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LA FRANC-MAÇONNERIE FILLE DES LUMIERES OU LES LUMIÈRE FILLE DE LA FRANC-MAÇONNERIE ?


Quand on réfléchit à l’influence des Lumières sur la franc-maçonnerie, les questions suivantes se posent : « La franc-maçonnerie était-elle la fille préférée des Lumières ou les Lumières étaient-elles la progéniture préférée de la franc-maçonnerie ? Ou ni l’un ni l’autre ? »

Sans vouloir épuiser le sujet, et encore moins proposer une réponse définitive, je vous invite à revisiter brièvement ensemble la pensée des Lumières et ses développements. Comme on le sait, la Franc-Maçonnerie est intrinsèquement liée à toute cette effervescence intellectuelle du XVIIIe siècle.

Le mouvement des Lumières s’est développé à partir de l’absolutisme , d’abord comme sa conséquence interne, puis comme son pendant dialectique et comme l’ennemi qui a préparé sa chute.

Également appelé Lumières (en allemand Aufklärung , en anglais Enlightenment ), il s’agit d’un mouvement et d’une révolte intellectuelle à la fois qui a émergé dans la seconde moitié du XVIIIe siècle (le soi-disant « siècle des Lumières ») et qui a mis l’accent sur la raison et la science comme moyens d’expliquer l’univers. C’était l’un des mouvements moteurs du capitalisme et de la société moderne. Qui a acquis un grand dynamisme dans les pays protestants et une influence lente mais progressive dans les pays catholiques. (CHÊNE, p. 16)

Quand on pense aux Lumières, la Révolution française vient immédiatement à l’esprit, car elle a marqué un tournant dans les relations sociales et a contribué de manière significative à la formation du monde contemporain.

Si l’économie mondiale du XIXe siècle s’est formée principalement sous l’influence de la révolution industrielle britannique, sa politique et son idéologie ont été fondamentalement façonnées par la Révolution française .

Dans Critique et crise , dont la lecture conçoit la dimension de ce que furent les sociétés secrètes au XVIIIe siècle européen et leur prédisposition à conduire l’humanité vers le progrès intellectuel. Un objectif poursuivi avant tout par la Franc-Maçonnerie avec son contenu pédagogique de formation d’hommes critiques avec une idéologie modernisatrice et progressiste. Ainsi, dans une relation inséparable avec l’idée de sociabilité et de pouvoir indirect proposée par Koselleck et avec les travaux historiographiques qui, dans le thème de cet ouvrage, s’insèrent dans la problématique du rôle de la franc-maçonnerie dans la période qui a précédé la Révolution française.

Il est important de souligner ce que Koselleck affirme : deux formations sociales ont marqué de manière décisive l’époque des Lumières sur le continent : la République des Lettres et les loges maçonniques. Les Lumières et le secret apparaissent comme des jumeaux historiques.

Quant au secret, qui est actuellement associé à la franc-maçonnerie, il était à l’époque largement utilisé par le pouvoir absolutiste ; s’agrandissant encore davantage avec la naissance de la nouvelle élite, composée de groupes divers, voire hétérogènes, dont la caractéristique commune résidait dans le fait qu’ils se voyaient privés ou dépossédés de toute liberté de décision politique dans l’État moderne, représenté seulement par le monarque absolu.

Ce groupe diamétralement opposé mais puissant de la nouvelle société s’est développé sous la Régence. Il était composé de banquiers, de collecteurs d’impôts et d’hommes d’affaires. C’étaient des bourgeois qui travaillaient et spéculaient, atteignaient la richesse et le prestige social et achetaient souvent des titres de noblesse ; a joué un rôle de premier plan dans l’économie, mais pas du tout dans la politique.

La croissance fut si grande qu’ils devinrent financiers de l’État, mais seulement de l’argent qui leur était alloué, il n’y avait aucune gestion et encore moins de contrôle de la destination de ces fonds. Beaucoup de ces financiers ont gagné des millions de dollars grâce à la corruption du système fiscal et de la collecte des impôts, mais en même temps, ils se sont vu refuser l’accès au budget secret et inaccessible de l’État. Ils n’avaient aucune influence sur la gestion financière et, comme si cela ne suffisait pas, ils n’avaient aucune sécurité pour leur capital : la décision royale les conduisait souvent à perdre l’argent qu’ils avaient gagné par la spéculation et le travail.

Antoine de Rivarol

Rivarol a traduit la manière dont l’État gérait l’argent qu’il devait à l’aristocratie financière et, de plus, volait arbitrairement – ​​et de manière totalement « immorale » – les profits de ses créanciers ; a déclaré : « Presque tous les sujets sont créanciers du maître… qui est un esclave, comme tous les débiteurs ».

Dans l’interaction du capital financier (qui était aussi, entre les mains de la société, un bien moral) avec l’endettement financier de l’État (qui, en vertu de son autorité politique, dissimulait ou niait immoralement ses dettes) réside l’une des impulsions sociales les plus fortes de la dialectique « Morale et Politique ».

À la noblesse anti-absolutiste et à la riche bourgeoisie s’ajoute un troisième groupe, celui des émigrés protestants expulsés de France après la révocation de l’édit de Nantes en 1685. Les philosophes des Lumières entretiennent des liens étroits avec ces réfugiés, esprits éminents de l’époque. Mais il n’y avait aucun moyen d’accéder à l’appareil de commandement de l’État, qu’il s’agisse du pouvoir législatif, de la politique ou de l’armée.

Tous les hommes de la société, exclus de la politique, se réunissaient dans des lieux « apolitiques » – à la bourse, dans les cafés ou dans les académies – où l’on pratiquait les sciences nouvelles, sans succomber à l’autorité ecclésiastique et étatique d’une Sorbonne, ou dans des clubs, où ils ne pouvaient établir la loi en vigueur ; dans les salles des chaires et des chancelleries, ou même dans les bibliothèques et les sociétés littéraires, où ils se consacraient à l’art et à la science, mais pas à la politique d’État.

Cette nouvelle société a créé ses institutions sous la protection de l’État absolutiste, dont les tâches – tolérées, promues ou ignorées par l’État – étaient « sociales ». Dès le début, les représentants de ces sociétés ne pouvaient exercer une influence politique – si tant est qu’ils en aient une – que de manière indirecte. Ainsi, toutes les institutions sociales de la nouvelle couche sociale, ouvertes à la sociabilité, ont potentiellement acquis un caractère politique, devenant au fil du temps des forces politiques indirectes.

Les loges maçonniques présentent une meilleure option pour le mouvement des Lumières, où le secret est la garantie de leur protection : « La liberté secrète devient le secret de la liberté » . L’autre fonction du secret est de favoriser la cohésion entre frères. Une nouvelle élite naît là, appelée l’humanité, qui estime qu’il est de son devoir de servir ce nouveau monde  .

Les francs-maçons, à leurs propres yeux, voulaient faire le bien, mais ils se heurtaient à des obstacles, tels que : la division du monde entre les hommes et les États divergents, la hiérarchie sociale et les religions conflictuelles.

Pour ces raisons, la critique restait obéissante à l’État, et les progressistes devaient se limiter à l’esprit de la science .

Or, comme la critique de la raison rend tous les hommes égaux, y compris le souverain, elle réduit tous les hommes au statut de citoyens. Et si tous les citoyens sont égaux, tout pouvoir est un abus de pouvoir, et le roi absolutiste est un usurpateur.

En Allemagne, on perçoit clairement la tension entre la morale et la politique, qui devrait conduire à une scission entre l’État et la société . Cependant, dans cette région, la bourgeoisie est faible et minoritaire, de sorte que les sociétés secrètes sont férocement persécutées et interdites. On dit qu’ils sont un État dans l’État, qu’il s’agit d’une conspiration jésuite-maçonnique, au-dessus des États souverains, pour les détruire ainsi que les églises.

Göchhausen, soldat prussien, franc-maçon, mais laquais du roi, dénonce ainsi les penseurs des Lumières :

La raison, apparemment, créera un territoire sans frontières et établira l’ère de la frugalité spirituelle, physique et politique dans le pays de l’abstraction froide ; mais, en fait, il n’y aurait que deux conditions tolérables : la classe qui gouverne et la classe qui est gouvernée (Critique et Crise p. 119).

D’importants historiens présentent des études qui relient la franc-maçonnerie aux Lumières et attribuent à l’institution le principe d’égalité entre les hommes, principe embryonnaire du mouvement démocratique, lui conférant le rôle de protagoniste dans les révolutions, comme la Révolution française.

L’un des principaux penseurs des Lumières, le philosophe allemand Emmanuel Kant, a compris cette vocation des loges maçonniques comme une vocation naturelle, celle d’hommes de bien s’unissant et communiquant avec leurs semblables sur des questions qui affectent l’humanité dans son ensemble. Habermas, célèbre philosophe allemand de l’école critique, partage cette pensée lorsqu’il relate sa lecture de la période des Lumières :

La promulgation secrète des Lumières, typique des Loges, mais aussi largement pratiquée par d’autres associations et Tisclzgesellschaften, avait un caractère dialectique. C’est pourquoi l’usage public de la faculté rationnelle, qui doit être réalisé dans la communication rationnelle d’un public composé d’êtres humains instruits, doit en soi être protégé de devenir public, car il constitue une menace pour toute relation de domination. Si la publicité avait son siège dans les chancelleries secrètes du prince, la raison ne pouvait se révéler directement. Sa sphère publicitaire devait encore s’appuyer sur le secret ; son public, même en tant que public, restait interne. La lumière de la raison, ainsi voilée par l’autoprotection, s’est révélée par étapes. Cela rappelle la célèbre déclaration de Lessing sur la franc-maçonnerie, qui était à l’époque un phénomène européen plus vaste : elle était aussi vieille que la société bourgeoise – « si tant est que la société bourgeoise ne soit pas simplement le fruit de la franc-maçonnerie » (La transformation structurelle de la sphère publique, Habermas, 1989, p. 35).

En concluant ce très bref ouvrage, qui a couvert des faits importants qui ont conduit l’humanité vers des temps nouveaux, il est possible de déduire que, suivant la pensée des principaux penseurs des Lumières, la Franc-Maçonnerie a réellement collaboré au développement des Lumières et, dotée du principe le plus profond de l’égalité entre les hommes, a prêté son concept et son expérience de la démocratie à la société contemporaine qui s’est récemment établie. Et, soit dit en passant, installé grâce au leadership libérateur de ses membres. La Franc-Maçonnerie est donc la fille préférée des Lumières et aussi sa branche préférée.

Rogério Vaz de Oliveira
Spécialiste en Histoire de la Franc-Maçonnerie

A.S.: