La complexité de la Franc-Maçonnerie – Approche historique et philosophique – Lambros Couloubaritsis (Editions Ousia – avril 2018)
Tant les historiens que les philosophes ont négligé la contribution de la franc-maçonnerie dans le développement de la modernité, alors que parmi les acteurs de l’histoire politique et culturelle, nombreux furent franc-maçons. Ce manque est dû aussi aux francs-maçons eux-même qui interprètent la naissance de la franc-maçonnerie spéculative par la transformation de la maçonnerie opérative.
Or, les études depuis 1960 ont modifié cette démarche en tenant compte du contexte politico-religieux des conflits en Europe. L’auteur approfondit cette perspective et montre que la naissance de la franc-maçonnerie spéculative date, non pas de 1717, ni même de 1688 avec l’exil de Jacques II en France après la Glorieuse Révolution, mais des années 1603 lorsque Jacques I, initié maçon, est devenu roi d’Écosse et d’Angleterre dans un contexte de promotion de la littérature, des arts, de l’architecture et des sciences qui inauguraient les Lumières anglo-écossaises.
La franc-maçonnerie spéculative promut l’idée qu’il fallait dépasser les conflits en excédant les habitudes passées au profit de nouvelles attitudes morales, animées par le rapprochement de personnes ayant des métiers, opinions et des croyances différentes.
Elle s’exprima par une méthode de travail, accompagnée de rites et de divertissements, origine des rituels et des banquets maçonniques. Inspirée par la figure de Salomon, symbole de justice, et l’édification du Temple de l’humanité (symbole des métiers de construction), cette méthode, fondée sur l’initiation et le secret, s’écarta de la pratique des sacrements et de la liturgie ecclésiastique.
Elle eut des destinées variées à cause de la réalité géo-politique et religieuse troublée en Europe et en Amérique qui favorisa certes son expansion par d’innombrables bifurcations, mais qui alimenta aussi un antimaçonnisme permanent à partir de 1738.
C’est cette complexité contextuelle que ce livre s’efforce d’élucider pour faire voir que l’idéal maçonnique d’un « Centre d’Union » inscrit dans les Constitutions d’Anderson (1723), se heurte encore à la perpétuation des anciennes habitudes conflictuelles, en dépit de l’apport de la franc-maçonnerie en faveur de la liberté, de l’égalité et des valeurs de progrès et de philanthropie.
Les historiens étudient le passé de la franc-maçonnerie, les philosophes tentent d’en exprimer le sens. Le livre « Les Francs-maçons arrêtés au milieu du gué » de Peter Bu essaie d’imaginer son avenir.
« Il me semble utile, voir indispensable d’accepter la diversité des francs-maçonneries comme une source d’inspiration » affirme l’auteur.
Dit autrement, enlever les barrières physiques et mentales entre les obédiences en France et ailleurs afin que les frères et soeurs puissent connaitre les autres pratiques maçonniques et s’en inspirer.
Si les francs-maçons qui disposent des outils appropriés, notamment leurs rituels et symboles, ne sont pas en mesure de s’unir, comprendre la diversité des cultures et des individus peuplant la terre et l’accepter comme une source d’enrichissement, comment d’autres organisations pourraient-elles y parvenir? Pourtant, c’est absolument nécessaire si la « globalisation » actuelle du monde doit se poursuivre par des voies pacifiques.
Les francs-maçons et l’humanité ont besoin d’utopies. « Une carte du monde qui ne comprend pas Utopie n’est même pas digne d’un regard. » (Oscar Wilde) Néanmoins, ce livre peut désarçonner ou agacer certains, en particulier les conservateurs dans l’âme, les lecteurs qui n’ont pas beaucoup d’imagination et ceux qui profitent des blocages actuels.
Des « bonnes feuilles » du livre Les francs-maçons arrêtés au milieu du gué
https://blogs.mediapart.fr/peter-bu/blog/311020/la-franc-maconnerie-gouverne-elle-le-monde
Extraits de la préface et de la postface du livre
http://francmaconxxi.canalblog.com/archives/2020/11/03/38627073.html
Je vous invite à lire ma recension publiée dans le N° 91 de janvier 2020 de la revue « La Chaîne d’Union ».
La complexité de la Franc-Maçonnerie
Approche Historique et Philosophique
Lambros Couloubaritsis
Éditions Ousia, 2018, 584 pages, 28 €
Franc-Maçon, membre du Grand Orient de Belgique (GOB), Lambros Couloubaritsis, professeur émérite à l’Université Libre de Bruxelles (ULB), membre de l’Académie Royale de Belgique et docteur honoris causa de plusieurs universités pose donc la question de la complexité.
La Franc-Maçonnerie est-elle complexe ? Certes oui, car il nous faut bien parler des Francs-Maçonneries, surtout en Europe continentale.
Si complexe est le caractère de ce qui est compliqué, difficile à analyser ou à comprendre, reconnaissons que ce fort volume est d’une formidable aide à la compréhension de la Fraternité, dont l’origine spéculative et obédientielle remonte à plus de 300 ans.
Avec ses « secrets », ses « mystères », l’Art Royal ne cesse de fasciner. Ce livre, qui représente un travail remarquable et unique, permet de comprendre le pourquoi du comment, c’est-à-dire, la cause, la raison mais aussi l’explication. Avec une grande pédagogie, qualité indéniable de Lambros Couloubaritsis qui a formé des générations d’étudiants.
« Approche Historique et Philosophique », tel est le sous-titre des plus explicatifs de cette somme.
L’histoire, c’est la recherche, la connaissance et la reconstruction du passé de l’humanité sous son aspect général ou sous des aspects particuliers, selon le lieu, l’époque, le point de vue choisi et le déroulement de ce passé.
Quant à la philosophie, cet enseignant, ancien directeur du Centre de philosophie ancienne et internationalement reconnu comme un spécialiste d’Aristote, sait de qui il nous entretient. De toute connaissance rationnelle d’un système général des connaissances humaines.
La question de la complexité, établie par les mathématiciens tel Henri Poincaré (1854-1912) mathématicien, physicien, philosophe et ingénieur, fut tout d’abord occultée par les philosophes. Lambros Couloubaritsis élargit ces schémas d’analyse fondamentale à des domaines parallèles, extérieurs aux sciences dures : la pensée archaïque, l’histoire de la philosophie investie des lectures de l’Un et du Multiple, qui font un écho majeur à la célèbre phrase maçonnique : « Rassembler ce qui est
épars », afin, peut-être, de remonter vers la vérité principielle.
Dans son avant-propos, l’auteur expose la genèse de son ouvrage liée à trois événements majeurs : sa rencontre en 1962, en Belgique, avec la Maçonnerie, sa conférence publique à Villard de Honnecourt et ses cours à l’ULB.
Il faut dire que le thème de la complexité avait déjà l’objet, en 2014, de la part de Lambros Couloubaritsis de deux volumes lumineux, toujours chez Ousia « La philosophie face à la question de la complexité le défi majeur du 21e siècle – Complexités intuitive, archaïque et historique » Tome 1 et « Complexités scientifique et contemporaine » Tome 2.
Séquencés en quatorze chapitres, ceux-ci peuvent se lire distinctement et chacun y trouvera son salaire et de quoi faire son miel. En partant du commencement, de la naissance, c’est-à-dire « En quête des origines de la Franc-Maçonnerie », l’auteur nous retrace les différentes filiations, transitions et débats autour de l’origine de la Franc-Maçonnerie spéculative et de ses principes fondamentaux. Transition si bien théorisée par Harry Carr (1900-1983), historien et ancien Vénérable Maître (1958-1959) de Quatuor Coronati Lodge n°2076 et Maçon à la si pertinente analyse.
Sont abordées ensuite, au fil des chapitres, les notions fondamentales de la Maçonnerie, l’Art Royal à l’époque des Lumières françaises, son émergence en Allemagne et son tournant à l’époque du romantisme, la Glorification du travail et le Maçon dans la société, tout en évoquant aussi symbolisme religieux et maçonnique.
Le dernier opus de Lambros Couloubaritsis, véritable gourmandise littéraire et maçonnique, témoigne, avec savoir et passion, d’une grande élévation d’esprit qui exprime des idées fortes et qui, finalement, comporte un message.
Un livre publié avec l’aide du Grand Orient de Belgique, Obédience dite « libérale » et « adogmatique », fondée par Goswin, baron de Stassart (1780-1854) homme d’État et écrivain belge, le samedi 23 février 1833.
Rappelons que Ousia est une maison d’édition fondée en 1979 par des enseignants de philosophie des Universités francophones de Belgique.