La Franc-Maçonnerie obèse d’obédiences ?

de Jérôme Touzalin

     La question se pose tant on entend dire, ici et là : « Il y a trop d’obédiences ! »  « Ça n’a plus de sens ! »  « On perd nos valeurs »

D’abord chiffrons, combien y a-t-il d’obédiences en France ? Wikipédia en dénombre 50… en sélectionnant uniquement celles qui rassemblent, au minimum, 100 frères… d’autres sources affirment bien d’avantage ; certains, en grattant tout au fin fond du fond de leurs tiroirs secrets, vont même jusqu’à avancer, une centaine.

Il y a les grosses, les historiques, et puis, comme dans les galaxies il y a une myriade de petites, chacune porteuse de lumière et, qui sait si l’une d’entre elles ne deviendra pas, un jour, un soleil éclatant si le GADLU lui prête vie.

Il est à remarquer que les grosses, les historiques – car avec le temps on s’empâte – ont tendance à considérer les petites structures avec une certaine distance, pour ne pas dire un certain mépris, malgré les amabilités dont ils lustrent leurs propos quand ils se croisent. Ils gardent au front cette attitude suffisante du conducteur de 4X4 quand il double une modeste Twingo… « ôte-toi de mon chemin ! Ne vient pas dans ma file ! Non, je ne te louerai pas un emplacement de parking pour que tu viennes faire tes tenues dans mon vaste immeuble ! » Oubliant que s’ils philosophent aujourd’hui dans des temples aux décors conséquents, les frères dont ils sont les héritiers ont commencé petitement, dans les modestes arrière-salles de tavernes établies au détour des brumeuses rues de Londres.

La réponse à la question de savoir combien il y a d’obédiences est donc loin d’être réglée… mais le vrai problème n’est pas là, il est que derrière cette interrogation, ceux qui la posent dénigrent ce trop-plein d’obédiences et veulent signifier que l’on pourrait faire aussi bien -voire mieux- avec beaucoup moins… et eux, sans ce morcellement, étant encore plus gros !

Cette remarque est-elle bien sérieuse ? Sortons notre miroir, celui que l’on, a appris à connaître dès notre apprentissage et posons-nous la question… Qui sommes-nous ? Surtout nous citoyens de France ?

Comment nous, citoyens de France, pourrions-nous nous contenter d’une simple poignée d’obédiences ? Aurions-nous oublié l’exclamation de l’illustre général De Gaulle : « Comment voulez-vous gouverner un pays où il existe 258 variétés de fromages ? » et son décompte était loin du compte… si j’ose écrire. Comment pourrait-il en être autrement dans ce fascinant pays, qui, on le sait aujourd’hui, compte 1200 fromages, officiellement recensés par le « Centre National Interprofessionnel de l’Economie Laitière ».

Voilà le fromage devenu l’étalon du dénombrement des associations humaines et la référence quant à leur utilité…

Alors qu’en est-il de la Franc-maçonnerie ? Nous sommes dans un pays divers, varié, aux paysages changeants, aux coutumes vivaces, riche d’une histoire multiforme, aux habitants venus de partout, prompts à penser détenir, chacun pour son propre compte, la solution à tous les problèmes qui se posent au pays… prompts à dire non dès lors que d’autres disent oui -et inversement-

Pourquoi en irait-il différemment pour la Franc-maçonnerie ? Chaque franc-maçon n’est-il pas, dans sa tête, le Grand-Maître de la façon dont il voit la Maçonnerie, SA Maçonnerie ? Alors, à partir de là, la tentation, pour nombre de « Maçons » de constituer une obédience avec d’autres frères, tout autant Grand-Maître que lui est grande !

Voudrait-on une Maçonnerie qui se résumerait à une modeste poignée d’obédiences : 3 par exemple, parce que 3 la constituent, ou 5, car 5 l’éclairent… allons, poussons jusqu’à 7, car 7 la rendent juste et parfaite…

Voulons-nous d’une maçonnerie monolithique, structurée, clôturée, d’une maçonnerie termitière ou fourmilière, chacun son rôle, chacun d’obéir, de baisser la tête, en marmonnant un « Oui Maître » soumis.

Nous sommes des êtres libres, obéissants certes, mais dans la clairvoyance de notre lucidité intellectuelle et de notre singularité personnelle. La F.M. rassemble ce qui est épars, c’est entendu, mais certainement pas pour faire un tas uniforme et unicolore qu’on glisserait sous le tapis de loge, Par ce grand nombre d’obédiences, chacun garde sa capacité de s’exprimer dans des rassemblements aux approches diverses tout en restant fidèle aux grands idéaux de la FM.

La Franc-Maçonnerie est une spiritualité de la recherche, alors chacun creuse, ou taille sa pierre et chaque obédience devient l’éclat, arraché à la terre, d’une pépite nouvelle…

Et puis, n’oublions pas, toutes les majestueuses et grandes obédiences actuelles qui plastronnent avec leurs effectifs glorieux d’aujourd’hui n’étaient que de petits cailloux à leur origine…

Il faut donc considérer la Franc-maçonnerie dans son ensemble, et non en sportif qui surveille le classement de son équipe préférée… Il faut observer que les sœurs et frères, quand ils se découvrent sont d’abord mus par le plaisir de leur rencontre, de se savoir unis dans la même et grande fraternité, et s’embrassent avec chaleur et c’est seulement après que l’étiquette de l’obédience apparait et qui, quelle qu’elle soit, n’entrave en rien l’agrément du dialogue qui s’instaure.

Le poids des effectifs serait plutôt un souci des distingués Frères administratifs dirigeants ou de quelques esprits qui en sont encore à confondre nombre et qualité… cylindrée et force spirituelle.

La Franc-Maçonnerie c’est cette grande vague qui emporte des femmes et des hommes dans cet espoir de concourir au progrès de l’humanité, peu importe alors la couleur du maillot de bain, peu importe que les bleus soient en plus grand nombre que les rouges, ou les jaunes… ce qui compte, c’est que la vague avance et nous porte tous.

Mais je ne suis pas naïf et je vois bien que dans cette multiplicité d’obédiences, toutes ne sont pas nées de la découverte d’un nouveau ou meilleur chemin pour accéder au sommet de la lumière. Un certain nombre sont le fruit de ce goût fâcheux qu’ont les femmes et les hommes pour les postes, les fonctions, les honneurs, les rivalités, les fâcheries, tout ce qui, bien que métallique, s’est, malgré l’interdit, glissé à l’intérieur des temples… il n’y a d’ailleurs pas que les petites obédiences qui soient accablés par ce besoin de satisfaire des ambitions personnelles… on voit de sérieuses batailles de tabliers entre des frères qui se guettent derrière les majestueuses colonnes extraites du plus beau marbre.

Ainsi est le genre humain, mais cela ne doit pas ralentir notre pas.

Je crois en la Franc-maçonnerie dans sa totalité, qu’elle émane d’une grosse entreprise multinationale ou d’une petite échoppe régionale, dès lors que l’élan est sincère et suis le chemin d’un rituel respecté.

La multiplicité des obédiences ne me cause pas de soucis, et sans s’ériger en juge, qui suis-je pour cela, il me semble que c’est plutôt l’afflux de Maçons qui se révèlent peu Maçons, au fond d’eux-mêmes, qui pose un problème.

S’il fut un temps où il était habituel d’entendre l’adage : « L’habit ne fait pas le moine » étant donné qu’aujourd’hui on ne croise plus guère de moines, on pourrait utiliser avantageusement la formule : « Le tablier ne fait pas le Maçon » et cela toutes obédiences confondues… C’est bien là qu’est le réel souci du surnombre. J’ai dit.

Jérôme Touzalin est un dramaturge, membre à la Grand
Loge de l’Europe et de la Méditerranée. (G.L.E.M.)