Il était une fois, il y a très très longtemps, alors que l’être humain n’était pas encore complètement séduit par l’apparence physique, un homme (ou était-ce une femme ?) qui se façonna un masque prodigieux : un masque qui pouvait faire des tas de grimaces.
De temps en temps, il (ou elle) mettait son masque et abordait les gens pour s’amuser et voir leurs réactions. Le masque souriait, rigolait, pleurait, et ses victimes se sentaient souvent choquées par ce visage aux multiples couleurs et facettes : tantôt étonnant, tantôt effrayant, tantôt souriant, mais toujours fascinant et insolite. Bizarre.
L’individu semblait indifférent et arrogant.
Une seule chose lui tenait à cœur : voir les réactions des gens… car lui seul se rendait compte qui était le plaisantin (lui !) … et que sa plaisanterie s’exerçait aux dépends d’autrui.
Au tout début, l’homme sortait avec son masque une ou deux fois par semaine puis, voulant s’amuser toujours en crescendo, il finit par garder le masque du matin au soir. Finalement, ne voyant plus d’intérêt à l’enlever, il le gardait en permanence sur le visage et dormait même avec ce drôle d’atout.
Pendant des années, insouciant et hautain, l’homme fit ainsi son bout de chemin.
Mais un jour il tomba profondément amoureux d’une jeune femme qui, hélas, effrayée par ce drôle de masque, partit vite en courant…
— Ne cours pas ! Ce n’est pas moi ! lui cria l’homme en s’efforçant d’enlever le masque.
Mais sans succès : collé à son visage, façonné par sa peau, le masque était devenu son propre visage.
Après ce malheureux épisode, l’homme se réveillait chaque matin en ressentant quelque chose qu’il n’avait jamais éprouvée auparavant. Il se sentait de plus en plus seul au monde car quelque chose d’essentiel lui manquait. Derrière ce masque à la fois prodigieux et mortel, l’homme (ou était-ce une femme ?) fut la première personne à inaugurer une nouvelle ère, l’ère masquée du monde où l’on vit aujourd’hui.
Le temps passa, et l’homme voulut expliquer à tous ce qui lui était arrivé.
Personne ne l’a jamais cru.
D’ailleurs, on l’avait plus au moins copié… et tout le monde s’était mis un masque pour jouer un rôle et s’amuser. Et les masques finirent par se coller à la peau de chacun et de tous…
À la fin, tous finirent par oublier, derrière le masque, l’histoire du plaisantin et de ses plaisanteries, et en plus tous oublièrent ce qu’était la vraie vie, une vie sans masques.
Anonyme