Humanisme. Quel premier bilan tirer de votre début de mandat ?
José GULINO – Grand Maître
Je distinguerai plusieurs éléments qui composent la vie de l’obédience.
Sur le plan financier d’abord, le budget 2012 a dégagé un résultat positif de quelque 200 000 euros. La Banque de France note les associations et, même si je suis contre les agences de notation, je ne peux que me réjouir que la meilleure note ait été délivrée au Grand Orient de France ! L’obédience est donc bien gérée.
Ensuite, le fonctionnement interne de l’obédience, c’est aussi la vie administrative des loges. Au moment où je m’exprime, le Grand Orient en compte 1 205. Seulement, le nombre de loges croît beaucoup plus vite que le nombre de frères. Or avoir des loges de plus en plus petites pose problème dès lors que certaines n’ont jamais initié. Aussi peut-on suspecter que la création de nombreuses loges obéit à des enjeux de pouvoir au sein des Congrès. On proposera au prochain Convent de changer le système de calcul des capitations afin d’enrayer ce phénomène puisque l’on a essayé de faire fusionner des loges mais sans succès. Ainsi, comme, désormais, il faut être 21 pour créer une loge, on proposera que la capitation de la loge soit calculée en fonction du nombre de frères la composant mais avec un minimum équivalent à 21 frères, libre ensuite à la loge de répartir la charge en fonction des capacités financières de chacun – un tiers des loges pratiquent ce type de solidarité, si un frère peut payer 300 euros, il paiera 300 euros, si tel autre ne peut en donner que 15, il en donnera 15…
La pratique de la solidarité au sein de la loge concerne la loge et non l’obédience. Au niveau obédientiel, pour la première fois, la Commission nationale de solidarité maçonnique (CNSM) n’avait plus d’argent au mois de novembre. Nos frères subissent en effet l’impact de la crise, on ne le dit pas assez. Notre mécanisme de solidarité joue et continuera de jouer mais je pense qu’il faudra en définir un nouveau à l’occasion des discussion sur la fixation du montant de la capitation dans les années à venir. Soit on garde les mêmes montants et on exclura de plus en plus de frères, soit on garde les mêmes plafonds mais il faut mettre plus d’argent. Je souhaite que la solidarité soit vraiment notre priorité et qu’on aide les frères en difficulté.
J’aborderai pour finir les questions immobilières. Je ne note aucun problème concernant la SOGOFIM dont les 115 sites sont bien gérés et les emprunts planifiés. En outre, nous sommes la seule obédience à financer l’immobilier des loges propriétaires. Les autres obédiences n’ont jamais mis le doigt dans cet engrenage et ont toujours laissé les loges propriétaires se débrouiller. Rompre avec ce système nous serait très difficile. Or nous sommes très loin de disposer des sommes nécessaires pour aider les frères propriétaires pour un total d’environ 250 sites, ne serait-ce que pour les différentes mises aux normes. Ici aussi il va falloir prendre des décisions. Soit on considère que les frères propriétaires doivent gérer seuls les sites qu’ils possèdent ; soit l’obédience continue à les aider mais dans des conditions qu’il faudra repréciser car la mise aux normes des temples coûte beaucoup d’argent et certains devront fermer s’ils n’y procèdent pas.
Humanisme – Où en sommes-nous de l’initiation des femmes et de l’affiliation de sœurs ?
José GULINO – Grand Maître
Le Grand Orient compte à présent quelque 1 200 sœurs affiliées ou initiées.
Humanisme – Les effectifs du Grand Orient continuent-ils de progresser ?
José GULINO – Grand Maître
Nos effectifs croissent de 1 000 personnes par an à peu près. Les affiliés viennent essentiellement de la Grande Loge Mixte de France et de la Grande Loge Mixte Universelle.
Quand c’est une loge entière qui s’affilie, une loge qui a déjà sa culture, son vécu, son histoire, je demande que l’on soit très prudent car ce n’est pas aussi simple que pour un individu.
Humanisme – Car au-delà de la culture de la loge qui s’affilie, il y a la culture du GODF…
José GULINO – Grand Maître
En effet. La question est de savoir si la greffe prendra facilement. Autant, pour un individu, je pense que oui, autant, pour une loge entière, c’est plus problématique.
Humanisme – L’un des objectifs des Grands Maîtres précédents était de rajeunir les effectifs. En même temps, la population vieillit…
José GULINO – Grand Maître
Je ne dispose pas de statistiques récentes. Nous essayons certes de nous tourner vers la jeunesse mais faire baisser la moyenne d’âge est difficile. Il faut évidemment tenir compte de la dérivée normale de la population française. Et je note que des structures jeunes, souvent, pour leur part, veulent des vieux, des sages… Régis Debray souligne bien que la jeunesse ne doit pas être un objectif en soi.
Humanisme – Géographiquement, le recrutement est-il assez uniforme ?
José GULINO – Grand Maître
Paris représente toujours à peu près 40% de nos effectifs. Bien sûr, les métropoles régionales diffusent la culture, mais on a besoin de Paris. La capitale et la province doivent se respecter.
Humanisme. Toujours en ce qui concerne la vie interne de l’obédience, quel bilan tirer des travaux des commissions nationales ?
José GULINO – Grand Maître
Je suis très content du travail des commissions nationales, qu’il s’agisse de la commission de santé publique et de bioéthique, de la commission du développement durable ou de la commission nationale permanente de la laïcité. Ces commissions produisent des travaux de grande qualité, de nature à ruiner l’idée reçue selon laquelle le Grand Orient ne penserait plus, serait dépourvu intellectuellement face aux grands enjeux auxquels nous sommes confrontés. Aussi les notes, études, rapports, bulletins des commissions gagneraient sans doute à être mieux diffusés en interne, en tout cas à être mieux connus – en effet, la plupart sont disponibles sur le site intranet, ce qu’on ne sait pas assez. Les membres de l’obédience alimenteraient ainsi avec profit leur réflexion.
Humanisme. Le Grand Orient présente la spécificité d’avoir en son sein cinq juridictions administrant cinq rites pour les grades au-delà du troisième – rite écossais ancien accepté, régime écossais rectifié, rite français, rite ancien et primitif de Memphis Misraïm, rite d’York…
José GULINO – Grand Maître
Ces juridictions forment un tout, une particularité qu’il faut préserver. Malheureusement, on constate qu’un certain nombre de frères du Grand Orient ont tendance à vouloir créer leur propre parcours maçonnique au-delà des loges bleues en dehors de nos cinq juridictions. Or un franc-maçon du GODF ne peut pas avoir un parcours maçonnique initiatique en dehors de l’une de ces cinq juridictions. S’il adhère à une autre juridiction il doit perdre sa qualité de membre d’une loge bleue et il revient à l’obédience de saisir la section permanente de la CSJM afin que le frère en question soit suspendu. Ainsi à Marseille, certains frères du GODF ont créé une nouvelle juridiction du RER contraignant ses adhérents à être chrétiens.
Pour le reste, les relations de l’obédience avec les cinq juridictions sont très bonnes et, j’y insiste, j’attache une grande importance à leur préservation.
Humanisme. Fort de cette spécificité, quel est le rôle du Grand Orient dans la recomposition du paysage maçonnique français ?
José GULINO – Grand Maître
Après la déclaration de Bâle du 10 juin 2012, aux termes de laquelle cinq Grandes Loges européennes (d’Allemagne, d’Autriche, de Belgique, du Luxembourg et de Suisse) retiraient leur reconnaissance à la Grande Loge Nationale Française, c’était au tour de la Grande Loge Unie d’Angleterre de la lui retirer. Cela a créé un déséquilibre. La position du GODF reste très claire : notre obédience a ses valeurs, son cheminement, sa vision du parcours maçonnique et si nous devons bien tenir compte de ce qui se passe autour de nous, nous ne sommes pas dupes et ne changeons pas d’optique.
Chaque obédience est libre d’avoir le parcours qu’elle veut. Nous travaillons pour notre part avec cinq obédiences – le Droit Humain, la Grande Loge Féminine de France, la Grande Loge Féminine de Memphis-Misraïm, la Grande Loge Mixte Française et la Grande Loge Mixte Universelle – pour essayer de mettre à plat nos conventions interobédientielles car aujourd’hui plus personne ne sait ce que nous avons signé au cours des décennies antérieures. Entre Grands Maîtres nous nous sommes mis d’accord pour essayer d’établir un protocole, une charte, un accord, d’ici au mois de juin, afin de préciser nos liens, nos objectifs communs. L’objectif est de dresser un état des lieux et, par exemple, de signer un accord aux termes duquel, si une Chambre de Justice Maçonnique de l’une des six obédiences prenait la décision d’exclure un de ses frères, elle s’appliquerait aux cinq autres. En outre, il s’agit d’organiser des colloques communs, de publier des communiqués communs.
La Grande Loge de France et la Grande Loge Traditionnelle Symbolique-Opéra représentent une autre forme de maçonnerie.
Pour ce qui est de la Grande Loge de l’Alliance Maçonnique Française et de la Grande Loge Indépendante de France, que nous accueillons dans nos locaux, si elles refusaient aux frères du Grand Orient de rentrer dans leurs propres locaux, je leur demanderais d’aller s’héberger ailleurs.
Humanisme – A-t-on noté un afflux plus ou moins massif de frères quittant la GLNF en crise ?
José GULINO – Grand Maître
Pas en direction du Grand Orient, mais plutôt de la GLTSO, obédience du reste issue en partie de la GLNF. Chacun a le droit de suivre son propre parcours maçonnique pour peu qu’il respecte celui des autres. Je suis pour la tolérance mutuelle, pour la liberté mutuelle, et je cesse d’être tolérant si on ne l’est pas vis-à-vis de moi.
Humanisme. Quelle est la politique extérieure du Grand Orient dans ce contexte ?
José GULINO – Grand Maître
Certaines questions, en la matière, se posent de manière récurrente. Faut-il, par exemple, continuer à avoir des loges du GODF dans de nombreux pays ? Ne faut-il pas plutôt pousser à la création d’obédiences défendant les mêmes valeurs républicaines que nous ?
Prenons l’exemple des loges d’Espagne : elles sont viscéralement attachées au GODF. Or à quel titre leur tournerait-on le dos ? En revanche, il faudrait assortir toute nouvelle création de loges du GODF à l’étranger de l’engagement de leur part de créer une nouvelle obédience dans les quatre ans. Il faut que nous soyons une pépinière destinée à créer une maçonnerie locale partageant avec nous les mêmes principes.
Sans rompre avec la politique traditionnelle du Grand Orient, nous avons engagé une nouvelle dynamique, notamment avec l’Institut d’études et de recherches maçonniques (IDERM), avec les réseaux, visant à faire de la culture une priorité. J’essaie de faire en sorte que tout ne se fasse pas à Paris. Par exemple, nous allons organiser une journée Abd El-Kader à Marseille et j’ai demandé à cette occasion qu’on invite les consuls des trois pays du Maghreb – Tunisie, Algérie, Maroc.
Humanisme – En deux mots, avez-vous rencontré des difficultés inattendues ?
José GULINO – Grand Maître
Pas vraiment. Je savais que la charge de travail serait lourde. Je me suis engagé à rendre visite aux 17 congrès régionaux au cours de mon année de grande maîtrise, si ma santé me le permet. Pour ce qui est de la région Monde, ses délégués viennent à Paris pour la conférence des Congrès. Mon seul déplacement hors métropole sera pour aller participer aux travaux de la région Antilles.
Humanisme – Depuis le sommet de l’obédience on perçoit évidemment la réalité du GODF d’une certaine manière, qu’y aurait-il à changer, notamment dans le fonctionnement de l’obédience ?
José GULINO – Grand Maître
J’ai pris acte des décisions du convent de Nice-I qui a mis un terme à un certain nombre de réformes structurelles. Reste que cette obédience telle qu’elle évolue va devenir matériellement ingérable. Mais il appartient au législatif, aux loges, aux congrès régionaux de faire des propositions.
L’exécutif peut y contribuer par son diagnostic, sa connaissance du fonctionnement de l’obédience, mais je me refuse à ce qu’il prenne seul en mains la gouvernance de l’obédience. On ne pourra pas continuer longtemps à ne pas vouloir évoluer. Nous avons décidé que le convent de 2014 aurait lieu à Reims. Chaque convent devient un monstre à gérer, hôtels, transports… et pour quel résultat pratique pour l’obédience ? En termes d’efficience je me pose des questions. Faut-il organiser un convent chaque année ? Le convent ne devrait-il pas se recentrer sur l’essentiel, sur la prospective ? L’objectif du Manifeste est justement de secouer le cocotier, de lancer le débat de prospective du Convent. Le document n’est pas définitif et aucune présentation publique profane n’aura lieu – il est tout de même regrettable que des frères du GODF trahissent leur serment et s’empressent de transmettre nos textes internes aux journalistes ! Le Manifeste n’est rien d’autre qu’une contribution au débat interne.
Humanisme – Pour ce qui est du Manifeste, justement, n’est-on pas confronté à une difficulté ? Au début du XXe siècle, le GODF recrutait des gens de gauche, radicaux ou socialistes, qui avaient à peu près le même profil idéologique ; il était donc plus aisé pour l’obédience de se prononcer sur un certain nombre de sujets. Aujourd’hui, le recrutement au GODF se révèle beaucoup plus hétérogène qu’auparavant sur le plan idéologique. On note que même sur des thèmes comme la laïcité ou l’école il est parfois très difficile d’obtenir un accord.
Le F∴ José GULINO – Grand Maître
L’obédience rassemble tout de même autour de principes communs : Liberté, Égalité, Fraternité. Avant toute prise de position, mon obsession est de savoir quel est l’intérêt de l’obédience. Quand je prends position pour le mariage pour tous, par exemple, c’est parce que je considère que l’égalité est un principe républicain fondamental. En vertu de quoi, en effet, peut-on soutenir que le droit au mariage est fonction d’une pratique sexuelle et qu’à ce titre certains Français ne sont pas égaux aux autres ? Si je n’avais pas pris cette décision, conforme à la devise que nous nous sommes promis de défendre, je n’aurais plus rien eu à faire au GODF. Autre exemple, sur la fin de vie, le Conseil de l’Ordre a voté et n’a pas eu la même position que la Commission. Bref, quand on me parle de la difficulté de prendre position sur un certain nombre de thématiques, je me fixe comme critère de savoir si nous agissons conformément aux principes républicains donc aux principes promus par le GODF.
Humanisme – La trilogie Liberté-Egalité-Fraternité étant à articuler aux quatre autres principes qui définissent la République et que l’on retrouve dans la Constitution : « indivisible, laïque, démocratique et sociale »…
José GULINO – Grand Maître
Ces principes définissent bien le cadre de nos prises de décision. Nous sommes particulièrement vigilants, au GODF, à la laïcité. On me trouvera peut-être un peu dur mais je reste convaincu qu’une loi est impérative afin de clarifier la situation, notamment à la suite de la toute récente décision de la Cour de cassation. Claude Vaillant, avocat de la Fédération française du bâtiment, me racontait que certains ouvriers s’arrêtaient régulièrement, en plein travail, sur leurs échafaudages, pour prier. J’ai rencontré le PDG de la RATP qui a conduit un travail en vue d’élaborer une charte de la laïcité au sein de son entreprise. Il l’a remise au Gouvernement et nous l’a également confiée afin qu’on y travaille. Il m’a appris pour sa part que certains conducteurs de métro ou de bus ne serrent pas la main de leurs collègues parce que ce sont des femmes. Le principe de laïcité doit être mis en tête de gondole, si j’ose dire, dans la fonction publique. Je pense qu’il faut absolument légiférer, j’y insiste. La constitutionnalisation des deux premiers articles de la loi de 1905 contribuera largement à régler tous ces problèmes.
Le rôle du Grand Orient est d’être un guetteur, un veilleur, une sentinelle de la République.
Humanisme – Mais n’y a-t-il pas une démission des hommes politiques supposés nous être proches ?
José GULINO – Grand Maître
Tout à fait. D’où, j’y reviens, l’idée du Manifeste. Pourquoi donc ne ferions-nous pas notre travail de francs-maçons ?
Humanisme – A propos du Manifeste, revenons-y, on en discute beaucoup dans les loges. Il suscite des réactions peut-être inattendues.
José GULINO – Grand Maître
Un de ses premiers objets était, je l’ai dit, de secouer le cocotier. Les uns s’expriment contre, les autres m’appellent ou m’écrivent pour me louer d’avoir pris cette initiative. Les réactions ne sont donc unanimes ni dans un sens ni dans l’autre. Je le répète, le document n’est pas définitif et n’a pour objet que de lancer le débat de prospective du convent. Nous attendons les contributions des Commissions permanentes ; déjà celles de certains congrès, celles de nombreuses loges nous sont parvenues. Il faut que le document amendé soit envoyé aux loges avant l’été. Le Manifeste est le début d’un processus que les loges suivront ou non.
Cette initiative s’inscrit dans un contexte particulier, un contexte politique dont je suis profondément convaincu qu’il est dangereux. Des catastrophes ne sont pas à exclure dans les mois et les années qui viennent. Dans le Pas-de-Calais, plusieurs villes importantes vont passer au Front national. En mettant bout à bout les attaques contre la laïcité, le « tous pourris », les violences, on doit comprendre que l’on va être confrontés à de grandes difficultés politiques.
Humanisme – Le Manifeste est aussi une occasion pour les francs-maçons du GODF de se réapproprier leurs termes. Un de vos prédécesseurs, Patrick Kessel, a récemment écrit un livre intitulé Ils ont volé la laïcité (cf. Humanisme, n° 298). L’extrême droite excelle depuis des années dans cet exercice de récupération, face à des républicains plutôt passifs…
José GULINO – Grand Maître
J’ai visité il y a deux mois Oradour-sur-Glane et j’ai eu le privilège d’être là, avec un des derniers survivants. Quand il vous raconte ce qui s’est passé, vous n’en revenez pas sans une boule à l’estomac.
Humanisme – Il y a un vrai travail de réflexion à mener pour éviter de sombrer dans la facilité consistant à répéter que nous nous trouvons dans un contexte semblable à celui des années 30. A l’époque, beaucoup analysaient le fascisme et le nazisme comme des phénomènes césaristes, évoquant le boulangisme ou le bonapartisme, ce qui ne leur a pas permis de comprendre la nouveauté, la spécificité du phénomène totalitaire et donc les a rendus impuissants. Les francs-maçons ne doivent-ils pas réaliser, vraiment, un travail critique afin d’analyser la nouveauté des dangers qui assaillent la République et ne pas se contenter d’agiter un peu stérilement le spectre des années 30 ?
José GULINO – Grand Maître
En effet, les loges doivent travailler aussi sur ces questions. En ce sens, le Manifeste peut constituer une amorce de réappropriation de nos principes.
Humanisme – Autre thème qui vous tient à cœur : la laïcité financière…
José GULINO – Grand Maître
L’Etat et les citoyens sont contraints par un pouvoir qui les oppresse : la finance. L’idée est simple : de la même manière qu’on a procédé à la séparation des Eglises et de l’Etat, il s’agirait de séparer la finance – et non, bien sûr, l’économie ! – et les Etats.
Prenons un exemple : imaginons que, demain, Renault ou bien PSA s’effondre, la France ne déposera pas le bilan. En revanche, si la Société générale ou la BNP s’effondrait, si les citoyens ne renflouaient pas la banque, la France déposerait le bilan. Cela signifie que la sphère financière privée commande la sphère publique, l’Etat. Ce n’est pas acceptable. Le pouvoir doit revenir à ceux que nous avons élus démocratiquement pour l’exercer, cela s’appelle la démocratie et la République. Et en cas de mécontentement, on change de dirigeants aux élections suivantes.
Deuxième exemple parlant : tous les matins à la City de Londres, les banques mondiales se réunissent et tous les matins elles fixent le taux de change auquel elles vont se prêter de l’argent dans la journée. Ce taux s’impose aux États, aux particuliers etc. Ce taux, on le sait, a été manipulé, il y a eu des ententes. Or il ne doit pas être fixé par ceux qui vont encaisser l’argent. Que les États soient trop endettés, c’est une évidence ; que les États demandent aux banques de leur prêter de l’argent, soit. Mais les banques doivent placer leur argent dans des systèmes sûrs. Certes les États doivent se montrer beaucoup plus rigoureux, mais on ne peut se satisfaire d’un système où l’homme est contraint par une puissance qui lui échappe.
Le Grand Orient a reçu Antoine Frérot et Jean Peyrelevade pour un colloque. Ces deux patrons admettent qu’eux aussi sont contraints par la finance. M. Frérot nous a donné un chiffre qui illustre la montée en puissance de la finance : la durée de la propriété moyenne d’une action était de quatre à cinq ans ; or, depuis deux ans, elle n’est plus que de six mois. Tous les six mois, l’action est revendue. Autrement dit, il travaille pour des actionnaires qui veulent faire de la spéculation… Les deux intervenants demandent à ce que l’on change les statuts des entreprises, qu’on ne confonde pas actionnaire et propriétaire, que le client, le fournisseur, le personnel, soient propriétaires, membres d’une structure de l’entreprise qui leur permette d’avoir une évolution différente. On constate donc une attente même au sein du monde économique. Si j’avais demandé à Laurence Parisot de venir s’exprimer devant nous, c’était aussi pour qu’elle défende ces thèses-là. Je pense que, pour le GODF, la laïcité financière – ce n’est peut-être pas le bon mot – est vraiment une priorité.
Il y a une mesure simple que le pouvoir devrait prendre : séparer les banques de dépôts et les banques d’investissement. Il suffit d’une loi. Il faut que nous fassions pression. Si, en la matière, nous sommes en phase avec le monde économique, la force de nos propositions – qui restent à affiner – s’en trouvera accrue.
Humanisme – Un point plus personnel peut-être, pour terminer ?
José GULINO – Grand Maître
Ma tâche m’occupe à 120 %, sans doute du fait de la brièveté de mon mandat. C’est intéressant, épanouissant. J’appréhende la réalité dans une perspective que je n’avais pas auparavant. Mais je n’oublie jamais qu’au mois de septembre ce ne sera plus moi – je devrai transmettre le flambeau.
Je suis président du conseil de surveillance de l’association PACT du Pas-de-Calais dont l’une des missions est l’insertion par le logement. Je m’occupe de cette structure depuis cinq à six ans, et j’espère m’y investir plus encore. Je dis que le maçon doit s’investir dans la société, et l’appel de la société – comme l’appel du large pour le marin -, c’est de l’autre côté de la porte du temple. Tu peux te nourrir, te former, te cultiver, t’améliorer dans nos temples, et il faut le faire, mais après, dans la société politique, associative, syndicale, tu t’investis. Il est important que nous, francs-maçons, mettions toujours nos actes en pratique avec nos idées.
(Propos recueillis par Samuel Tomei et Pascal Bajou)