Le Grand Orient de France a clôturé les célébrations de ses 250 ans d’existence à Maurice : Le Quotidien de la Réunion et de l’Océan Indien s’est entretenu avec Jacques Hélary, Grand maître adjoint du Grand Orient de France, qui évoque ce choix et de la vitalité de l’obédience maçonnique dans les îles-sœurs.
Pourquoi célébrer les 250 ans du Grand Orient de France à Maurice ?
- Nous avons choisi de terminer ce cycle mémoriel autour des 250 ans sur l’île Maurice, pour souligner le dynamisme historique de la franc-maçonnerie, et en particulier du Grand Orient de France, dans l’océan Indien.
Maurice et La Réunion ont été un seul ensemble aux temps de la colonisation française. Combien de loges y a-t-il dans les îles-sœurs?
- Nous avons huit loges à Maurice, mais les choses peuvent encore évoluer. A La Réunion, nous avons 22 ateliers, rien que du Grand Orient de France. C’est un effectif pour le moins conséquent. Nous avons plus qu’une représentation, nous avons une activité maçonnique propre à notre obédience, dans l’Océan Indien.
Combien de frères et sœurs comptez-vous dans les îles-sœurs ?
- L’effectif mauricien est de 400 frères et sœurs. Il est de 900 à La Réunion. Le Grand Orient de France, qui a été une obédience née masculine, a autorisé ses loges à accueillir les femmes dès 2010. Sur 54 000 membres, nous avons initié et affilié 7 000 sœurs.
Faut-il avoir un parent pour être initié ?
- Devenir membre d’une loge n’est nullement un héritage. Il y a plusieurs formes d’accès à l’initiation. Soit l’on est présenté par un frère ou une sœur dans une loge, soit l’on fait une candidature spontanée auprès du Grand Orient de France. La candidature est alors envoyée vers la loge du lieu de vie du demandeur.
- Il y a évidemment une sorte de facilité d’esprit pour un candidat lorsqu’il a eu au sein de sa famille quelqu’un qui était franc-maçon. Mais cela peut sauter une génération. Il n’y a pas de règle absolue. Il peut aussi y a avoir quelques lignées de francs-maçons dans une même famille, mais cela n’est en rien un héritage automatique.
Est-ce que les jeunes sont intéressés à être initiés ?
- Cette période qu’a été le Covid-19 a un peu ralenti nos travaux, surtout que nous avons l’habitude de travailler en présentiel. Nous constatons toutefois, aujourd’hui, une baisse de l’âge d’entrée assez marquée en franc-maçonnerie.
Il y a la perception que ceux qui veulent être initiés souhaitent avant tout bénéficier d’une « protection » de leurs frères. Est-ce un fantasme ? Est-ce que les frères se protègent entre eux ?
- C’est vrai et c’est faux… C’est vrai dans la règle et dans le fonctionnement. Nous sommes héritiers des sociétés de métiers, notamment des constructeurs-maçons. Nous avons transformé les réunions de maçons, qui étaient opératives, en réunions spéculatives. Ces réunions sont axées sur la réflexion. Les principes des sociétés de métiers ont d’abord été créés pour organiser la solidarité. Effectivement, la solidarité est une valeur forte chez nous. Très sincèrement, nous ne sommes pas plus en réseau que des associations d’anciens élèves des grandes écoles ou des associations de salariés de grands groupes nationaux.
- Et si a solidarité est une valeur essentielle, elle s’arrête à la logique sociale et légale des choses. J’ai toujours l’habitude de prendre cet exemple : si j’ai deux candidats pour un poste au sein de ma petite société informatique, je ne vous cache pas qu’à valeur professionnelle égale, je choisirais un franc-maçon. Pourquoi ? Parce que je connais sa démarche, je connais son inscription philosophique et les valeurs sur lesquelles il travaille. Je n’aurais pas d’hésitation. Mais, c’est vrai aussi qu’il y a un fantasme autour de la franc-maçonnerie.
Y a-t-il a des cas où des initiés sont renvoyés pour avoir enfreint des règles ?
- Oui. Il y a deux choses. Au moment de l’initiation, il y a des critères à respecter. Il faut un casier judiciaire vierge, et un certain nombre d’engagements à respecter quant au comportement et à la défense de nos valeurs. De toute façon, nous avons une chambre disciplinaire qui travaille à plusieurs niveaux. Soit au niveau d’une loge si un frère pose problème dans son comportement, soit sur le plan maçonnique, soit sur le plan sociétal. Aujourd’hui, tout frère condamné par la justice profane passera devant la chambre disciplinaire. Son cas sera étudié une fois que son éventuelle culpabilité sur tel ou tel fait, qu’il soit économique, sociétal ou autres, sera avérée devant la justice de la République.
- Nous avons à la fois, au niveau des loges, une gestion des conflits. Puis au niveau régional et national, un système de pouvoir judiciaire. C’est un des trois pouvoirs de la maçonnerie. Il s’agit d’une chambre disciplinaire interne comme le Conseil de l’ordre des médecins. Il faut garder tout au long de sa vie maçonnique une attitude respectueuse de nos règles internes de fonctionnement, d’expression et de positionnement.
Le grand maître du Grand Orient parle de fraternelle parlementaire dans un récent entretien au Figaro. A-t-elle son mot à dire sur le vote de certaines lois ?
- La fraternelle parlementaire telle qu’on l’entend est plutôt métropolitaine. Depuis quelques années, le Grand Orient de France a limité le nombre de fraternelles. La fraternelle parlementaire n’existe qu’au niveau national, et c’est l’une des seule, sinon la seule, qui soit tolérée et en fonctionnement. Son but est de faire des échanges entre maçons de toute obédience, non seulement entre les parlementaires, mais aussi entre le personnel dans les deux chambres du Parlement français ou au sein du parlement européen. C’est la seule qui soit encore tolérée, justement, depuis plusieurs années, afin de ne pas sombrer dans cette image néfaste de réseaux.
Depuis quand la loge, à Maurice, a-t-elle accueilli des gens des couleurs ou d’autres confessions religieuses ?
- Il y a évidemment eu plusieurs phases dans la maçonnerie en outre-mer et dans les pays ou l’obédience était présente du temps de l’époque coloniale. Dès le début, que ce soit dans les Caraïbes ou ici, il y a eu des loges qui ont existé et qui ont accueilli des frères de couleur.
- Il faut bien dire que vu les mentalités de l’époque, les loges étaient souvent séparées. Il y avait des colons d’un côté, les bourgeois de l’autre. À l’époque, c’était déjà un progrès. Il y a eu des conflits dans les loges. S’il y a eu conflits, c’est qu’il y avait déjà des réflexions. Il y a eu une remise en question philosophique, politique et sociétale. Le travail fait entre les loges, petit à petit, a vu l’éclatement de ces barrières. Ce qui a aussi été vu au sein des sociétés locales.