Dirigent-ils le monde ? Sont-ils une secte ? Depuis bien longtemps, les questions les plus farfelues et les rumeurs les plus ubuesques entourent les francs-maçons. Il faut dire qu’ils ne font pas grand-chose pour les balayer. Par leur discrétion et la rareté de leur communication, ils participent à entretenir ces fantasmes. Pierre-Marie Adam, Grand Maître de la Grande Loge de France, était à Boulogne-sur-Mer vendredi soir. Il en a profité pour lever le voile sur ce qu’est vraiment la franc-maçonnerie.
Un article du site d’information « La Semaine dans le Bolonnais«
Bio express :
Né à Maubeuge (Nord) il y a 75 ans, Pierre-Marie Adam a longtemps travaillé dans la police, notamment au sein des Renseignements généraux (RG). Il a été chargé de mission pour la sécurité et la prévention à la mairie de Maubeuge puis directeur de cabinet à Vandœuvre-lès-Nancy. Il a une formation en philosophie (maîtrise), en droit public et en droit pénal
Initié en 1983 dans la loge Les Droits de l’Homme, à Maubeuge, Pierre-Marie Adam a été membre du jury fraternel, l’instance de justice maçonnique (2003-2009), Grand Secrétaire Adjoint (2009-2011), Grand Secrétaire (2011-2012), Grand Orateur (2013-2016), 1er Grand Maître Adjoint (2017-2018) et Grand Maître depuis juin 2018.
Que venez-vous faire à Boulogne ce soir ?
Nous avons une réunion à 18h30. Le but, c’est que nos frères (les francs-maçons s’appellent entre eux « frère », NDLR) qui sont à Boulogne permettent aux profanes susceptibles de s’intéresser à notre démarche de nous rencontrer. Parfois on se dit « Tiens, lui il parle comme nous, il raisonne comme nous, on serait heureux qu’il nous rejoigne ». On attend une centaine de personnes puis à la sortie de la réunion, on donnera un petit papier à tout le monde et on espère être contactés.
C’est un territoire fertile pour la franc-maçonnerie ?
La loge (confrérie civile qui réunit un groupe de membres au niveau local, NDLR) de Boulogne réunit 45 membres. Pour une ville de cette taille, ce n’est pas énorme. La loge a été fondée en 1986, ce qui est très jeune. Elle dispose du pouvoir d’initier de nouveaux membres et se réunit dans un temple maçonnique qui est mis à disposition par le Grand Orient, une autre obédience maçonnique. Il y a neuf obédiences différentes à Boulogne, dont la Grande Loge de France, le Grand Orient (GO) et la Grande Loge nationale française (GLNF).
Concrètement, c’est quoi être franc-maçon ?
C’est s’engager dans une démarche de réflexion sur le sens de la vie, sur notre raison d’être sur Terre, sur la place qu’on occupe et sur notre rapport à l’autre. C’est une démarche intime, un questionnement. Être franc-maçon, c’est chercher à s’améliorer, et on ne peut s’améliorer qu’avec les autres. En ayant ce questionnement intime, on doit pouvoir apporter au monde extérieur les progrès que l’on fait.
Pour le grand public, la franc-maçonnerie est mystérieuse. Vous comprenez cette curiosité, voire cette méfiance ?
Mystérieuse, je dirais même sulfureuse ! Mais tout ce qui est discret est mystérieux. On travaille à huis clos, on veut pouvoir se retirer du monde sans être perturbé par l’extérieur. Pour entreprendre notre démarche, nous n’avons pas besoin de nous montrer. Cela peut nous causer du tort mais c’est ainsi.
Comment devient-on franc-maçon ?
C’est une série d’étapes. La première est d’avoir envie. Ensuite il faut découvrir qui peut vous aider, vous accueillir. Autrefois, la seule voie était la cooptation (le recrutement au sein de son réseau de connaissances, NDLR). Il fallait que quelqu’un repère nos compétences et nous invite. Désormais, il est possible d’entrer en contact avec nous. Nous avons un site internet, des réseaux sociaux. Ce n’est pas secret.
Ces étapes, quelles sont-elles ?
La première étape est une prise de contact, une évaluation. Après entretien, la loge décide ou non de poursuivre le processus. S’il se poursuit, nous envoyons trois enquêteurs chez la personne pour comprendre son quotidien, sa vie professionnelle, sa vie de famille. Après ça, nous faisons le bilan et s’il y a plus de positif que de négatif, le profane est convoqué en loge et on peut lui proposer une initiation. Au terme de l’initiation, il devient franc-maçon.
Tout cela prend un an. Sinon, nous la refusons. Mais toutes les obédiences sont différentes : parfois, nous refusons quelqu’un et nous le dirigeons vers le Grand Orient ou une autre obédience plus adaptée.
Devenir franc-maçon, ça engage à quoi ?
À respecter la démarche spirituelle, à se questionner, à chercher à s’améliorer. Il y a deux tenues (réunion rituelle de la loge dans son temple, NDLR) par mois auxquelles il faut assister.
Comment gravit-on les échelons ?
En étant exemplaire. Il y a trois grades : apprenti, compagnon et maître. On gravit les échelons en montrant que l’on est exemplaire dans notre démarche spirituelle. Il n’y a pas de leçon à apprendre, ce n’est pas l’université, mais il faut connaître l’institution.
Comment vous financez-vous ?
Chaque loge paie une capitation (un impôt par membre, NDLR) à son obédience. C’est nécessaire pour assurer le bon fonctionnement de l’obédience, assurer sa vie et sa continuité et l’entretien des bâtiments.
La Grande Loge de France a-t-elle un fonctionnement démocratique ?
Oui. Il y a ce que l’on appelle le convent (l’assemblée générale d’une obédience, NDLR). Il est annuel et rassemble 928 représentants émanant de sept structures régionales. Pour ma part, je suis Grand Maître jusqu’en juin 2022. J’ai été élu au convent de juin 2018 et mon mandat ne peut s’étendre davantage. Je ne vais pas rompre avec l’obédience pour autant.
Quels sont les défis de la franc-maçonnerie ?
Se régénérer, car nous avons une moyenne d’âge de 58 ans. C’est pour cela que nous communiquons davantage, que nous sommes maintenant présents sur les réseaux sociaux, il faut s’adresser aux jeunes. Pas seulement aux jeunes. Nous accueillons ceux qui ne vont plus à l’église, ceux qui n’adhèrent pas un parti politique ni à un syndicat, mais qui pensent que leur vie doit avoir un sens. La franc-maçonnerie est apolitique, asyndicale, laïque. Elle est spirituelle.
La Grande Loge de France en chiffres :
9h42, l’heure à laquelle on peut écouter l’émission de la Grande Loge de France sur France Culture le troisième dimanche du mois
921 loges en France et à l’étranger
1728 est l’année de constitution des premières loges parisiennes
1894, l’année de l’autonomie des loges symboliques du Suprême Conseil, qui reprennent le nom de Grande Loge de France
34 000 « frères » en sont membres