Bridé dans sa carrière, Freud a adhéré à la franc-maçonnerie en 1897. Un ouvrage de 2012 éclaire quarante années de fidélité discrète au B’nai B’rith.
La plupart de ses biographes ont préféré l’ignorer, et parfois le taire : Sigmund Freud (1856-1939) était franc-maçon. En 1897, à l’âge de 41 ans, il adhère à la loge « Wien », fondée dans la capitale austro- hongroise. Marié, père de trois enfants, le pionnier de la psychanalyse est, à l’époque, un médecin isolé et dépressif, bridé dans sa carrière hospitalo- universitaire et dans ses recherches. C’est aussi, en cette fin du xixe siècle, un homme sans illusions : il estime que l’assimilation des Juifs n’est plus possible dans son pays, où se répand à nouveau un climat d’antisémitisme.
- Source : Le Vif.Be
Jusqu’à sa mort, quarante-deux ans plus tard, Freud restera fidèle à sa loge, qui dépend de l’association maçonnique juive B’nai B’rith. Il y trouvera un soutien moral et une audience : à de nombreuses reprises, il y présente ses travaux. Ainsi, ses deux premières conférences, en décembre 1897, sont consacrées au rêve – la « voie royale qui mène à l’inconscient » – et à son interprétation. Encouragé par le succès rencontré, il défendra le même travail quelques jours plus tard à l’université de Vienne. Mais trois auditeurs seulement peupleront les bancs de l’amphithéâtre !
« De quoi le conforter dans le choix d’un auditoire choisi », remarque Jean Fourton, auteur de Freud franc-maçon, un ouvrage dont nous vous proposons les « bonnes feuilles ». Lui-même membre du B’nai B’rith – et du Grand Orient de France depuis 1958 -, Fourton a été clinicien psychanalyste, disciple du psychiatre français Jacques Lacan et membre de l’Ecole freudienne de Paris. Son livre est le fruit d’une recherche dans les bibliothèques du B’nai B’rith et dans les archives freudiennes de Washington, désormais accessibles au grand public.
Extraits
Le rituel d’initiation
Vient le jour de 1895 où Edmund Kohn propose à son ami etpatient désespéré de le parrainer pour qu’il entre au B’naiB’rith ; ainsi sortira-t-il de son isolement. Il était normal àl’époque de patienter le temps d’une longue enquête. C’esttoujours le cas aujourd’hui. Il s’agit d’éloigner les candidatsinspirés par l’ambition, l’agressivité, la curiosité, l’infiltration.L’initiation de Freud aura lieu 2 ans après sa demande, le 29septembre 1897, à la loge « Vienne » […]. Il n’y a déjà plus àl’époque de rituel d’intimidation ou de bizutage de l’impétrantau B’nai B’rith. L’institution n’a jamais été très preneuse deces humiliations phobogènes d’un autre âge qui seraient unhéritage des pratiques médiévales appartenant aux Compagnonset que l’on a retrouvées en certaines obédiences maçonniques.Mais quelque chose de l’ordre d’une castration symbolique,ou plutôt d’une totémisation, dans les limites territorialesde l’institution, fonctionne.
Relié aux frères par une corde
Précisons que l’on demande généralement tout juste à l’impétrant, »à la gloire et sous la protection du Très-Haut », d’entrerdans la loge entouré de deux frères et relié à eux parune corde. Cette corde matérialise le lien d’intégration etde solidarité du nouveau venu. Paradoxalement, ce sera historiquementpour Freud un lien de plus et non une aliénation,pour découvrir et mettre en paroles sa conceptualisation del’inconscient et de la psychanalyse, discipline clinique,école de l’amour et de la liberté. La loge est un lieu de paroleréglementé. Sa créativité aurait pu s’en trouver assourdie, maisc’est un paradoxe, certains liens ont une fonction libératrice[…].
Psychanalyse et franc-maçonnerie
Beaucoup d’auteurs se sont fait piéger à établir des similitudesentre psychanalyse et franc-maçonnerie. Que l’on fasse sa proprecure psychanalytique et la différence surgit tout de suiteà la conscience. Nombre d’obédiences ont pour objet de chercher »la » vérité, alors que l’analyse donne à un sujet lapossibilité de découvrir la sienne. Jung qui fut également francmaçon,mais à l’Alpina, obédience suisse souvent protestante,défendait la théorie d’un inconscient universel, projetant ainsile sien et faisant de lui Dieu. Une telle conviction peut fairepartie d’un épisode dans une cure inachevée. Il semble en effetque Jung soit tombé du divan de Freud quelques mois avantl’arrivée, ce qui ne diminue en rien l’esthétique de son propos[…].
La place des femmes en loge
Il interviendra en 1901 au sujet des buts du B’nai B’rith et,un an plus tard, on l’entendra sur le rôle de la femme dansla vie de la loge. Il faut dire qu’à l’époque les femmes sont fréquemmentau centre des discussions et qu’il n’est pas toujoursfacile qu’elles se trouvent une place. Par exemple, en1902, un texte de Paul Möbius intitulé La Faiblesse d’espritdes femmes (sic) sera inscrit pour étude approfondie à l’ordredu jour de la deuxième loge de Vienne qui s’appelleHarmonie (Eintracht). Freud viendra visiter cette loge soeurqu’il a d’ailleurs contribué à fonder et il interviendra massivementdans le débat […]. En principe, il prendra plutôt laparole sur des sujets qui font partie de ses travaux en cours,ou de travaux qu’il va publier. Par exemple, le 9 février 1900,il donne une conférence, à laquelle les dames sont invitées enloge, sur la Psychologie de l’enfant que l’on retrouve aussisous le titre La Vie mentale de l’enfant. La même année, le 24avril, il parle de Fécondité, roman d’EmileZola qu’il avait classé parmi un choix de dixbons livres, en réponse à une enquête d’éditeur[…].