Ce dernier nous conte l’histoire de la franc-maçonnerie arabe, plus particulièrement en Irak et le retour discret mais progressif de la Franc-maçonnerie en Irak.
Gilles Munier, né le 9 novembre 1944 à Reims et vivant à Rennes, est – depuis 1986 – le secrétaire général de l’association Amitiés franco-irakiennes, fondée par l’orientaliste Jacques Berque.
Source : http://www.palestine-solidarite.org/dossier.Irak.Gilles_Munier.310110.htm
La franc-maçonnerie est de retour en Irak. Présente dans le pays dès la fin du 19ème siècle, au sein des organisations secrètes qui ourdissaient le renversement du sultan ottoman Abdul Hamid II, elle s’est véritablement implantée en Mésopotamie pendant l’occupation du pays par les Britanniques. Interdite après la révolution républicaine du 14 juillet 1958 pour collaboration avec l’ennemi, accusée d’espionnage, elle est réapparue plus ou moins ouvertement depuis avril 2003 à l’initiative des loges militaires étatsuniennes, anglaises, voire italiennes, ou des opposants regroupés par la CIA dans le Congrès National Irakien d’Ahmed Chalabi.
L’effondrement de l’Empire Ottoman sous les coups de boutoirs des Jeunes-Turcs et de leur Comité Union et Progrès – dont les dirigeants étaient liés au Grand Orient de France (GODF) ou à celui d’Italie – projeta la Mésopotamie dans l’orbite britannique. La franc-maçonnerie qui y aurait été introduite par Youssef al-Hajj, un journaliste libanais, futur Grand maître régional, s’y est développée dès la Première guerre mondiale à l’initiative des loges de l’Armée des Indes. La première, dite Mesopotamia 3820, date de 1917, celle de Bagdad, de 1919. Dans les années 50, neuf loges opéraient en Irak pour le compte de la Grande Loge d’Angleterre, plus la Loge Faïha de rite écossais. Son interdiction, suite à l’abolition de la monarchie par le général Kassem, fut criminalisée en 1975 par le Parlement irakien qui vota une loi l’assimilant à une organisation sioniste, et on n’entendit plus parler des francs-maçons irakiens ensuite, si ce n’est parmi les monarchistes réfugiés à Londres.
Lorsque George Bush père – ancien directeur de la CIA, Souverain Grand Inspecteur Général (33°degré du Rite écossais ancien et accepté) – prit la décision d’attaquer l’Irak, il allait de soi que la franc-maçonnerie serait aussi de la partie, mais il fallu attendre la dernière guerre du Golfe pour que ses activités publiques soient connues.
Une loge dans un attaché case !
En décembre 2006, Richard Filippi, membre de la Loge du roi Salomon, a raconté dans la revue maçonnique Philaleths, sa première rencontre avec un franc-maçon irakien. C’était en 2001, dans un ascenseur, lors d’un stage de formation organisé en Floride, pour étudier les relations que devaient entretenir les civils et les militaires dans un pays « libéré ». Des membres du Congrès National Irakien y participaient. Parmi eux, le lieutenant-colonel kurde Yarab, un opposant réfugié aux Etats-Unis après la Première guerre du Golfe. Au cours d’une pause, l’homme avait pris l’ascenseur avec lui, bloqué l’appareil entre deux étages, et lui avait demandé: « Vous êtes l’un d’entre eux, n’est ce pas ? ». Il avait d’abord cru avoir à faire à un dingue. Ce n’est que lorsque le Kurde a montré sa main droite et le signe dessiné qu’il comprit. Il répondit « Oui », à tout hasard. Yarab, enthousiaste, lui dit : « Moi aussi, frère ! ». Alors, ils devinrent comme des amis d’enfance, dit Filippi. Yarab lui apprit qu’il y avait encore des francs-maçons en Irak, même s’il n’y avait pas de loge. Son grand-père, ancien colonel, en était un.
La première manifestation visible de la franc-maçonnerie en Irak depuis son interdiction fut la création de la Loge Terre, Air et Mer n°1 par la Grande Loge de New York, en mai 2005. Sur la base de Balad, près de Ramadi, le major Walter, son grand maître, remercia le « Grand Architecte de l’Univers » pour cet événement qui permettrait peut être, dit-il, de faire « sortir une loge irakienne de la clandestinité ». Il attend toujours ! Emulation oblige, La Lumière du Nord annonça que le « frère .˙. » Sam Lee – de la Loge Maître de Hiram 40, de Caroline du Nord – organisait des réunions maçonniques sous la tente, en plein désert. Et, dans la foulée la Grande loge du Nebraska lança le programme « Une loge dans un attaché case » (!), celle du Massachusetts, l’opération Masonic Troop Support Program, tandis qu’à Bagdad, la Loge militaire Euphrate 152 se mobilisait pour lutter contre le suicide dans les forces armées. Aujourd’hui, il n’est pas rare qu’un « frère .˙. » muté dans une base en Irak ou en Afghanistan s’enquiert sur Internet pour savoir s’il y a un temple maçonnique. A lui ensuite de vérifier si la loge dont il dépend aux Etats-Unis reconnaît l’obédience qui y opère. La plupart des grandes loges sudistes, par exemple, pratique toujours la ségrégation et refuse de reconnaître celle de Prince Hall, la franc-maçonnerie noire.
Les sectes islamiques en ligne de mire
Les anciens opposants à Saddam Hussein étant trop discrédités pour recruter de nouveaux membres, les maçons étrangers approchent les « kolabos » de tous poils, militaires ou tribaux, ou potentiels : les universitaires et les notables religieux avec une prédilection pour les cheikhs des confréries soufies et des sectes chiites, en raison des concordances entre leurs rituels et secrets et ceux des obédiences maçonniques*. Les loges mères américaines espèrent attirer des nationalistes modérés proches de la résistance, comme la CIA a recruté des membres d’Al-Qaïda en Mésopotamie pour ses milices tribales. Pour les patriotes irakiens, le scénario est cousu de fil blanc. Il est en tous points identique à celui joué par la franc-maçonnerie à l’époque coloniale. Les loges s’investissent d’abord dans l’aide à l’émigration et dans l’action humanitaire, puis elles se transforment en laboratoire d’idées permettant de reconstruire la société sur des bases conformes aux intérêts de l’occupant. Le magazine Freemason Today décrivait fin 2005 les distributions de crayons et de cahiers à colorier, à Bassora, par des francs-maçons écossais et anglais poursuivis par des enfants criant : « Mister, donne moi un dollar ». Le journaliste ne cachait pas que les « frères .˙. » étaient aussi reçus par des jets de pierres. Il ne fait aucun doute que les franc-maçons irakiens devenus opérationnels risqueront, eux, tout simplement leur vie.
En 1964, conscient des menaces qui pesaient déjà sur les francs-maçons arabes, le Grand maître jordanien Fahmi Sidqi al-Amari parlait franchement d’instrumentalisation des loges par les occidentaux et Israël, expliquant à la convention mondiale de la maçonnerie, que « la maçonnerie est plurielle ; les impérialistes l’utilisent dans leur but, les sionistes dans le leur ». Même si, à la différence des francs- maçonneries anglo-saxonnes, le Grand Orient de France s’est opposé à la dernière guerre du Golfe, c’était pour proposer de « chasser Saddam Hussein par d’autres moyens ». L’obédience française qui a joué un rôle dans l’essor des mouvements indépendantistes arabes dans l’Empire ottoman, est dénoncée, depuis, pour son athéisme. Au Proche-Orient, par les temps qui courent, c’est rédhibitoire.
* Lire Secrets initiatiques en Islam et rituels maçonniques, Jean-Marc Aractingi et Christian Lochon (L’Harmattan, 2008).
Appendice :
La franc-maçonnerie arabe
La franc-maçonnerie est interdite dans les pays arabes, à quelques exceptions près. En Jordanie, depuis la mort du roi Hussein qui en était membre, elle adopte un profil bas. Elle est tolérée au Maroc avec des loges affiliées à la Grande Loge Nationale de France, et demeure très active au Liban où la plupart des obédiences occidentales sont représentées. En Egypte, proscrite par le Président Gamal Abdel Nasser après l’expédition de Suez, elle serait en voie de reconstitution. Bien que l’influent Institut de Droit Islamique de La Mecque ait émis une fatwa, en juillet 1978, déclarant que la franc-maçonnerie est « un danger pour les musulmans », et traité ses membres de « mécréants », plusieurs loges opèrent en Arabie Saoudite – la plus connue est l’Etoile de l’Est – sur les bases militaires américaines, ce qui est également le cas au Koweït et au Bahreïn.