« La Tribune de Genève » publie un article quant à l’élection de Jean-Michel Mascherpa au poste de Grand Maître de la Grande Loge Suisse Alpina.Cette élection s’est déroulé ce week-end lors de la 159° assemblée de l’obédience à Genève (cf. article du 05 juin 2010)
L’occasion pour le magazine d’information en ligne d’éditer un entretien avec le nouveau Grand Maître.
Source : http://www.tdg.ch/geneve/actu/grand-maitre-genevois-francs-macons-suisses-2010-06-06
L’événement ne s’est produit que quatre fois depuis 1844. Un Genevois se trouve à la tête de la Grande Loge suisse Alpina, la principale obédience maçonnique de Suisse, qui compte un peu moins de 4000 membres dans le pays et 650 à Genève. Son élection a eu lieu samedi à Genève, en présence de 500 délégués venus de toute la Suisse, et de 21 délégations étrangères. Autre fait méritant d’être marqué d’une pierre blanche, le nouveau président ne se cache pas. Rompant avec la tradition maçonnique de l’extrême discrétion et du secret, Jean-Michel Mascherpa nous parle ouvertement, à visage découvert. De la franc-maçonnerie, de son engagement depuis vingt cinq ans, de son mandat de président pour quatre ans, de ses idéaux.
L’élection d’un Grand Maître genevois est discutée depuis dix ans par les membres de la Grande Loge suisse Alpina. Pourquoi vous ?
Je vis cela avec beaucoup d’humilité. Chez les francs-maçons, on ne se met pas en avant, ce sont les frères qui poussent l’un des leurs sur le devant de la scène. Le Grand Maître, ce n’est pas forcément le meilleur en absolu. Le jeu du tournus entre régions linguistiques et girons est très important. Cela dit, nous respectons et valorisons énormément l’âge et l’expérience, synonymes de sagesse.
Des girons… ?
La Grande Loge Suisse Alpina est dite « régulière » (contrairement au Grand-Orient par exemple). Elle se caractérise notamment par une idée du divin comme « Grand Architecte de l’Univers ». Laïque, aconfessionnelle, cultivant la spiritualité, elle comprend quatre vingt quatre loges, dont treize à Genève, et se subdivise en huit girons, par regroupements géographiques de cantons. Les trois girons principaux sont Genève, Vaud et Zurich.
Alors pourquoi si peu de Grands maîtres genevois ?
En effet, il n’y en a eu que quatre en 166 ans. Le dernier a été élu en 1983. Il faut pouvoir mettre son temps à disposition, des moyens financiers, avoir l’habitude de mener des assemblées, et ceci à l’échelle nationale. Il faut « savoir tenir un maillet », donc être un vieux maçon expérimenté . C’est un engagement très prenant. Or je suis à la retraite depuis 2004. Et, à 68 ans, je me sens encore plein d’énergie pour m’engager en faveur de la cité. Un franc-maçon doit rayonner à l’extérieur, rendre les bienfaits du travail spirituel qu’il a effectué sur lui-même.
Vous êtes élu pour quatre ans. En quoi consiste votre mandat ?
Le Grand Maître n’est pas un guide spirituel. C’est une sorte de « grand frère », de pater familias qui fait en sorte que les différentes loges fonctionnent bien. Mes devoirs sont fédéraux : la franc-maçonnerie, c’est une confédération. Chaque loge a son autonomie pour guider ses membres sur leur chemin spirituel. Mais il existe aussi une structure fédérante, garante de l’harmonie et de la liberté de travail de chaque entité. Il s’agit aussi pour moi de représenter la Grande Loge suisse Alpina à l’étranger.
Exercez-vous un rôle d’arbitre, ou de juge ?
Cela arrive. Je peux être saisi d’un litige entre deux frères de quelque nature qu’il soit, voire même entre un Frère et sa Loge. Nous nous efforçons toujours de gérer ces problèmes par les règles de la fraternité et de la conciliation, avant d’en arriver devant les tribunaux.
Comment fonctionne une Loge ?
Chacune a sa couleur, et adopte l’un des cinq rituels en vigueur ; elle est présidée par un Vénérable Maitre, élu par les membres de la loge et « installé » – adoubé – par le Grand Maître ou l’un des Grands Officiers. Les grandes loges comptent une centaine de membres, et sont de plus en plus rares. La majorité en recense entre 40 et 80.
Comment élargissez-vous votre cercle, puisque le prosélytisme est interdit chez les francs-maçons ?
C’est interdit, en effet. Mais chacun de nous prône nos valeurs et les défend dans la société profane au travers de son comportement. Nous parlons spiritualité, philosophie, psychanalyse jungienne autour de nous. Certaines personnes sont réceptives et souhaitent nous rejoindre. Notre chemin est solitaire, mais toujours accompagné par les Frères.
Comment cela se traduit-il dans les faits ?
Nous travaillons ensemble autour de textes écrits et présentés par l’un de nous, qui a effectué une recherche, une planche dans notre langage. Comment la spiritualité peut-elle par exemple nous aider à résoudre tel ou tel problème d’aujourd’hui ; comment des valeurs morales héritées, entre autres, depuis le Siècle des Lumières, peuvent-elles être appliquées dans ce siècle? Nous ne parlons jamais politique ni religion. Nous discutons de morale, de justice, de faits de société et débattons autour des questions que ces thèmes suscitent.
Vous ne faites pas de politique ? Les francs-maçons genevois n’ont-ils pas la réputation d’être tous radicaux ?
(rire) J’ai été conseiller municipal dans ma commune pendant dix ans pour le parti libéral, alors… Oubliez cette idée de franc-maçonnerie radicale ! Il y a dans les loges autant de frères de droite que de gauche. De même qu’il y a autant de manuels que d’intellectuels, autant de médecins que de commerçants.
Mais pas de femmes.
Il existe des loges uniquement féminines et des loges mixtes, dites « du Droit Humain». Pour être francs-maçons, nous n’en sommes pas moins hommes… Nous nous sommes aperçus que la mixité engendre parfois des problèmes. Elle pourrait aussi « embarrasser » nos épouses ou compagnes, que nous respectons. En outre, sur notre chemin spirituel, nous nous efforçons de laisser parler notre sensibilité, la partie féminine qui est en nous tous, sans crainte d’être jugés. Certains pensent qu’en présence de femmes, ils n’y parviendraient pas.
Vous mettez à mal un autre lieu commun, le fameux réseau d’entraide entre francs-maçons…
Toute entreprise maçonnique qui tourne au réseautage, au « Rotary local » – et je n’ai rien contre le Rotary, dont j’ai été membre longtemps ! – est un échec conceptuel. C’est contraire à nos idées. Dans les années 50 et 80, il y avait des « fraternelles », qui existent toujours. Mais ce ne sont pas des loges. Le réseautage pour s’entraider et arriver professionnellement remonte au XVIIIe siècle, dans le reste de l’Europe, lorsque les francs-maçons étaient en lutte contre le catholicisme ; ils se serraient les coudes, dans la police, dans la magistrature. Mais en Suisse, cela n’a jamais existé.
Mais il vous arrive de vous favoriser les uns les autres.
Disons que… lorsque j’ai vu un frère agir en loge pendant dix ou quinze ans, se mettre à nu, se dépouiller de son ego, pleurer parfois, cela crée des liens de confiance. Alors oui, peut-être qu’à prestations et prix égaux, dans une adjudication ou un contrat, il est logique et humain de le choisir lui plutôt qu’un inconnu.
Comment s’est déroulée votre élection ?
Elle a eu lieu samedi à Genève, et la passation de flambeaux dimanche. L’élection se fait à bulletin secret, aux 2/3 des suffrages. J’ai choisi les quatre membres de mon comité, tous genevois, chacun venant d’une loge et de rite différents pour assure une bonne représentation.
Pourquoi choisir d’apparaître publiquement ?
Je vais forcément devoir apparaître à un moment donné sur la scène publique, alors autant prendre les devants, surtout que la photo du Grand Maître illustre la page d’accueil de notre site Internet. Pour les maçons genevois, mon élection est un moment très important. Nous voulions tous profiter de l’événement pour faire mieux connaître la Franc-maçonnerie qu’on soupçonne toujours de secret. Et puis nous n’avons rien à cacher. Le secret maçonnique, c’est simplement un vécu.
Bio-Express
Jean-Michel Mascherpa est né en avril 1942 à Blida, en Algérie, dans une famille de commerçants et d’entrepreneurs originaire de Bioggio, dans le Tessin. Il grandit en Algérie jusqu’au départ, en 1960. Etabli en France, il y passe son bac.
A Genève, il effectue des études de biologie, et obtient son doctorat puis un certificat de spécialisation en informatique. Il devient chargé de cours en biologie à l’Université, et chargé de recherche au Jardin botanique.
Nommé en 1985 à la direction du Centre horticole de Lullier, passe co-directeur à la Direction générale de l’environnement, avec Claude Haegi comme conseiller d’Etat, puis devient membre du Comité directeur de la HES-SO.
Marié depuis 43 ans, sans enfant, il craint, avec sa nouvelle fonction, de ne plus avoir assez de temps pour cultiver les relations avec « une flopée de neveux, nièces et filleules qui ont fini par engendrer encore plus de petits garçons et filles » !
Parmi ses loisirs favoris, il cite volontiers la lecture, le cinéma, la télé, le jardinage, la visite de musées et d’expositions, ainsi que les ballades en montagne pour herboriser «ses petites fleurs». Jean-Michel Mascherpa aime lire ouvrages et revues spécialisés en lien avec ses deux métiers, mais aussi avec la 2ème guerre mondiale, l’histoire des religions et bien sûr la Franc-maçonnerie.
Côté musique, c’est un fervent d’opéra, de belles voix et de grands interprètes de piano. En peinture, il apprécie les paysagistes anglais et flamands, et les impressionnistes. Car il aime regarder la nature, découvrir gens et cultures, il adore voyager, avec une prédilection pour les îles, où « les civilisations et les plantes sont les plus intéressantes ».
Sportif dans sa jeunesse (judo, handball, escrime), il a rangé kimono et chaussures de sport depuis longtemps.