En ce jour de fête nationale de 14 juillet, je vous conseille la lecture de l’article du site Conspiracy Watch :
La Maçonnerie est-elle à l’origine de la Révolution ?
EXTRAIT :
Dès la Révolution est apparue l’idée selon laquelle les événements de 1789 auraient été le résultat d’un complot maçonnique visant à saper les fondements de la société. Les loges auraient expérimenté les principes révolutionnaires bien avant 1789. Une théorie qui depuis a fait fortune. Elle ne résiste pas à l’analyse selon l’historien Éric Saunier dont nous reproduisons ici, en partenariat avec le magazine L’Histoire, le texte qu’il y avait publié en juillet-août 2001.
« Dans cette Révolution française, tout, jusqu’à ses forfaits les plus épouvantables, tout a été prévu, médité, combiné, résolu, statué ; tout a été l’effet de la plus profonde scélératesse, puisque tout a été amené par des hommes qui avaient seuls le fil des conspirations longtemps ourdies dans les sociétés secrètes, et qui ont su choisir et hâter les moments propices aux complots. »
Dans le « Préliminaire » de ses Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme , le jésuite Augustin de Barruel annonce la thèse selon laquelle c’est un complot maçonnique qui serait aux origines de la Révolution française. Son déclenchement ne serait dû ni à une crise des institutions ni aux tensions provoquées par les mutations économiques et sociales survenues dans la France des Lumières, mais à un projet méticuleusement mis en place par des conspirateurs désireux d’en découdre avec l’État absolutiste.
Cette idée va faire son chemin et aboutir à un consensus singulier réunissant cléricaux et républicains, maçons et antimaçons, durant un siècle et demi. Si, depuis la Seconde Guerre mondiale, la vision de Barruel n’a plus guère de résonance parmi les historiens, qui la considèrent comme un mythe historiographique, elle continue en revanche d’imposer comme dogme la thèse des influences maçonniques sur la Révolution française.
Rédigés pendant l’émigration de Barruel en Angleterre, entre 1792 et 1798, les quatre volumes des Mémoiresapparaissent comme la rencontre entre une personnalité originale et un antimaçonnisme préexistant à ses réflexions.
Régent du collège jésuite de Toulouse, Barruel commence à exercer comme professeur en 1762, année où le parlement de Toulouse expulse la Compagnie de Jésus. L’abbé s’engage alors dans « le combat de sa vie » qui le mènera de la lutte contre les « philosophes » – il est le collaborateur de l’ennemi de Voltaire, Élie Fréron –, à L’Année littéraire entre 1774 et 1784 à la lutte contre la Franc-Maçonnerie.
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La Franc-maçonnerie n’est pas à l’origine de la révolution de 1789, mais elle a constitué un des outils des forces qui ont poussé à cette révolution.
Ces thèses du complot maçonnique sont le fruit de travers bien français qui sont de se regarder le nombril sans voir ce qui se passe autour de nous et de penser qu’on a tout inventé.La révolution de 1789 a commencé en 1688 en Angleterre avec la « glorieuse Révolution » et cela à cause de la politique hégémonique et pro-catholique de Louis XIV.
Les Anglais avaient déjà expérimenté la République/terreur sous Cromwell (où le Roi Charles 1er avait été décapité bien avant Louis XVI) et avaient, à la mort du « protecteur », préféré revenir à une monarchie tempérée avec Charles II. Sauf que ce dernier en catimini, puis plus ouvertement son frère Jacques II monté sur le trône en 1685, lorgnaient vers le système absolutiste de Louis XIV, appuyé sur la religion catholique qui impose une soumission théologique au peuple : Le Roi est choisi par Dieu pour représenter la nation et gouverner le peuple.
D’autant que le « système Louis 14 » est le point d’orgue du système monarchique français mis en place progressivement depuis Philippe le Bel qui fait du Roi et de sa cour l’unique lieu de pouvoir, soumettant tous les corps intermédiaires, alors que les Anglais, depuis la « Magna Carta », sont attachés à un système plus décentralisé dans lequel l’aristocratie et la haute bourgeoisie limitent, si ce n’est partagent, le pouvoir royal.
La Révolution de 1688 va chasser Jacques II parce qu’il veut introduire en Angleterre le système Louis 14, elle est donc indirectement dirigée contre ce dernier et le Parlement va choisir un adversaire déclaré de Louis 14, le « stadthouder » des Pays Bas qui va accepter le « Bill of Right » de 1689, instaurant la monarchie constitutionnelle dans lequel, ce n’est plus Dieu qui choisit le Roi, mais le peuple qui passe un accord avec lui.
La Franc-Maçonnerie anglaise, pendant cette 1ère moitié du 18ème siècle, va constituer, comme je l’ai montré dans « 1717-1747 » un des piliers du régime, parce qu’elle associe dans une sociabilité non religieuse (non communautariste dirions-nous aujourd’hui) une aristocratie éclairée par le baconisme de la « Royal Society » et la bourgeoisie commerçante et industrielle. Elle donne l’exemple d’un pouvoir diffus mais efficace, circulant dans des réseaux instruits et actifs qui limitent l’autoritarisme royal.
En France, après la mort de Louis 14, ce nouvel état d’esprit qui renverse littéralement l’ordre d’un monde où tout venait du ciel, va susciter un très grand intérêt dans l’aristocratie française éclairée par les philosophes (et notamment par Voltaire qui sera le chantre du système anglais), car elle y voit la possibilité de jouer à nouveau un rôle politique en équilibrant la concentration du pouvoir dans les mains de la monarchie.
Rien d’étonnant à ce que les premières Loges en France aient été créées ou investies par de « jeunes Ducs » Aumont, Antin, Villeroy, St Florentin qui voient dans la propagation du modèle maçonnique anglais la possibilité de faire évoluer la monarchie vers des formes plus parlementaires.
Mais en France, ce mouvement sera freiné par deux occurrences. D’abord la réaction des catholico-absolutistes qui se marque après 1735 par les poursuites qui frappent les Loges, annonçant la Bulle antimaçonnique du pape, ensuite par la tentative de Ramsay de trouver un compromis entre franc-maçonnerie et catholicité.
Après la mort prématurée du Duc d’Antin qui avait été fait maçon par le Duc de Richmond et sa Grande maîtrise reconnue par la Grande Loge d’Angleterre, sous la grande maîtrise laxiste du Comte de Clermont, la Franc-Maçonnerie s’est perdue et éparpillée dans des structures ésotériques n’ayant aucune épine dorsale politique.
Elle va retrouver sa vocation politique première avec Louis-Philippe, duc de Chartres, puis d’Orléans. Est-ce qu’il a profité de la crise ouverte au sein de la Grande Loge après la mort en 1771 du Comte de Clermont, entre les progressistes (Lacorniens) et les traditionnalistes ou l’aurait-il même provoqué ? En tous cas, la Franc-Maçonnerie française va, sous sa Grande-Maîtrise et celle de son administrateur Montmorency-Luxembourg retrouver une unité de Direction avec le GODF et revenir au modèle de la Grande Loge des Modernes.
Le Duc d’Orléans est à l’époque un personnage considérable, un des plus puissants et des plus fortunés. Il professe des idées très en avance sur son époque quant à l’absolutisme royal. Il n’est pas étonnant que Voltaire soit devenu (ou redevenu maçon) dans « son » Grand Orient.
Il a joué un rôle certain dans l’indépendance américaine en persuadant louis XVI de voler au secours des indépendantistes américains, en jouant sur la rancune du Roi, alors qu’ils s’agissaient de sujets en rebellion. Les relations maçonniques entre Franklin et Jefferson avec Rochambeau et Lafayette sont bien connues. Les similitudes entre la déclaration d’indépendance de 1776 et la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 sont évidentes.
Dans les années qui mènent à la révolution, l’influence du duc de Chartres est à son comble. Son opposition à la monarchie et à Louis XVI lui vaut une énorme popularité. Sa résidence au Palais-Royal est le siège de tous les opposants au régime et est vue comme l’anti-Versailles. Il est ennemi du parti de la cour et du roi et rêve du pouvoir, ce qui en fait l’ennemi juré de tous les partisans des Bourbons.
Il est effectivement vu par certains comme une alternative possible à Louis XVI — pour une régence de Louis XVI. Quand Necker est congédié par le Roi, c’est au Palais-Royal que Camille Desmoulins fait son discours du 12 juillet et le peuple parisien manifeste dans les rues en portant les bustes de Necker ET du Duc d’Orléans.
On ne reviendra pas sur le rôle du Duc dans les premières assemblées révolutionnaires et son action pour une monarchie constitutionnelle à l’anglaise avec d’autres francs-maçons célèbres, Mirabeau, Lafayette, Mounier… qui est bien connue. Il est même soupçonné d’avoir plus ou moins facilité voire même organisé les journées des 5 et 6 octobres au cours desquelles le Roi et sa famille furent ramenés de Versailles à Paris par les femmes en armes venues se plaindre de la disette de pain. On sait notamment que la spéculation sur le blé est la conséquence d’achat de blé par une banque britannique, en lien direct avec les contacts du duc d’Orléans à Londres et on peut s’interroger sur l’étonnante passivité de Lafayette au matin du 6 octobre qui « dormait » pendant que le Roi dut se mettre en route pour Paris.
Mais on ne peut pas voir le rôle du Duc de Chartres uniquement sous l’angle du pouvoir par la volonté de remplacer la dynastie des Bourbons discréditée. Son comportement pendant les 3 premiers années de la Révolution montre qu’il était en fin de compte acquis aux idées républicaines et si Louis XIV en voulant rejoindre à l’étranger les régimes monarchiques absolutistes, fit capoter le projet de monarchie à l’anglaise des premiers révolutionnaires, provoquant la radicalisation de la terreur, nul doute qu’une régence du Duc d’Orléans aurait pu évoluer vers une République modérée à « l’américaine », ce qui lui a sans doute valu son exécution en 1793.