Attribué à Pierre Dac (on ne prête qu’aux riches…)
Certains soirs, dans les rues de nos petites villes de province, on peut apercevoir des personnages insolites qui pressent le pas. Ils sont composés pour l’essentiel d’un costume sombre, d’un attaché-case et d’une convocation. Beaucoup arborent un nœud papillon noir qui souligne l’austérité silencieuse de ces quidams furtifs et sibyllins.
Le pharmacien est d’avis que dans cet appareil ils ne se rendent pas à des obsèques car il est trop tard, ni à une nuit de galipettes et turpitudes, c’est trop tôt. Où vont-ils donc ?
On voit bien par-là combien les énigmes provinciales sont déconcertantes. Nos ténébreux marcheurs pénètrent les uns après les autres dans un café-restaurant qui paraît être une étape obligée sur la route menant à leur mystérieuse destination.
Près du comptoir se tiennent d’autres quidams, tout aussi sombrement vêtus, d’autres attachés cases, d’autres nœuds papillon.
A l’entrée des nouveaux arrivants ce ne sont qu’embrassades, étreintes, contentements ostentatoires, chuchotements complices. Et regards qui en disent long.
Derrière son comptoir l’Auvergnat, les paupières en berne, essuie les verres.
A présent ils parlent de la pluie et du beau temps. Surtout de la pluie. Pour eux il pleut toujours. Et la salle est humide, même quand il fait sec. Au point qu’ils parlent à mots couverts, comme pour ne pas se mouiller.
Sûr qu’il y a une histoire d’eau là-dessous. Heureusement le commerce n’en souffre pas trop car la plupart d’entre eux n’en boivent pour ainsi dire pas. Ils ont une manie qui consiste à se faire passer pour une famille nombreuse avec des mon frère par ci, mon bien-aimé frère par-là, des Oh mon parrain ! Et des Ah ! Mon filleul … Et ta sœur?
Pour l’Auvergnat c’est sûr, ces bougres essaient de brouiller les pistes.
D’accord, ils ne sont pas tellement plus parfumés que certains autres, mais ils s’embrassent tout de même davantage. C’est la bande à bisous.
Autre indice : ils parlent souvent de frangines, et également d’une dame, veuve de son état, et dotée de nombreux enfants. En attendant personne n’a jamais vu un seul d’entre eux en compagnie d’une femme !
Les soupçons de l’Auvergnat se précisent : il se demande si par hasard ces Messieurs ne seraient pas … ?
C’est qu’il y a des détails qui ne trompent guère. Dans cette bande à bisous se trouve un colosse barbu avec des poils noirs dans les oreilles et qui doit travailler dans une tuilerie. Le mois dernier le barbu se lamentait en farfouillant dans sa mallette : on lui avait embarqué son sautoir et ses bijoux.
Est-ce que les Auvergnats barbus avec des poils noirs dans les oreilles portent des sautoirs et des bijoux, on vous le demande Et pourquoi pas des porte-jarretelles pendant qu’ils y sont ? Mais au fait, sait-on jamais ?
D’ailleurs ils s’intéressent de près à de jeunes apprentis. A voix basse, ils leur parlent de lacs d’amour et de houppes. Et aussi d’attouchements. Et s’il n’est pas encore question de fouets il est question de chaînes, des chaînes d’union qu’ils disent. Ben voyons. Certains vont même jusqu’à vanter leurs attributs. Si, si, leurs attributs, parole d’Auvergnat !
Tout ça n’est pas sans conséquence sur leur santé bien sûr. A voix basse ils disent que certains sont atteints d’une grave maladie, la cordonnite aiguë.
Mis à part celui qui est dans les tuiles on ignore ce qu’ils fabriquent. Il est souvent question de décors et de métaux. Ce qui est sûr c’est que plusieurs d’entre eux sont des menuisiers, mais pas des plus doués, car quand il est question de planches, elles sont toujours trop longues. Ou trop courtes, mais là c’est plus rare.
Dans leurs ateliers, pour mesurer leurs planches ils ont des mètres. Et plus bizarre, ils ont aussi des grands mètres. L’Auvergnat est méfiant : cette histoire de grands mètres n’est pas claire. En Auvergne les mètres ne sont ni grands ni petits, ils mesurent un mètre, un point c’est tout.
Leurs planches sont en bois d’érable. Vieux, sec, et au mètre, toujours du vieil érable au mètre. Pour leurs apprentis ignorants le conférencier termine toujours par : « J’ai dit, vieil érable au mètre ! »
Ils ne sont pas racistes, ah ça non. Ils ont même leurs travailleurs immigrés. Surtout des vieux Écossais. Des anciens qui sont bien acceptés. Ils n’ont pas la jupette, et ne jouent pas de cornemuse mais on voit qu’ils sont Écossais à ce que, bougons, ils revendiquent tout le temps des augmentations de salaire.
Avant dix-neuf heures arrive le chef. On reconnaît le chef à sa mallette qui est plus grande.
A voix basse il demande : Avez-vous les épées et le bandeau ? Ils répondent par un signe de tête.
On a beau avoir un beau-frère aux abattoirs de Saint-Flour ça fait tout de même froid dans le dos.
En silence ils s’en vont à la queue leu leu.
C’est pour ouvrir leurs « travaux » à ce qu’ils disent. L’Auvergnat a ses idées là-dessus.
Des travaux pour lesquels ils emportent des gants en coton. Ni vus ni connus, pas d’empreintes.
Un peu avant minuit ils reviennent pour souper dans la salle du premier étage, où ils s’enferment comme des conspirateurs. Ils amènent avec eux deux commissaires-priseurs. Ceux-là ordonnent à tout bout de champ de charger des colonnes de « poudre blanche ». Suivez mon regard.
Ensuite ils frappent comme des sourds à coups de maillets sur la table. Et de recommencer une autre adjudication de poudre blanche dix minutes plus tard. Ils ne se séparent jamais de leurs mallettes. Ils doivent négocier de grosses quantités. C’est stupéfiant.
Ce qu’il font ensuite, on vous le donne en mille : ils lèvent le coude à la santé de qui … du Président de la République !
Et ils se méfient les bougres, ils ne laissent jamais la femme de l’Auvergnat assurer le service : « Posez ça ici, laissez faire les jeunes, les apprentis sont là pour ça. »
D’accord, mais certains de leurs « jeunes » ont la cinquantaine, il y a même un apprenti qui trottine vers les soixante-dix. Et auxquels les autres répètent que quand on a trois ans et qu’on ne sait ni lire ni écrire on doit servir sans broncher et avec le sourire ceux qui en ont sept.
Là l’Auvergnat gratte son crâne : il a du mal à suivre. C’est sûr ils brouillent les pistes.
Drôles de jeunes, d’ailleurs, qui feraient, si on comprend bien, des réflexions dans les cabinets. Des réflexions au vitriol.
C’est comme pour leurs bols. Ah ! Leurs bols … Alors qu’ils prennent le café dans des tasses comme tout le monde, ils sont toujours à chercher leurs bols, leurs cinq bols. D’ailleurs pourquoi cinq bols alors qu’ils sont plus de trente ?
Cette fois l’Auvergnat n’a plus de doutes : ils en sont ! Et pour mettre du beurre sur les épinards ça trafique dans la drogue.
D’ailleurs ça cause toujours de l’Orient et on voit bien que tous n’ont qu’une idée en tête c’est de s’y installer.
Malgré le danger. Le mois dernier ils racontaient qu’il y avait tellement de monde à l’Orient que ça s’est effondré : 47 disparus dans le trou. Trois apprentis, qui à ce qu’il semblerait, étaient assis sur des colonnes, ce qui les sauva sans doute, se précipitèrent courageusement pour appeler le Samu.
Comme dans la mafia, avec leurs parrains ils ont leurs règlements de comptes. Prévoyants ils préparent les cercueils : ils obligent même leurs victimes à rédiger un testament devant des crânes et des ossements.
Dans une mallette il y a une corde à nœud pour les encolures des fortes têtes.
Un porte-glaive les accompagne, un méchant qui semble toujours prêt à décapiter les traîtres.
Décapitations… décapitations… L’heure est venue d’en parler dit le chef.
En entendant des capitations personne n’a plus envie de rire. Tous sortent leur chéquier et signent sans broncher. Ils savent ce qu’ils risquent, leurs allusions à peine voilées à un Écossais « rectifié » dans une rame du R.E.R. ne laissent aucun doute sur la froide détermination du chef et des parrains.
Allons, faudrait pas prendre l’Auvergnat pour un demeuré. Leur poudre blanche, c’est pas de la farine et leurs voyages ne sont sûrement pas organisés par le Club Méditerranée.
Et quoi qu’en dise sa tante, l’Auvergnat, lui, sent bien que ces gens-là n’ont rien à voir avec l’Armée de Libération des Nains de Jardins.
C’est autre chose, c’est plus important, mais c’est quoi au juste ? La femme de l’Auvergnat se ronge les sangs : l’homosexualité ça s’attrape ou c’est héréditaire ? Et sans femmes ils se reproduisent comment ? Et leurs drogues ? Mais que fait donc la police ?
Quoi que… quoi que… ce sont malgré tout de bons clients et dans le commerce il faut comprendre.
D’ailleurs ils sont très bien habillés. Ils causent toujours de leur tenue. Et modestes avec ça : ils portent leurs médailles et décorations à l’intérieur de leurs mallettes.
Ils ont de hautes relations. Ils invitent un député, des officiers provinciaux. Parfois, vient prendre la soupe aux choux avec eux, un Prince : le Sublime
Prince du Royal Secret, qui habiterait à Paris, avenue de Villiers. Ce doit être un sportif malchanceux car il est toujours trente-deuxième au classement général.
Moralité, nous avons sur l’Auvergnat et ses certitudes, fondées sur le bon sens et l’observation, un avantage considérable : nous savons que l’Auvergnat se trompe énormément.
Et comme l’a dit le philosophe » Si tous ceux qui croient avoir raison n’avaient pas tort, la vérité ne serait pas loin ».
Il nous reste à la chercher, inlassablement, à défaut de la trouver.
- SOURCE / https://www.lechampdesroseaux.fr/
Quelqu’un
A-t’il une vidéo ou un extrait radio de l’interprétation de pierre sac sur ce texte l’auvergnat et les francs maçons ?
Ça ressemble à du Pierre Dac, mais c’est bien loin dans être tout de même. Mais ne boudons pas le plaisir de se moquer de nos petits travers
Bonjour à toutes et tous
Pour info
» Léo Campion, un Anartiste fraternel »
Etienne Moulron
Table des matières
Avant-Propos
Leo Campion, l’anartiste fraternel
– Quand Léo parle de lui
– Sa rencontre avec Dieu
– Léo Campion, anarchie et franc-maçonnerie
Florilèges et autres textes
– Propos semi-folâtres sur la mort
– L’art de marcher tout seul : Zo d’Axa
– Propos divers et lexique pour rire
– Le cul à travers les âges
– Florilège de la fesse
– Mon frère Donatien
Bibliographie et divers
Varia
– Loge Léo Campion Voiron
– Sept ans de malheur
– La confrérie des chevaliers du taste fesses
– Poème : Deux Hommes
– Signe Astral
Remerciements et crédits
Bonjour,
Il semble que le véritable auteur ne soit pas Pierre Dac, mais un franc-maçon cadurcien, Gérard B. dans les années 1960.