Extrait :
Il n’existait à ce jour que très peu d’ouvrages retraçant les rapports entre le nazisme et la franc-maçonnerie. L’historien Nicholas Goodrick-Clarke s’y était frotté. Puis plus rien, ou presque. Ce qui a laissé le champ libre à des auteurs pas toujours très fiables. Arnaud de la Croix vient de combler ce vide : l’auteur s’est nourri d’une documentation foisonnante, a analysé archives et journaux intimes. Il en a tiré Hitler et la franc-maçonnerie (1).
Qu’y a-t-il donc dans cet ouvrage ? Tout. Il éclaire l’avant-guerre, remonte aux sources de l’idéologie nazie, abordant aussi la question de la passion des nazis pour l’ésotérisme et les sociétés secrètes. Il montre aussi que cette « chasse » aux francs-maçons résulte d’une décision politique. Et pour justifier leur haine antimaçonnique, les nazis débitent qu’une « direction juive » est à la tête de la franc-maçonnerie. Selon eux, la franc-maçonnerie ne serait que le vecteur de la pernicieuse influence des Juifs. La boucle est bouclée : « L’antimaçonnisme joue un rôle-clef dans l’idéologie nazie car il a partie lié avec l’antisémitisme », écrit Arnaud de la Croix. C’est en substance ce que dit Adolf Hitler dans Mein Kampf. Résultat : les nazis prennent rapidement des mesures pour faire disparaître l’organisation.
Car l’Allemagne nazie, rappelle l’auteur, ne peut supporter la « concurrence intolérable » de sociétés secrètes, qui menaceraient l’ordre et la « civilisation chrétienne ». C’est la seconde raison pour laquelle Hitler combat la maçonnerie. C’est exactement le thème central des Protocoles des sages de Sion, un des plus fameux faux de l’histoire, fabriqué au tout début du 20e siècle par des antisémites russes. Bien sûr, les nazis les ont lus et y ont puisé leur détestation du « frère ». Mais Arnaud de la Croix – c’est l’un des apports majeurs de cet ouvrage – nous apprend qu’Hitler s’est alimenté à bien d’autres sources. Mais il s’est affranchi de ses maîtres à penser pour produire une idéologie originale. Surtout, il est l’homme qui est passé aux actes.
Cependant, Hitler ne développe pas à l’encontre des maçons la même fureur exterminatrice que contre les Juifs. On en voudra pour preuve la présence d’un franc-maçon, le docteur Hjalmar Schacht, à la tête de l’économie du IIIe Reich – qui mettra en œuvre l’exclusion des Juifs de la fonction publique. « Peu de maçons ont finalement été exécutés par les nazis ou leurs alliés uniquement à cause de leur appartenance à l’ordre. (…) C’est essentiellement l’ordre qui eut à souffrir de la répression nazie. Les loges furent dissoutes et l’ensemble de leurs biens confisqués, les archives furent pillées, les anciens membres, marqués au coin de l’opprobre et mis sous surveillance », explique Arnaud de la Croix.
Comment les francs-maçons allemands ont-ils réagi à la prise de pouvoir par les nazis ? Arnaud de la Croix revient, sans concession, sur l’attentisme des francs-maçons allemands, voire même leurs sympathies nazies. Il faut se rendre à l’évidence : contrairement à la légende officielle d’une maçonnerie allemande ayant souffert du national-socialisme (y compris pour nombre de maçons), une grande partie des loges, promptes à adopter une thématique nationaliste et antisémite, se sont montré très serviles. Reste à écrire la version allemande de cet épisode…
En épilogue de son enquête, Arnaud de la Croix interpelle son lecteur avec la simplicité du devoir accompli : « Une génération découvre, à l’aube du XXIe siècle, que Juifs, francs-maçons et Illuminés de Bavière se seraient alliés pour imposer un « nouvel ordre mondial ». C’est à cette présumée conspiration planétaire que nous devrions la globalisation de l’économie et les crises financières qui frappent les nations. Les sentiments de vulnérabilité et d’impuissance ne sont pas de bon conseil, nous apprend l’histoire des années 1930 en Allemagne… Et les deux contextes se ressemblent étrangement. »
Soraya Ghali
(1) Hitler et la franc-maçonnerie, Editions Racine
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