MISCELLANÉES MAÇONNIQUES par Guy Chassagnard
En franc-maçon de tradition, attaché à l’histoire de ce qui fut jadis le Métier de la Maçonnerie avant que de devenir la Maçonnerie spéculative des Maçons libres et acceptés, notre frère Guy Chassagnard met en chroniques ce qu’il a appris dans le temple et… dans les textes ; en quarante et quelques années de pratique maçonnique. Ceci selon un principe qui lui est cher : Apprendre en apprenti, comprendre en compagnon, partager en maître.
Chronique 197
1767 – La Grande Loge interdite…
L’année 1767 est marquée par une crise sans précédent qui, compromettant l’expansion de l’Ordre maçonnique dans le royaume, va prévaloir tout au long des cinq années suivantes.
Elle oppose les aristocrates aux bourgeois, les maîtres de loge élus aux maîtres de loge à vie, les maçons parisiens aux maçons provinciaux, les titulaires de grades symboliques aux détenteurs de hauts grades.
Avec pour conséquence l’interdiction royale de la pratique maçonnique, du moins au niveau de la Grande Loge.
Le 4 février a bien lieu une assemblée de communication de quartier de l’obédience, convoquée par « ordre supérieur ».
Mais celle-ci s’achève, dit-on, en bagarre générale. Les frères pénistes « bannis » se présentent en effet en nombre important à la porte du temple et, forçant celle-ci, jettent le trouble dans la séance. Des voies de fait sont, peu fraternellement il est vrai, commises.
Quelques semaines plus tard, sur intervention du lieutenant général de la police, Antoine de Sartine, la Grande Loge de France doit mettre fin à ses travaux.
Il est, en effet, communiqué aux francs-maçons « les ordres du Gouvernement » selon lesquels « la Très Respectable Grande Loge de France suspendra ses travaux jusqu’à des temps plus heureux. »
On avance, sans pouvoir le prouver, que l’interdiction royale aurait été prise à la demande du grand maître, dont on ne discerne pas clairement les motivations.
Il s’ensuit une période obscure, riche en intrigues et en rivalités de toutes sortes – du moins à l’orient de Paris –, qui mènera dans l’ombre au schisme de 1773 et à la création de deux obédiences rivales : le Grand Orient de France et la Grande Loge dite de Clermont ou Ancienne Grande Loge.
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© Guy Chassagnard – Auteur de :
- La Franc-Maçonnerie en Question (DERVY, 2017),
- –Les Constitutions d’Anderson (1723) et la Maçonnerie disséquée (1730) (DERVY, 2018),
- –Le Dictionnaire de la Franc-Maçonnerie (SEGNAT, 2016).
- Les Annales de la Franc-Maçonnerie (SEGNAT 2019).
- La Chronologie de la Franc-Maçonnerie (SEGNAT 2019).
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J’ai déjà fait remarquer que « communication de quartier » est une mauvaise traduction de « quaterly communication » et veut dire en fait « réunion trimestrielle ». En effet depuis 1717, la Grande Loge est dans les faits une assemblée tous les 3 mois des maîtres et surveillants des Loges « constituées » en présence du Grand Maître et de ses officiers.
En outre dire que « que l’interdiction royale aurait été prise à la demande du grand maître, dont on ne discerne pas clairement les motivations. », c’est méconnaître les relations conflictuelles qui se sont installées entre la monarchie et la Franc-Maçonnerie en France. Louis XV et son 1er ministre/mentor le cardinal de Fleury voyait (à juste titre) dans la Franc-Maçonnerie des Modernes, quand elle s’est implantée en France, une résurgence de la Fronde des Parlements et des Princes de 1648-1652. Celle-ci voulait rétablir la monarchie respectueuse des Lois fondamentales du royaume qui reposait sur un équilibre entre la monarchie, le parlement et la haute aristocratie. La dérive absolutiste entamée sous Richelieu trouvera son apogée sous Louis XIV qui mettra le Parlement au pas et la haute aristocratie sous surveillance à Versailles.
Louis XV n’avait pas la poigne de fer ni l’implication de de son arrière grand père, mais il était sournois. Après avoir commencé à persécuter la Franc-maçonnerie naissante, il y a renoncé devant la résistance de la haute noblesse et notamment du Duc d’Antin. Mais en 1743, à la mort du Duc d’Antin, il fit élire le falot Comte de Clermont contre le militaire prestigieux qu’était le maréchal de Saxe, le futur vainqueur de Fontenoy et surtout contre le Prince de Conti, un des plus grands personnages de l’époque, mais frondeur impénitent et adversaire de la monarchie absolutiste des Bourbon avec les résultats catastrophiques que l’on connait sur l’administration de la Grande Loge.
On ne peut pas dire que la scission induite par le renvoi de Lacorne reflète un antagonisme entre bourgeoisie et aristocratie, alors que l’objectif de la Franc-maçonnerie à l’époque était de créer une sociabilité entre haute aristocratie et grande bourgeoisie sur le modèle anglais. Elle était bien plutôt entre « frondeurs », c’est-à-dire partisans d’une monarchie constitutionnelle et « absolutistes », partisans d’une monarchie despotique. Les troubles causés par les partisans de Lacorne risquaient donc de faire sauter le couvercle de la marmite sur laquelle le comte de Clermont était assis pour la maintenir fermée. C’est pourquoi débordé par ce mouvement (et il était vite « débordé »), le comte de Clermont avait demandé l’interdiction de réunion de la Grande Loge.
La meilleure preuve, c’est que, à la mort du comte de Clermont en 1771, les lacorniens sont allé chercher comme Grand Maître, le duc de Chartres, neveu du Prince de Conti et comme lui adversaire résolu de la monarchie absolue (il avait mené la « fronde » des princes dans l’affaire du parlement « Maupéou »), renouant avec la tradition anti-absolutiste de la Grande Loge d’Antin.