L’Art Royal est l’appellation noble de la Franc-maçonnerie … mais qu’en est il vraiment ? Que désigne et signifie ces deux mots … Voici une réponse, dénichée sur le site de la Loge Maçonnique Apollonius de Tyane, à l’Orient de Genève, du Grand Orient de Suisse….
« Pour aborder le sujet de I’Art Royal, il faut remonter dans le temps parce qu’aujourd’hui on n’en entend plus guère parler. Il semble que cette appellation date du Moyen-Age pour désigner en priorité l’activité des alchimistes, aussi parfois dénommée le grand art, avant de dériver vers certaines pratiques magiques, puis occultistes, avant de réapparaître dans la psychologie moderne, notamment dans les travaux de C.G. Jung.
Les Francs-maçons eux, incorporent l’Art Royal dans 1’étude des sujets maçonniques et ils se plaisent souvent à faire remonter leurs traditions jusqu’aux lointaines origines des premières civilisations. Je ne vais pas les décevoir ce soir puisque je vais remonter beaucoup plus loin encore, jusqu’à 1’apparition de 1’humain, non pas pour glorifier notre ordre mais pour tenter d’expliquer, si faire se peut, la démarche de l’Art Royal.
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L’apparition de l’homme, descendant de son cousin le singe, est caractérisée par deux phénomènes : le langage d’une part, et de 1’autre, la confection des outils. Toute 1’évolution humaine s’est développée à partir du langage et, ne l’oublions pas, de la confection des objets, d’abord des outils et des armes, puis de divers objets facilitant les tâches quotidiennes. C’est grâce à une conceptualisation, une représentation mentale tout d’abord, puis une mémorisation et une transmission entre les générations ensuite, que le phénomène humain s’est développé.
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Le langage semble avoir joué un rôle primordial dans ce développement, mais qu’en serait-il, s’il n’avait été accompagné par 1’activité manuelle, par la réalisation des objets. En résumé, on pourrait dire que le langage a donné naissance à la théorie et, l’activité manuelle à la pratique, à l’artisanat. On oppose souvent la théorie à la pratique, on débat de la primauté de l’une sur 1’autre, mais en fait le développement humain conjugue les deux, toute théorie nécessitant une vérification pratique pour être justifiée ou corrigée.
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Cette opération de mise en oeuvre forme ce qu’on appelle 1’expérience. L’humanité d’aujourd’hui n’est donc que le fruit de ces milliards d’expériences accumulées par les individus et mémorisées au cours des siècles. Mais la théorie n’a pas toujours précédé 1’expérience. Souvent 1’expérimentation donne naissance au concept théorique. De grandes découvertes sont parfois le fruit du hasard ou le résultat d’intuitions géniales. D’où proviennent-elles ? Le développement du génie humain s’explique facilement par la nécessité, par la volonté de survie. Nécessité fait loi, dit-on à juste titre, mais nécessité suffit-elle à tout expliquer ? Quelle nécessité de construire des temples, des cathédrales, de sculpter des anges, de peindre des madones ?
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Comment expliquer cet extraordinaire développement du génie humain, tout d’abord dans 1’architecture sacrée, des pyramides aux cathédrales, par le seul concept de la nécessité ? Les ouvrages militaires, les routes et les ponts, les habitations peuvent s’expliquer par le besoin de se défendre, de se protéger, mais l’architecture sacrée ? Jamais je ne me satisferai des explications freudiennes, des théories modernes s’évertuant à trouver une explication à l’inexplicable, se servant du refoulement ou de la peur des dieux pour tenter de justifier à bon compte 1’apparition de tant de génie, de tant d’énergies consacrées à un ou des buts immatériels. Il faut aller chercher dans d’autres directions, moins réductrices que les explications psychanalytiques et matérialistes à la mode pour comprendre ces phénomènes.
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Depuis l’apparition des premières civilisations sédentaires, 1’architecture et plus précisément l’art sacré font leur apparition, et révèlent les capacités créatrices des hommes. Les Assyriens, les Égyptiens, les Chaldéens, rivalisent de génie architectural pour exprimer leur dévotion, leur reconnaissance aux dieux, avant les grecs et les romains dont la démarche nous est plus familière. Tout cela en vain, selon les chantres du matérialisme régnant en maîtres sur la culture officielle d’aujourd’hui. Vraiment ? N’existe-t-il aucune autre explication à une telle débauche de génie créateur, dont nous sommes les lointains héritiers ? Tous ces édifices sacrés n’auraient aucun sens, aucune raison d’être ? Je ne le crois pas. Qu’ils aient perdu avec le temps leur signification originelle, je peux l’admettre, mais qu’ils aient perdu toute signification, je ne le pense pas. Leur message, qui formait le ciment de ces sociétés dont certaines ont disparues, nous interpelle encore, si nous voulons nous interroger au-delà des discours des penseurs matérialistes en vogue.
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Personne aujourd’hui n’accepterait en Europe, la destruction volontaire d’une cathédrale gothique, au nom de la sauvegarde du patrimoine. Mais savons-nous encore qu’au début du siècle passé, plusieurs églises romanes et gothiques ont été détruites, parfois seulement pour en récupérer les pierres comme à l’abbaye de Cluny, non loin de chez nous. Mais si ces cathédrales nous interpellent, ce n’est pas pour leur seule affectation religieuse, dont une minorité se soucie encore, mais pour leur valeur architecturale et sculpturale, pour un contenu que nous ressentons à défaut de 1’expliquer rationnellement. Si cette valeur est contenue dans les pierres, elle a été déposée, inscrite par le maillet et le ciseau de la main de 1’homme. L’œuvre, les chefs-d’œuvre de l’antiquité au Moyen-Age, sont les fruits du travail de l’homme, de la conjugaison du génie, de 1’esprit, et du travail manuel, de la mise en oeuvre, de la mise en forme des pierres, des objets.
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Lorsque nous étudions ces chefs-d’œuvre, nous nous penchons sur des ouvrages achevés, que nous détaillons pour en comprendre les structures, la géométrie, la beauté, etc. Cette démarche est efficace, et nous apprend beaucoup. Quelques-uns vont plus loin encore et tentent de redécouvrir les techniques oubliées de mise en oeuvre de ces édifices colossaux, si l’on connaît les faibles moyens techniques des hommes du passé. Mais au-delà du résultat et des techniques de mise en oeuvre, il demeure quelque chose de constant, d’immatériel, qui a permis la réalisation de ces chefs-d’œuvre. Cette «chose», c’est le travail, 1’énergie consacrée à cette mise en oeuvre, cet effort de tous les ouvriers, du plus humble au dirigeant, du transporteur au maître maçon pour les cathédrales. Tous ces efforts, ces énergies domptées, maîtrisées pour oeuvrer dans une direction unique, malgré la diversité des travaux entrepris, voilà qui mérite réflexion.
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Nous savons que les récompenses étaient maigres pour les ouvriers, esclaves dans les temps reculés, miséreux, puis bénévoles. Les travaux n’étaient pas accomplis par tous avec enthousiasme, amour des dieux, mais plutôt par contrainte ou nécessité encore… Cependant, dans l’accomplissement des tâches, dans la qualité des tailles des pierres, dans la précision du travail, digne des maîtres horlogers, dans la beauté et le raffinement des sculptures, nous percevons une présence humaine ou surhumaine pour certains, cette présence de la mise en oeuvre, du bonheur de la tâche accomplie, de 1’effort, de l’art… Il faut bien prononcer le mot et revenir sur son histoire pour mieux saisir son contenu, oublié ou dénaturé de nos jours.
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L’art. Le terme vient du latin et signifiait tout d’abord la science, le savoir, avant de devenir le moyen, la méthode, puis les aptitudes, 1’habileté, le savoir-faire. L’art est donc un savoir-faire, ce que l’homme ajoute à la nature. Par extension l’art est devenu l’ensemble d’une méthode, d’une discipline, nécessitant un apprentissage en vue d’une pratique. Cette définition a été reléguée depuis le XVIIIème siècle à 1’artisanat, réservant progressivement l’usage du noble vocable « art » aux artistes, à ceux dont la tâche exclusive est de produire le beau. Auparavant art et artisanat signifiaient une seule et même chose.
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La distinction entre artiste et artisan apparaît au XVIème siècle et sera consacrée plus tard avec la création des académies des Beaux-Arts. Cette distinction est issue de la culture européenne, de la Renaissance. En simplifiant, on peut dire que 1’artiste se consacre à une oeuvre de beauté, inutile pour la survie, Partisan à un ouvrage utile dont la beauté est ornementale, donc secondaire. Au XIXème siècle cette distinction s’est enrichie d’une nouvelle catégorie entre Beaux-Arts et artisanat avec la création des arts appliqués, issus du monde industriel. Dans la première moitié de notre siècle finissant, on peut signaler la tentative de réunir sous un même toit Beaux-Arts et arts appliqués avec la création de l’institut du Bauhaus à Weimar, puis à Dessau, due à 1’instigation de l’architecte Walter Gropius. Derrière cette tentative, se cachait peut-être le dessein de retrouver un art total, un Art Royal ?
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L’Art Royal est donc avant tout un art, c’est à dire un savoir-faire, une mise en oeuvre, une pratique, non pas une théorie. Il est lié à la vie même, à la fonction humaine, au devoir d’être humain. C’est la première constatation, la première certitude. La seconde a trait à l’œuvre, au chef-d’œuvre. La caractéristique du chef-d’œuvre, c’est d’aller au-delà de la simple fonctionnalité, d’être un ouvrage de transcendance, d’œuvrer vers quelque chose de plus que 1’objet dans sa seule fonction usuelle. Pourquoi décorer une arme, pourquoi construire un temple, une cathédrale ? Pour remercier les dieux ? C’est une explication. Pour dominer le peuple, lui inspirer la crainte? Cela en est une autre, mais ces explications d’ordre stratégique ou politique ne nous apprennent rien sur les qualités exceptionnelles des artisans constructeurs.
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Les intrigues du Vatican n’expliquent pas les dons des sculpteurs et des peintres, la majesté de la colonnade du Bernin ni la beauté du plafond de la chapelle Sixtine exécuté par Michel-Ange. L’histoire de 1’humanité conserve la trace des chefs-d’œuvre, elle rejette au rebut l’intrigue politique lui ayant parfois donné naissance. Et derrière la beauté de l’œuvre se profile le travail de 1’artiste ou de l’artisan consacrant son énergie à la mise en oeuvre. Sans cette opération magique de la mise en oeuvre, pas de sculpture, pas de peinture, aucun chef-d’œuvre. Il existe des peuples sans art, sans transcendance, on les appelle barbares… Quelquefois, j’ai l’impression que le monde contemporain, qui refuse toute transcendance, qui ne s’intéresse qu’à l’accomplissement des besoins nécessaires à la survie, comme notre société de consommation mercantile, s’apparente de plus en plus au parcours de ces peuples barbares. Heureusement, dans nos démocraties diverses tendances cohabitent plus ou moins bien, mais elles cohabitent tout de même.
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L’Art Royal pour exister doit inclure une dimension transcendantale. Qu’elle soit qualifiée de religieuse, de mystique, de spirituelle ou plus simplement de fraternelle, 1’Art Royal, tout comme 1’art, recherche la beauté, déjà une forme de transcendance en elle-même, comporte une dimension transcendante. Par transcendance, il faut comprendre quelque chose de plus qu’une simple activité rationnelle, tournée vers une finalité pratique ou en vue de l’obtention d’un résultat concret, quantifiable, qu’il s’agisse d’argent, de reconnaissance publique ou de tout autre avantage précis.
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Ces éléments ne sont pas à rejeter, ils peuvent représenter une part importante des motivations de 1’activité humaine, mais ne doivent pas être déterminants. L’orgueil, le goût du lucre ou la simple nécessité ne sont pas à condamner globalement, c’est lorsqu’ils prennent le dessus sur toute autre considération qu’ils peuvent devenir exécrables. La nécessité peut produire des chefs-d’œuvre, mais les chefs-d’œuvre puisent leur inspiration à une autre source que la nécessité. Il ne faut pas comprendre mon propos en vue d’une justification du religieux ou d’une idéalisation de la pratique de l’art, mais plutôt d’une démarche intérieure, ancrée dans 1’âme humaine, d’une capacité.
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A ce point de notre exposé, je peux dire que l’Art Royal nécessite au moins deux conditions : premièrement, la pratique d’un savoir-faire spécifique, adaptée à chaque forme particulière; secondement, la capacité d’une transcendance liée à cette pratique. Mais de quelle pratique et de quelle transcendance parlons-nous ? Tout le monde n’est pas artiste, 1’Art Royal est-il réservé à une élite ? Non. Les explications présentées jusqu’ici illustraient une démarche, un cheminement appuyé sur des faits historiques. Pour aller plus avant, il faut actualiser le passé, c’est à dire accorder la prééminence de la démarche constructive, sur le résultat final. Autrement dit, les chefs-d’œuvre que nous ont légués ces générations de constructeurs, de francs-maçons opératifs, d’artistes, ont une valeur historique indéniable, mais leur secret réside, peut-être davantage dans leur élaboration, je précise dans l’instant présent de la mise en oeuvre de chaque pièce, plutôt que dans le résultat final connu de tous. L’œuvre nous prouve par sa présence qu’elle existe, mais elle prouve surtout la capacité contenue dans l’être humain de la réaliser.
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C’est sur cette capacité, ce déploiement de génie que va notre admiration et notre respect. Il faut donc pour apprécier 1’art, reconnaître et apprécier 1’effort de chaque artisan, artiste, maître constructeur. La capacité du faire pour faire, le bonheur de se sentir exister en tant qu’être humain, grâce à cette pratique, cette mise en oeuvre de toutes ces énergies contenues en chacun de nous. C’est au cœur de cette action que la transcendance intervient, sans calcul préalable de la part de 1’homme. Elle s’approprie l’être dans l’instant de 1’engagement, de la mise en oeuvre, de 1’action.
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Mais ce discours a-t-il encore une raison d’être aujourd’hui, puisque l’artisanat est dépassé par l’industrie, elle-même dépassée par la robotique, 1’électronique et autres processus de création contemporains ? Pour pouvoir répondre, il faut encore regarder en arrière, pas très loin cette fois-ci, et se demander pourquoi, ces capacités ont-elles disparues ? A quel moment cet artisanat de génie se perd-il ou à tout le moins se déplace-t-il vers d’autres secteurs ? Pour simplifier, on peut prétendre que ce moment commence avec l’abandon de l’architecture sacrée et de l’art sacré au profit de 1’art tout court et de l’architecture profane. Lorsque le souverain prend possession du plus bel édifice, jadis consacré à ou aux dieux, pour en faire sa résidence, le temple consacré à sa gloire temporelle.
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La Renaissance marque à ce sujet le tournant historique du monde ancien et du monde moderne. La Franc-maçonnerie suit le mouvement mais ne le précède pas. Plutôt que de se mettre au service des monarques et des nobles, elle s’éloigne du monde actif, opératif, pour se retrancher dans un monde théorique, spéculatif. Les secrets de fabrication tombent en mains profanes et sont transmis par des modes devenus aujourd’hui conventionnels, c’est à dire par les écoles et les universités avec leurs professeurs, et les maîtres artisans pour les métiers de 1’artisanat. En un sens, les universités et le professorat sont probablement la cause de la mort de la Franc-maçonnerie opérative.
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La laïcisation avant l’heure de l’art sacré marque la fin du secret de « fabrication » à l’origine des loges maçonniques du Haut Moyen-Age. La Franc-maçonnerie spéculative n’est-elle qu’un sursaut des anciens pour conserver quelques prébendes, supportant mal cette évolution? C’est une hypothèse, mais il en existe une autre, vers laquelle je pencherais plutôt. Lorsqu’ils ont vu leur savoir se répandre, comme une simple technologie, accessible à tous moyennant un apprentissage ou des études, les vrais maçons ont compris que le secret de leur démarche, leur foi, leur engagement intérieur dans le processus de l’action allait disparaître. Ils ont alors cherché à sauvegarder ce secret, et ont voulu sacraliser ce processus de création, à lui imprimer un contenu transmissible à travers un langage symbolique, le langage des outils, que les francs-maçons d’aujourd’hui rabâchent trop souvent sans prendre conscience de sa dimension cachée.
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Les anciens avaient compris que ce n’est pas en apprenant une technologie du dehors (comprenez par transmission théorique) que 1’on pouvait réaliser des chefs-d’œuvre, mais en y accédant de l’intérieur, par la mise en oeuvre, par la prise directe de 1’expérience reliant 1’homme à l’objet. Ce message, qu’ils ont tenté de sauvegarder et de transmettre avec un relatif succès, semble justifier, à mes yeux, 1’essentiel de la démarche maçonnique spéculative, telle qu’elle existe depuis le XVIIIème siècle.
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Le secret de l’Art Royal me semble résider dans cette approche de l’intérieur, approche totalement négligée dans tous les enseignements contemporains. Aujourd’hui, malgré les dénégations de ses représentants officiels, la plupart des modes d’enseignement fonctionnent sur la théorisation des données, en fait sur le clonage pour utiliser un langage contemporain imagé, et les résultats de ces méthodes s’observent malheureusement partout. L’évacuation du moral, de l’être, de la dimension intérieure de l’homme, pour pouvoir mieux égaliser (au plus bas niveau) les humains, a déjà porté et continue de porter ses fruits amers.
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Heureusement d’autres disciplines semblent prendre la relève pour contrebalancer les effets pervers de cette éducation « objectivée » et purement théorique. Elles nécessitent cet engagement total de 1’être, ce mariage sacré entre théorie et pratique, comme certains arts martiaux, lorsqu’ils sont bien compris, ou la pratique des arts comme la musique, et certains sports, dont on encense les élites. Cet engouement s’explique peut-être par le besoin d’accéder à un art supérieur, un Art Royal, c’est à dire un art dans la pratique duquel on ne triche pas. Peut-on dire que ces êtres pratiquent un Art Royal, alors qu’ils ne sont même pas Francs-maçons ? A vous de répondre si vous comprenez bien 1’Art…
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L’Art Royal était à l’origine une pratique des alchimistes, dont le but vulgaire visait la transmutation du plomb en or. Derrière cette façade matérialiste, il y avait une symbolique. Tout d’abord, le symbole de l’or, du matériau inaltérable, incorruptible. Ensuite le symbole de la transmutation, de la transformation d’un état existant à un autre, fruit d’une mise en oeuvre dont j’ai déjà abondamment parlé précédemment. Enfin, le rôle de 1’alchimiste, de 1’intervention humaine, rôle central, puisque ses dons, son engagement, son expérience, sa sagesse sont nécessaires au succès de l’opération.
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Tout le monde sait que l’alchimiste visait à une transformation intérieure, de son état vil, en un état nouveau, supérieur, voire immortel. Pour parvenir à cet état comparable à l’or, il faut devenir incorruptible, terme dévalorisé qui retrouve aujourd’hui un peu de son sens, après les innombrables scandales non seulement du monde financier, où les moyens et les buts se confondent souvent, suivis des scandales politico financiers ou seulement politiques, des promesses aux trahisons des politiciens, et, plus récemment des scandales de la corruption sportive, du dopage des actifs, aux pots de vin versés aux organisateurs de joutes ! Soudainement, il semble que la nécessité d’une éthique fasse son chemin aux yeux de l’opinion publique.
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Pouvait-on concevoir qu’un alchimiste triche avec ses formules pour obtenir de l’or ? Peut-on admettre qu’un sportif se dope en vue de surpasser ses concurrents ? Quelle émulation si les conditions d’un concours sont truquées ? Personne n’admet la tricherie, et pourtant elle règne partout ! Des lors, peut-on s’étonner des conséquences ? Cette quête du spirituel dans l’homme, d’une essence incorruptible, voire immortelle n’a pas disparu, elle a été évincée par une intelligentsia sans convictions, athée le plus souvent, dont les idées nous ont été imposées par des courants littéraires et pseudo philosophiques. Il n’est pas de mon ressort de poser la question de 1’existence de Dieu, mais simplement de rappeler que la dimension spirituelle existe dans 1’être humain, qu’il soit sportif, religieux et même athée.
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Ce courant de pensée matérialiste qui nous étouffe a trouvé sa principale justification dans sa lutte conte l’Église et ses prélats. Or, s’il était venu le temps de se défaire de 1’emprise des religieux sur la société, l’alternative purement athée n’est pas la solution toute trouvée pour la voie de l’humanité. Dans ce combat historique contre l’oppression divine, I’homme a pris progressivement la place accordée primitivement aux Dieux, puis au Dieu unique. Depuis la Renaissance, nous observons ce phénomène de divination de I’homme en parallèle avec l’éloignement de la présence divine. Les artisans étaient anonymes lorsqu’ils construisaient des cathédrales. Ils gagnèrent un nom, une signature à la Renaissance. Aujourd’hui, les artistes produisent peu, mais sont très célèbres et poursuivis par les journalistes jusque dans leurs chambres à coucher… Aux dieux anciens invisibles ont succédé des dieux contemporains de chair, mais rarement d’ esprit.
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L’Art Royal s’accommode mal de cette « évolution », il se meurt, il est mort peut-être. Pour la culture officielle, il a rejoint les pratiques douteuses de la divination aux côtés de l’astrologie et d’autres pratiques occultes, il a basculé dans le camp de l’irrationnel. Car I’homme moderne se veut un être rationnel, scientifique, un être pour lequel tout a un sens, à tout le moins une explication. Mais l’irrationnel n’a pas disparu, il se tient de I’autre côté, que l’on qualifie d’inconscient, mais auquel on fait appel lorsque le rationnel n’apporte plus de réponse. Comment l’Art Royal peut-il exister dans ce monde rationnel, depuis que les alchimistes sont devenus de simples chimistes ?
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La séparation du spirituel et du temporel a-t-elle marqué la fin de 1’Art Royal, pris entre deux voies, comme 1’astrologie et 1’astronomie se sont scindées, l’une devenant divination et l’autre science ? « Ce schisme, probablement l’un des plus importants de l’histoire humaine, s’il a servi le progrès de la science, n’a pas servi le progrès de 1’Homme. Heureux scientifiques, pour lesquels l’histoire de 1’homme est pratiquement achevée. Après la mort de Dieu au siècle passé et la mort de 1’Art dans la seconde moitié de notre siècle, la mort de I’homme est déjà programmée… »
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La quête du réel qui gouverne la démarche des scientifiques ne doit pas se confondre avec la seule étude du monde matériel. La psyché existe, les travaux des psychanalystes en ont révélé une partie et de nombreux effets dans la vie des individus. Plus abstrait encore, le monde des idées, seule réalité pour certains philosophes comme Platon, façonne le monde. Le Communisme est une idée, une abstraction, mais sa propagation a influencé le cours de l’histoire contemporaine, et provoqué quatre-vingt millions de morts en moins d’un siècle. Est-ce une réalité ou une illusion ?
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Si l’idée est une illusion, ses effets ont été bien concrets. Si I’Art Royal est une illusion pour beaucoup, sa pratique, peut avoir également des effets bien concrets sur les individus qui sauront en comprendre la teneur. Il n’est pas une profession, mais peut s’exercer dans toutes les professions, il n’est pas physique, mais il influence le monde physique, comme les idées influencent les comportements humains. Certes il nécessite des qualités morales, que chacun possède au fond de lui, s’il ne nie pas sa conscience. Sa mise en oeuvre s’observe dans la sincérité de ses engagements, dans 1’accomplissement de ses devoirs et de ses tâches et surtout dans le respect de son prochain. Car le réel ce n’est pas seulement l’objet matériel, le plomb transformé en or, la pierre brute taillée, le réel c’est le regard sur l’autre et aussi le regard de l’autre sur soi.
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Cette alchimie n’est pas une pratique dans un creuset perdu au fond d’un manoir isolé, c’est une mise en oeuvre dans nos actions quotidiennes, dans nos rapports avec les autres, non seulement dans ce que nous attendons d’eux, mais dans ce que nous leur apportons. Pour terminer, je vais illustrer mon propos d’un exemple simple. Lorsqu’un artisan, réalise un objet, il s’applique, il donne le meilleur de lui-même, son engagement transcende ses connaissances de son art, pour réussir le plus bel objet, le meilleur, qui fonctionnera le mieux, durera le plus longtemps etc. Cet état d’esprit dans lequel il entreprend son ouvrage, si de tels artisans existent encore, voilà la définition de I’Art Royal. Cet artisan ne va pas réaliser cet objet pour lui-même, ne dit-on pas que les cordonniers sont les plus mal chaussés ? Il va le réaliser pour un autre, il recevra son dû en échange, mais sa véritable récompense sera dans ce travail accompli avec amour. Et le regard de l’autre, du client à qui est destiné l’objet voilà l’ultime rapport avec la réalité.
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Ce n’est pas l’objet qui est la seule réalité, c’est l’approbation de 1’autre. Lorsque nous disons en face de tous ces objets mal foutus, inutiles, devenus le lot du quotidien dans notre société, qu’une publicité intensive nous pousse à acquérir, « de qui se moque-t-on ? Nous avons le regard du client, de 1’homme qui se sent floué par un échange trompeur, par un marché de dupes. L’un produit pour le seul but de dérober le bien de l’autre, en lui livrant un faux objet, un objet inutile, vide, sans « valeur ».
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Autrefois, notre artisan transmettait quelque chose de plus avec son objet façonné dans les « règles de I’Art ». Le langage exprimait la vérité des choses… Le bel ouvrage engendre le respect, et confère la dignité à l’artisan. Le Compagnonnage n’a pas définitivement perdu cette coutume que la Franc-maçonnerie a transposée sur le seul plan moral, démarche justifiée peut-être, mais plus difficile à vérifier. Seule la fraternité peut exprimer ce rapport, si elle est bien comprise, comme doit être compris I’Art Royal…
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La pratique de I’Art Royal sollicite la présence de l’homme, de 1’être humain dans sa totalité, être de chair certes, mais être spirituel, 1’un et 1’autre formant ensemble une présence. Cette pratique exige de 1’être un engagement sincère, une quête sans tricherie en vue de son accomplissement. »