Une magnifique planche très « interpellatrice » de notre Alain L.
JE NE SAIS NI LIRE, NI ECRIRE ; JE NE SAIS QU’EPELER
Apprenti, le fait de se considérer dans une forme d’ignorance permet de rester en quête de la connaissance, en posture de recherche. Cela permet de rester éveiller et d’apprendre, c’est le doute et le questionnement qui permet de progresser. L’initié doit percevoir (perce voir), il doit croire pour voir et non le contraire. Toute certitude peut renforcer son ignorance. Il se situe plus dans le savoir-faire que dans le savoir sans pour autant dénigrer ou renier les sciences, ce savoir peut être un rouage pour le raisonnement de l’intellect. En fait, le vrai savoir initiatique n’est pas dans les lettres ou l’écriture mais dans une perception extra sensorielle celle de l’intelligence du coeur.
Plusieurs traditions et notamment la tradition Hébraïque s’inspirent sur le symbolisme des signes, des nombres, science de la Gématrie, des lettres, des mots et sur la faculté de percevoir au-delà des apparences. Ainsi, en Islam, le prophète Mahomet a eu une révélation dont l’enseignement fut transcrit alors qu’il était illettré. Il semble que le prophète ne savait ni lire ni écrire et n’avait donc pas participé à la rédaction des versets, rappelons que Coran signifie littéralement récitations. Les musulmans fervents et les érudits conservateurs croient que Dieu, à travers l’ange Gabriel, Djabraîl, lui assigna cet ordre l’écriture pour sa lecture : Iqra’ ou « lis ou récites ! » qu’il réitéra plusieurs fois ! Le Prophète répondit chaque fois « Je ne sais pas lire ! ». On sait qu’aucune civilisation n’est possible sans cela, Mahomet généralisa alors cette méthode pédagogique et le saint livre de l’Islam fut transcrit pour préserver l’authenticité des paroles d’Allah. Franc-maçon, lors de la cérémonie d’initiation je suis passé par une porte basse, recroquevillé, ni nu ni vêtu, une corde au cou. Puis on m’a dit : « tu ne sais ni lire, ni écrire ; tu ne sais qu’épeler ». Cela peut paraître frustrant mais s’il y a quelque chose qu’on ne pourra jamais m’enlever ou me contraindre c’est ma liberté de pensée. C’est ce qui m’a conforté dans mon investissement dans cette voie initiatique avec la volonté de remédier à mes imperfections pour un devenir plus solaire. Pour y parvenir, il m’a fallu « décoder » tout ça.
D’abord que suis-je avant le qui suis-je ?
Apprenti, on me fait comprendre que j’ai un réel besoin d’être éduqué, j’ai tout à désapprendre, apprendre et comprendre. Je suis donc un étudiant, un élève or élève veut bien dire s’élever, évoluer, progresser, se perfectionner. Pour s’élever il faut s’épurer, s’alléger encore faut-il savoir de quoi il faut se délester d’où la connaissance de soi pour une maitrise de soi.
Ce que j’ai constaté d’emblée c’est le fait que nous soyons tous identiques dans notre quête, tous nos regards se portent vers l’Orient, la Lumière naissante. Toutefois nous sommes aussi uniques dans notre corpus et notre cursus car nos champs de conscience diffèrent et les chemins que nous empruntons sont différents, ce qui diffère n’est pas le but mais le cheminement pour y parvenir.
Le tailleur de pierre que je suis possède des outils, apprend le langage des symboles. Je tâtonne, j’expérimente et je tente d’articuler la symbolique et d’associer les éléments entre eux, bref j’essaie de comprendre le sens profond des choses. En réalité, je ne perçois que des brides, des éléments d’un puzzle qu’il me faudra ordonner et composer. Je suis en période d’apprentissage d’un l’alphabet codé, un des
fondamentaux du symbolisme. Par conséquent, ne sachant ni lire ni écrire je ne peux pas décoder ce qui vient de l’extérieur, de ma périphérie, je suis seulement en phase d’écoute et d’observation dans la gérance de mon état. Je focalise sur mon propre enrichissement issu de mes doutes et de mes questionnements. Cet enrichissement ne me permet pas encore de décrire une réalité cosmique, ce n’est qu’une simple approche pour une lecture dans la quintessence du rite. Il est dit dans le rituel :
« Je ne sais ni lire, ni écrire ; je ne sais qu’épeler, donner moi la première lettre je vous donnerai la seconde ».
A un moment très précis le vénérable Maître soulignera mon insuffisance voire ma carence culturelle relative dans ce monde de l’imaginaire. Je ne puis qu’épeler est en fait une reconnaissance de son impuissance liée à un manque de connaissances pour son devenir. Cet aveu est déjà un grand pas vers l’acceptation de son état dans la plus simple humilité. Ce moment correspond à la prononciation d’un mot qui se dit impérativement à deux, celui d’un mot sacré qui solennise l’instant d’une présence d’un principe transcendant. Il est dit qu’une lettre suivra la précédente pour former le mot ce qui évoque une intégration dans un collectif pour une transmission par l’oralité et un partage. Epeler lettre après lettre engendre l’aspect constructif dans une cohérence des mots sans déviance ou déformation. Ce mot m’interpelle, outre le fait qu’il signifie « en Force, » je serai tenté d’en tirer une prédisposition voire un corollaire avec le nom ineffable divin que nous appelons Principe ou Grand Architecte de L’Univers, l’idée d’une force inconsommable de la lettre. Le mot est épelé et écouté lettre par lettre comme pour unir lunaire et solaire, l’extérieur et l’intérieur mais aussi pour signifier l’émanation céleste pour miroiter dans la substance. A contrario de l’oral ou du visuel c’est l’ouïe du coeur qui en reçoit le souffle, un souffle créateur. Il faut donc être deux pour engendrer et de ce binaire ou signe de manifestation de l’unité enfantera le principe ternaire sous l’influx spirituel.
Lire ou écrire sont des bases fondamentales des arts libéraux. C’est une référence d’érudition. Par analogie, la calligraphie serait une image et comme telle se réfèrerait à un symbolisme. Ecrire c’est le fait de s’exprimer pour transmettre parfois sous l’influence de l’émotionnel et du sensoriel, comme le va et vient du ressenti pour tenter de communiquer et d’expliquer. Or, on ne peut écrire sans savoir lire et sans avoir connu les lettres et leur langage. Lire correspond à un décryptage scriptural pour atteindre la pensée avec ses non-dits, son sens caché ou codé. En outre, une lecture est une association de mots subordonnée à une transcription conditionnée selon son intonation, sa ponctuation, sa fluidité et peut-être aussi sa véracité.
Ceci étant précisé, le fait de se considérer dans une forme d’ignorance permet de rester en quête de la connaissance, en posture de recherche, de rester éveiller pour mieux apprendre et comprendre, c’est le doute et le questionnement qui permet de progresser. L’initié doit percevoir (perce voir), il doit croire pour voir et non le contraire. Toute certitude peut renforcer son ignorance. Il se situe plus dans le savoir-faire que dans le savoir sans pour autant dénigrer ou renier les sciences car ce savoir peut être un rouage pour le raisonnement de l’intellect. En fait, le vrai savoir initiatique n’est pas dans les lettres ou l’écriture mais dans la perception extra sensorielle, celle de l’intelligence du coeur. Il faut de l’expérience pour une bonne interprétation et une bonne compréhension, or le discernement, la logique et la sagesse évoluent avec
l’expérience, les connaissances et les acquis. C’est pourquoi, indépendamment de ces critères, l’intuitif relèverait plus de l’éveil de la conscience. Comment y parvenir ?
Chacun a une potentialité pour déchiffrer des messages selon son niveau et son rythme de compréhension. Chacun intègre en lui progressivement les lettres pour un constituant harmonieux et homogène. Donc épeler lettre par lettre est une subtilité du cheminement entre la substance qu’est le corps et une essence unificatrice. C’est une voie de communication intérieure comme une introspection audible de l’autre moi. Le sens de chaque lettre appelle à réunir ce qui est épars pour en deviner le sens, celui d’une parole, de la Parole, c’est la clé qui va éveiller la conscience. C’est dans la méditation et le silence que la voie spirituelle s’ouvrira. En fait chaque lettre est un vibratoire dont la résonance inaugurera cette harmonie dans l’oeuvre entreprise c’est à dire la construction du Temple intérieur avec de solides fondations. La symbolique de la Lettre sert de guide sur un chemin d’écoute. Epeler serait donc plus qu’un accès à une voie de compréhension mais l’accès dans une démarche da la connaissance de soi en un désordre création « ordo ab chao » vers la Vérité, la Réalité, la Connaissance.
En effet, les lettres créent des mots et les mots des paroles, or les mots ne reflètent pas la Réalité. Cette Réalité véhicule un langage symbolique, celui de l’intuitif et non du discursif, les vérités ne sont pas la Vérité. On distingue en effet deux formes de lettre, l’une profane dite « vernaculaire » pour une communication verbale et l’autre dite « sacrée » qui véhicule une révélation d’une Tradition. Elle se réfère à une réflexion dans le sens caché ou codé, celui du symbole. De ce concept ressortira une immanence pour une transcendance après une longue connaissance de soi et une parfaite maitrise de son ego. Le regard porté sur chaque Lettre va ainsi associer dans sa compréhension intuitive le corps et ses dimensions énergétiques et créatrices vers des strates progressives ou stations spirituelles telles une spirale ascendante ponctuée de paliers successifs de méditation. Cette ascension par une descente en soi en un va et vient incessant ne pourra se concrétiser qu’après des efforts voire des sacrifices consentis.
Je conclurai en ces quelques mots avec sourire.
- • L’humilité dont je faisais référence dès le début de mon exposé s’inscrit comme une évidence et comme tout devoir d’apprenti, mais, il s’allie avec le vouloir celui d’apprendre toujours.
- • Il existe aussi un paradoxe sur le fait que je ne sache que parler ou prononcer des lettres alors qu’on me contraignait quand j’étais dans mon noviciat au silence sur une colonne peu éclairée. Et puis entre nous, n’est-il pas vrai que parfois le silence parle de lui-même ?
- • Pour la transmission de la Tradition, les compagnons, les maîtres et les sages enseignent ou instruisent aux apprentis les « arcades du métier » ; ils ont certes l’expérience du vécu mais aussi et surtout une connaissance intuitive de notre Art royal.
A.L
Nuit,
Eh lasse,
Je ne sais ni lire ni écrire ni épeler,
vers qui ou où, d’ailleurs !
2maints, peut-être, une nuit se fera jour ?
Apprendre à voir, à écouter, à sentir sont essentiels pour essayer d’apprécier le monde.
FRATERITE
On trouve cette notion de lecture-écriture dans le Coran lorsque le Prophète reçoit la révélation de l’ange Gabriel, Djabraïl, qui lui ordonne Ikrà, lis ! Et le prophète comme l’apprenti lui répond : je ne sais ni lire ni écrire.
À propos des Trois coups distincts, présenté comme la première publication du rituel des Ancients, Jean-Claude Villant écrit : On sait maintenant que la formule «Je ne sais ni lire ni écrire» en usage en France est une innovation assez tardive du R.E.A.A. Dans l’état actuel de nos connaissances, elle n’apparaît pas avant 1825-1830 et constitue une déviation à prétentions scolaires, moralisantes et sociales comme la Maçonnerie allait se mettre à en véhiculer dans la suite du XIXe siècle. La question n’était pas de savoir ou de ne pas savoir lire ou écrire, mais que conformément au serment on ne devait pas écrire et que par conséquent on ne devait pas avoir à lire les «secrets» des Maçons. La formule du Rite Français, «Je ne dois ni lire ni écrire» est en cela conforme aux sources rituelles du XVIIIe siècle et à la logique, même si on usait d’aide-mémoire écrits. En 1812, un des premiers manuscrits du R.E.A.A., le premier en tout cas à nous fournir une formule introductive du mot d’apprenti, reprenait implicitement cette notion de devoir. À celui qui demandait le mot, l’interrogé répondait : «Je ne l’ai pas appris ainsi. Dites-moi la première lettre, je vous dirai la seconde» Tout cela révèle à chaque fois un piège : il ne suffisait pas de connaître les mots, encore fallait-il les donner selon la manière en rapport avec le serment et ses interdits.
(http://www.masoniclib.com/images/images0/048524505846.pdf)
«Je ne sais ni lire ni écrire, je ne sais qu’épeler» n’est pas seulement un aveu d’ignorance ou de savoir parcellaire, c’est aussi l’amorce d’une méthode d’enseignement, d’un questionnement réciproque, d’une quête. Pas à pas, lettre à lettre, l’apprenti fait le chemin vers son point central, recevant de la périphérie, entamant son introspection. Mais à chaque lettre donnée par le maître, à chaque parcelle de lumière reçue, l’apprenti répond par une autre lettre, exprimant ainsi que le maître reçoit également de l’apprenti qui n’est autre que son miroir.
Progressivement, par cet échange, l’apprenti se voit dévoiler la lettre, pour en découvrir l’esprit, pour y imprimer son esprit. Chaque frère ou sœur apporte à l’apprenti les éléments de progression nécessaires à la poursuite de son chemin, ne lui donnant la lettre suivante que lorsque la précédente est assimilée ; dans un ordre initiatique et progressif ! Le symbole est langage de l’insaisissable, il offre la liberté de penser par soi-même, de se penser soi-même, de découvrir sa nature intime.
Lire lettre après lettre, c’est comprendre la constitution des choses selon leur essence, c’est saisir le balbutiement du langage qui se crée, qui éclot à la lumière du monde. Lire les mots, c’est s’enfermer dans la totalité, sans avoir parcouru le chemin difficile de l’assemblage d’une lettre à l’autre, sans comprendre le cheminement secret du passage de l’une à l’autre, de la création du sens qui s’ajoute à chaque lettre dans sa relation aux autres. Alors, quand les lettres réunies font renaître le mot, c’est par la compréhension et la réunion de la totalité de son être morcelé corps, esprit, âme, que peut renaître l’apprenti, il apprend à rassembler ce qui est épars.
Écrire c’est d’abord atteindre certains stades ou niveaux supérieurs du raisonnement, comme faire la synthèse, l’analyse, la création, tout en décryptant les relations qui existent entre les éléments offrant au monde sa structure. C’est ce travail de transmission et de réception, d’élaboration intérieure puis de don au frère ou à la sœur qui en a besoin, au moment où il en a besoin, qui fait que la tradition est vivante.
Cette notion est toutefois une déformation historique du processus rituel de reconnaissance des Anglo-saxons, qui n’a aucune valeur symbolique en soi, mais constitue un rappel de la prudence vis-à-vis de la divulgation de pratiques d’anciens secrets regardés comme tels «Donnez-moi ce mot. – Ce n’est pas ainsi que je l’ai reçu, ce n’est pas ainsi que je le donnerai. – Comme il vous plaira. Donnez-moi la première lettre et je vous donnerai la seconde. – C’est vous l’interrogateur ; c’est à vous de commencer.