La connaissance des symboles et de l’analogie conduit régulièrement les Maçons à s’interroger sur l’Alchimie dont les trois Principes : Mercure, Soufre et Sel, sont présents dans le Cabinet de réflexion lors de l’initiation au premier degré du Rite, et sur la Langue des Oiseaux parlée par des initiés auxquels est réservée une certaine connaissance…
L’Alchimie comme la Langue des Oiseaux se découvrent progressivement par l’acquisition et la pratique d’un langage renouvelé, étonnamment riche de sens, à la fois complexe et éclairant, car il « déroge » souvent aux règles comme les poètes prennent des libertés avec les mots et la syntaxe en les transformant de l’intérieur. Ils redonnent ainsi « force et vigueur » aux racines des mots et des idées, et à une architecture du langage à plusieurs strates, dont les couches superposées « correspondent » par des passages secrets à découvrir…
Et « le jeu en vaut la chandelle » éclairant de son faible halot de lumière le cherchant, car il en va non seulement de la connaissance de soi-même, mais de la transformation de soi-même, d’une « renaissance » à soi-même semblables à des retrouvailles vécues intensément dans l’intimité de l’Etre. Il en va d’une « ré-orientation » de la vie même, car l’Alchimie et la Langue des Oiseaux modifient de l’intérieur ceux qui cherchent comme ceux qui trouvent leur propres pépites d’or…
Mais chaque chose « en son temps »… Ecoutons d’abord chanter la « Langue des Oiseaux », qui s’écoute partout où les idées libèrent les pensées pour qu’elles s’égaillent dans l’imaginaire, pour qu’elles s’affranchissent des pensums qui les emprisonnent. Le « pensum » qui est un « devoir » supplémentaire imposé aux écoliers, devient dans la « langue des oiseaux » un « devoir » superposé de l’extérieur au « Devoir » intérieur qui seul oriente l’homme vers l’essentiel. C’est aussi l’être qui se surajoute de l’extérieur des devoirs par couches successives pour séjourner en périphérie de lui-même, choisissant ainsi de demeurer le témoin passif de sa vie spirituelle, et à notre époque particulièrement c’est le « panse-homme » de ceux qui s’engourdissent dans le « pathos », car il est plus « confortable » intellectuellement de prendre pitié des autres que de prendre pitié de soi… La « langue des oiseaux » fait « voler » en éclats cette gangue superficielle dès qu’une oreille intérieure « se substitue » pour l’entendre à l’oreille externe, découvrant par là même les dimensions de l’être où elle résonne, vibre et se transmet.
Et le plus étrange est qu’elle est universelle et relie des femmes et des hommes étrangers qui soudain s’« entendent » en la parlant ; une langue qu’ils savent bien n’avoir jamais ouïe, dit Cyrano de Bergerac (1619-1655) dans son livre « L’Autre Monde », où un petit homme nu lui explique qu’elle « n’a aucun rapport avec pas une de ce monde-ci, laquelle toutefois (se comprend) plus vite et plus intelligemment que celle (d’une) nourrice. Il m’expliqua, quand je me fus enquis d’une chose si merveilleuse, que dans les sciences il y avait un « Vrai », hors lequel on était toujours éloigné du facile… Comme cet idiome est l’instinct ou la voix de la nature, il doit être intelligible à tout ce qui vit dans le ressort de la nature… Que la facilité donc avec laquelle vous entendez le sens d’une langue qui ne sonna jamais à notre ouïe ne vous étonne plus. Quand je parle, votre « âme » rencontre, dans chacun de mes mots, ce Vrai qu’elle cherche à tâtons ; et quoique sa raison ne l’entende pas, elle a chez soi Nature qui ne saurait manquer de l’entendre. »
Ce langage secret universel, d’origine et de génie grecs ainsi que nous l’apprend Cyrano de Bergerac dans son « Histoire des Oiseaux », sous-tend les langages dont les mots-symboles se nourrissent de leurs propres racines pour vivifier les pensées. Cette « langue des oiseaux » inspire les êtres éclairés par le cœur « et » la raison, dont le cœur est ouvert par des « ressentis » (re-sentis) d’« états d’âme » réguliers circulaires et cycliques devenant le nid de ces oiseaux, la langue symbolique ouvrant dans le même temps leur esprit à des idées qui se lovent comme des oiseaux dans ces nids. Cette langue parcourt les rues et les champs, éclaire les êtres en quête d’eux-mêmes et de Dieu « sous couvert » de mots d’esprit, et donne une saveur particulière à leur vie, un « parfum » subtil de joie à leur raison d’être, célébrant l’âme doucement rayonnante.
Les « mots d’esprit » sont la nourriture de ces oiseaux, et on les imagine piaillant à peine sortis de l’œuf et tendant instinctivement le cou, le bec ouvert, pour recevoir la précieuse nourriture qui les fera grandir. Les mots d’esprit court-circuitent les discours raisonnants des penseurs bien élevés à la pensée « lisse », en saisissant au passage un mot dans une phrase pour l’élever au rang de « prince de sens » ; un mot né de l’union de ses racines, comme les mots français pétris de racines grecques qui les éclairent de leurs sens premiers, leur permettant de dire vite et bien l’essentiel : « vite » , mais sans précipitation, pour préserver le temps qui file et ne se rattrape jamais, et « bien » pour se comprendre, et « bien » s’« entendre ». Un mot né des sons et du souffle des voyelles et consonnes qui le composent et le font « résonner » à l’oreille musicalement avant de toucher la raison et de « raisonner » l’être pensant.
Tous les mots sont donc des mots d’esprit qui s’ignorent, car il est rare en creusant un peu de ne pas voir apparaître une racine sous la surface unie du discours, ou d’entendre et de composer à partir des mêmes sons un autre « accord », comme on peut écrire un autre mot avec les mêmes lettres. Mais il faut être éveillé à des disciplines de l’esprit comme la guématrie, et « travailler » un minimum ses gammes de racines et de sons pour goûter à ces plaisirs raffinés de l’esprit, démultiplier les sens perçus par d’infinis jeux de miroirs, et voler comme l’oiseau migratoire des uns aux autres, sans jamais s’étourdir soi-même. Car le vol des oiseaux migratoires « de l’orient à l’occident, et de l’occident à l’orient, par toute la terre » est toujours « orienté », notamment par les lignes de champs magnétiques enrobant la planète terre, par la mémoire des vols de leurs aînés, et par la vision de la lumière polarisée au lever et au coucher du soleil pour affiner leur route migratoire et « recalibrer » régulièrement leur « compas » magnétique ou céleste.
Voilà un art de la re-connaissance plein d’analogies avec l’art de perce-voir qui fait lever les yeux au ciel et contempler la voûte étoilée tout en restant les pieds sur terre, à l’« écoute » des champs magnétiques terrestres, un art à transposer en soi-même pour re-connaître les « dipôles » magnétiques de forces positives et négatives qui quadrillent la psyché, et même re-créer ces champs de forces par des mots d’esprit, des saisies de racines « alambiquées » juste destinées à réveiller la pensée et la conscience somnolente. La conscience peut ainsi être comparée à une échelle graduée d’énergie vibratoire entre ces états d’endormissement et d’éveil, la « langue des oiseaux » renouvelant « régulièrement » les dimensions atteintes par la conscience éveillée ou en passe de l’être.
Mais les mots d’esprit se dissocient surtout des mots dénués d’esprit et de légèreté, attachés à copier et « singer » ce que disent leurs « semblables ». Ils sortent des mots ordinaires en touchant les points sensibles de l’imaginaire, en stimulant les zones érogènes de Psyché pour l’éveiller par des baisers à l’amour de la langue, à cette langue de l’amour baignant l’univers. Ils « touchent » aux symboles délivrant des sens à plusieurs degrés, et tissant des liens, au-delà des phrases et des idées « toutes faites », avec les mots d’autres phrases. L’écriture et la parole dans la langue des oiseaux brise ainsi les lignes conventionnelles pleines de sens et d’accords « parachutés » de haut en bas, afin au contraire de bas en haut d’élever les pensées, jusqu’à toucher l’imaginaire « au plus haut point ».
Les gens d’esprit ne sont donc pas sujets à des « courants d’air » qui les porteraient d’une idée à une autre, mais pratiquent surtout l’art de voler, de relier les mots et les idées en « s’attachant » aux sens de leurs racines, c’est-à-dire en ayant « à cœur » de dire l’essentiel, quitte à vouloir rapprocher des idées dites irréconciliables, quitte à dépasser « le cercle de leurs connaissances » pour dégourdir les esprits en mal d’idées et les remettre en mouvement et au travail. Ils ne se conforment en cela qu’à la Nature en mouvement, et en s’inspirant de « la langue des oiseaux », tendent à traduire en termes traditionnels des éléments et des processus naturels que la « langue courante » ne fait qu’effleurer. Ils substituent ainsi à des langues d’aujourd’hui « désaffectées », coupant les mots de leurs racines et de leurs terroirs, une langue riche en termes traditionnels où les sens en se croisant racontent des histoires nouvelles.
Ils disent qu’avant de briser la coque de l’œuf et d’en jaillir, les oiseaux de cette langue demeurent à l’état de « grain noir » et font croître les quatre Eléments primordiaux de leur matrice : le Feu, l’Eau, l’Air, la Terre. Ces oiseaux « en puissance » travaillent à faire croître le petit « soleil » jaune (le Feu) liquide (l’Eau) qui les nourrît, demeurant en équilibre et en suspension dans le blanc aérien qui les enveloppe (l’Air), à l’intérieur d’une coquille supportant les chocs terrestres (la Terre). Et ces « quatre éléments » interagissant les uns sur les autres génèrent dans l’œuf les trois Principes alchimiques : le Mercure (le blanc), le Soufre (le jaune), et le Sel (la coquille).
« Les Sages entendent par les termes d’« œuf des Philosophes », dit le moine alchimiste Pernety (1716-1796) « le vase dans lequel ils renferment leur matière pour la cuire ; et ils lui ont donné en conséquence la figure d’un œuf… (et entendent par là) non le contenant, mais le contenu, qui est proprement le vase de la Nature ; parce que le poulet philosophique y est enfermé, et que le feu interne de la matière excité par le feu extérieur, comme le feu interne de l’œuf excité par la chaleur de la poule, se ranime peu à peu, et donne la vie à la matière dont il est l’âme, d’où naît enfin l’enfant philosophique, qui doit enrichir et perfectionner ses frères. Œuf signifie plus communément la matière même du magistère qui contient le mercure, le soufre et le sel, comme l’œuf est composé du blanc, du jaune et de la pellicule ou la coque qui renferme le tout. Cette matière est appelée œuf, parce que rien ne ressemble mieux à la conception et à l’enfantement de l’enfant dans le ventre de sa mère, et à la génération des poulets, que les opérations du magistère, et de la pierre philosophale ; ce qui devrait servir de guide aux artistes… Raymond Lulle dit que la matière de l’œuvre s’accumule en forme d’œuf lorsqu’elle se fixe, et qu’elle est parvenue à la blancheur. » (Dom Pernety, Dictionnaire Mutho-Hermétique)
« Ce sont là, pensera-t-on, de simples « jeux de mots ». Nous en convenons volontiers. L’essentiel est qu’ils guident notre foi vers une certitude, vers la vérité positive et scientifique, clef du mystère religieux, et ne la tiennent pas errante dans le dédale capricieux de l’imagination. Il n’y a, ici-bas, ni hasard, ni coïncidence, ni rapport fortuit ; tout est prévu, ordonné, réglé, et il ne nous appartient pas de modifier à notre gré la volonté (insondable) du Destin. Si le sens usuel des mots ne nous permet aucune découverte capable de nous élever, de nous instruire, de nous rapprocher du Créateur, le vocabulaire devient inutile (et) le verbe, qui assure à l’homme l’incontestable supériorité, la souveraineté qu’il possède sur tout ce qui vit, perd sa noblesse, sa grandeur, sa beauté et n’est plus qu’une affligeante vanité.
« Or, la langue, instrument de l’esprit, vit par elle-même, bien qu’elle ne soit que le reflet de l’Idée universelle. Nous n’inventons rien, nous ne créons rien. Tout est dans tout. Notre microcosme n’est qu’une particule infime, animée, pensante, plus ou moins imparfaite, du macrocosme. Ce que nous croyons trouver par le seul effort de notre intelligence existe déjà quelque part. C’est la foi qui nous fait pressentir ce qui est ; c’est la révélation qui nous en donne la preuve absolue. Nous côtoyons souvent le phénomène, voire le miracle, sans le remarquer, en aveugles et en sourds. Que de merveilles, que de choses insoupçonnées ne découvririons-nous pas si nous savions disséquer les mots, en briser l’écorce et libérer l’esprit, divine lumière qu’ils renferment ! Jésus ne s’exprimait qu’en paraboles ; pouvons-nous nier la vérité qu’elles enseignent ? Et, dans la conversation courante, ne sont-ce pas des équivoques, des a peu près, des calembours ou des assonances qui caractérisent les « gens d’esprit », heureux d’échapper à la tyrannie de la « lettre », et se montrant à leur manière cabalistes sans le savoir ?
« La Langue des Oiseaux, mère et doyenne de toutes les autres, (est) la langue des philosophes et des « diplomates ». C’est elle dont Jésus révèle la connaissance à ses apôtres, en leur envoyant son esprit, l’« Esprit-Saint ». C’est elle qui enseigne le mystère des choses et dévoile les vérités les plus cachées. Les anciens Incas l’appelaient « Langue de cour », parce qu’elle était familière aux « diplomates », à qui elle donnait la clé d’une « double science » : la science sacrée et la science profane. Au moyen Age, on la qualifiait de « Gaie science », « Gay sçavoir », « Langue des dieux », « Dive-Bouteille » (Fulcanelli, Le Mystère des Cathédrales)
Cependant, la pratique des jeux de mots et l’extraction des racines grecques ne saurait suffire pour comprendre, « entendre » et parler une langue qui fait surtout appel à l’intuition acquise par des lectures « régulières », et même une communion avec les textes anciens et leurs auteurs : « Ora, lege, lege, lege, relege, labora et invenies (Prie, lis, lis, lis, relis, travaille et tu trouveras) » est-il écrit sur une planche du Mutus Liber, le « livre muet » de l’alchimie. Autrement dit, la prière, la relecture « régulière », le travail, et l’espérance, sont les « clés » de lecture de cette langue, dont le sens « alambiqué » des termes et expressions infuse progressivement les connaissances rationnelles et s’infiltre dans l’inconscient.…
Patrick Carré
Patrick Carré, né le 14 janvier 1953, est poète, philosophe, et Franc-Maçon français. Son œuvre littéraire et artistique comprend un nombre considérable de poèmes et de textes philosophiques principalement sur l’Initiation Traditionnelle à la vie spirituelle.
Initié à 23 ans à la Grande Loge de France, il est membre de la Juridiction du Suprême Conseil de France, de Rite Ecossais Ancien et Accepté. Il est membre de la Loge Art Royal, Grande Loge de France, à Versailles.
Diplômé de Philosophie (Faculté de Rennes), de Gestion (IGR et Enass), d’Arts Plastiques (Institut Van der Kelen-Logelain à Bruxelles et CAP de potier tourneur).
Son site internet « Patrick Carré Poésie » http://www.patrick-carre-poesie.net/ de 1000 pages, premier site de langue française d’études et de poèmes d’un Franc-Maçon avec plus de 800.000 visiteurs, concentre ses travaux et recherches sur l’Initiation Maçonnique, en particulier tous les degrés du Rite Ecossais Ancien et Accepté (REAA), symbolisant l’Œuvre alchimique de perfectionnement et de transformation intérieure des Maçons.
« Devenir Franc-Maçon et Membre de la Loge ART ROYAL » avec le lien http://www.patrick-carre-poesie.net/spip.php?page=devenir-membre
Livres et disque
- Livre « Francs-Maçons Alchimistes » (2015) (Editeur LiberFaber http://liberfaber.com/fr/accueil.html )
- CD « Le Flambeau » (incluant le recueil des 12 poèmes) (2013)
- Livre « Cathédrales » (2006)
- Livre « La Femme Chair, Cœur, Esprit » (2006)
Conférences
- Pensée symbolique et pensée sensible, illustrées par Dürer
- La pensée symbolique
- La Femme et la mixité en Franc-Maçonnerie
- La poésie en Franc-Maçonnerie
- L’univers du potier tourneur
- Le vitrail alchimique de la Cathédrale d’Orléans
Membre aux USA de la Masonry Poetry Society ( http://www.mpoets.org/ProceedingsNo7.htm )
Lauréat France Musique Contes du jour et de la nuit (émission du 12/06/2014) ( http://www.francemusique.fr/emission/contes-du-jour-et-de-la-nuit/2013-2014/selection-france-2-du-4e-appel-ecriture-patrick-carre-5-5-06-12-2014-00-00 )