La faute aux francs-maçons, aux protestants, aux philosophes des Lumières… ? Pourquoi tant de théories complotistes entourent la Révolution française ? Voir basculer tout un ordre social, politique et religieux en quelques semaines a été événement si incompréhensible pour ceux qui l’ont vécu, que de nombreuses explications ont été avancées. Des théories qui avaient l’avantage de rassurer, même si certaines font aujourd’hui sourire.
Source : « Au cœur des théories du complot : qui a « organisé » la Révolution française ? » – Les Racines du Présent sur RCF (Radio chrétienne francophone) du 21 mars 2023
En 1788, « personne n’imaginait qu’en l’espace de quelques semaines allait disparaître tout un monde : un ordre politique, un ordre religieux, un ordre social voire un ordre culturel », rappelle Edmond Dziembowski. Historien, spécialiste de l’histoire politique et culturelle de la France et de la Grande-Bretagne au XVIIIe siècle, il est l’auteur du livre « La main cachée – Une autre histoire de la Révolution française » (éd. Perrin, 2023). Il recense quatre pistes complotistes avancées pour expliquer la Révolution : le complot des philosophes des Lumières, celui des protestants, celui des Anglais et enfin celui des francs-maçons.
Pourquoi tant d’explications complotistes ?
Dès les premiers mois de 1789, et « même avant », la hantise du complot s’est répandue. Et depuis, cette passion pour les origines cachées de 1789 n’a pas cessé. Le choc de la Révolution a été tel que « forcément, certains Français se sont interrogés » : S’agit-il vraiment d’une résultante naturelle des événements politique ? « Confrontés à cette énigme, certains sont allés vers des hypothèse qui quelque part les rassuraient », observe l’historien.
La secte des encyclopédistes : le complot de la philosophie des Lumières
Les liens entre la philosophie des Lumières et la Révolution française sont connus. Mais « il y a toute une littérature qui met en accusation des philosophes d’avoir sciemment organisé une conspiration de manière extrêmement rigoureuse, décrit Edmond Dziembowski, visant à abattre d’abord les bases religieuses de la France et, ni plus ni moins, la monarchie. » On parle ainsi de la secte des encyclopédistes, qui aurait été organisée pour mettre à bas l’édifice politico-socialo-religieux. S’il y a « une part infime de vérité », reconnaît l’historien, on est loin d’une « armée philosophique qui travaille de manière concertée ». Car la philosophie des Lumières « n’a jamais connu d’unité ». Il n’y a qu’à voir comment Voltaire et Rousseau se détestaient !
La faute à Necker : le complot protestant
Étranger, protestant, banquier : Jacques Necker avait tout pour être le bouc émissaire idéal. Ses opposants l’ont accusé d’avoir conclu un pacte avec les philosophes en vue de « démonarchiser » la France et d’en bannir la religion catholique. Directeur général des finances de Louis XVI, plusieurs fois ministre, il « aurait rassemblé des milliers d’ouvriers étrangers à Paris pour consommer en masse le pain des Parisiens ». Comment comprendre une telle interprétation ? Les inventeurs de ces théories « réinterprètent une réalité » explique Edmond Dziembowski. Il y a bien eu une disette qui a frappé Paris et le reste du royaume, pour autant Necker a-t-il été l’un des acteurs de la Révolution ? « Il a été un des acteurs mais un acteur dépassé par les événements… Vue de l’extérieur, cette espèce d’apathie de la part de Necker a été interprétée comme une volonté vraiment consciente d’influer sur les faits, d’aggraver la situation. »
Les antipapistes : le complot anglais
« L’idée que la Révolution française a été forgée par l’Angleterre c’est quelque chose qui relève vraiment du fantasme ! » Mais l’Angleterre, qui avait affiché sa neutralité dès les débuts de la Révolution, avait envoyé sur place des agents. « Une opération assez maladroite qui s’est retournée contre elle. » Et qui a suffi à faire naître les théories complotistes. On a cru que Philippe d’Orléans, qui avait de nombreux amis en Angleterre, était allé en là-bas en 1788 pour faire transiter du blé depuis la France dans le but d’affamer les Français. Certes, Louis XVI avait signé en 1778 avait signé un traité d’alliance avec les États-Unis, et les Anglais auraient pu vouloir se venger… Par contre, quand, dès février 1793 la France et l’Angleterre sont entrés en guerre, il s’agissait pour les Anglais de « faire triompher non pas les révolutionnaires mais la Contre-Révolution ». Toutefois, il y a bien un moment où l’on aurait pu croire à « une main cachée de l’Angleterre », précise l’historien : c’est l’époque du Directoire. Mais elle a eu lieu après la Révolution…
Des Templiers aux jacobinistes : le complot franc-maçon
L’idée d’un complot franc-maçon n’a pas surgi tout de suite. Dans les sources, on la voit apparaître « progressivement », décrit l’historien. Et notamment à partir de 1797 avec l’abbé Augustin Barruel. Pour ce prêtre jésuite, le jacobinisme « prend sa racine dans la franc-maçonnerie ». Et « Barruel va très loin puisqu’il remonte aux Templiers ! » Ceux-ci ne se seraient pas éteints en 1314 avec la mort sur le bûcher de Jacques de Molay. Ils auraient « attendu le moment idéal pour sortir de l’ombre et abattre la religion » – sachant que le pape était le responsable de la suppression des Templiers…