Notre invitée de ce dimanche est Catherine Lyautey, la Grande Maîtresse de la Grande Loge Féminine de France, qui vient d’effectuer une visite à Maurice. Ce déplacement s’insérait dans le cadre des célébrations du 40e anniversaire de La Rose de l’Aurore, première loge de la GLFF dans l’océan Indien à laquelle se sont ajoutées, par la suite, deux autres loges féminines, le Flamboyant et le Shooting Star. Nous sommes allés à la rencontre de Mme Lyautey pour discuter à bâtons rompus de la franc-maçonnerie, plus particulièrement de la féminine.
Source : Journal Le Mauricien du 03 avril 2023 – Catherine Lyautey, grande Maîtresse de la GLFF : « Faire partie de la franc-maçonnerie donne des armes »
C’est votre toute première visite chez nous. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour venir rendre visite à vos sœurs mauriciennes ?
— C’est toujours la problématique quand on devient Grande Maîtresse : la première année, c’est la mise en place de son organisation et la deuxième est réservée, en général, à des déplacements vers les loges.
Une Grande Maîtresse a droit à combien de mandats ?
— Un mandat d’une année renouvelable pour deux ans, ce qui fait trois ans en tout.
Pas de risque que la Grande Maîtresse multiplie les mandats comme le font certains présidents de pays ou d’organisations ?
— Chez nous ça n’existe absolument pas. Ça existe peut-être dans d’autres obédiences, mais celles avec qui nous travaillons, avec qui nous avons des affinités ont, comme nous, un système très démocratique.
En 2023, la franc-maçonnerie a-t-elle encore l’importance qu’on lui attribuait autrefois : celle d’une puissante société secrète capable de faire et de défaire les gouvernements, de peser sur l’organisation de la vie de la cité ?
— Ce n’est plus du tout le cas, comme cela a pu l’être en France, sous la troisième République. Parce que tout bêtement, il y a eu 1940 et les lois du Maréchal Pétain et du gouvernement de Vichy, qui ont fait dissoudre les sociétés secrètes, dont la nôtre, ont quand même laissé beaucoup de marques chez les francs-maçons. Nous sommes aujourd’hui plus dans la discrétion : chaque maçon essaye d’influencer la société, mais dans son niveau personnel à lui. On peut l’être dans des mouvements politiques, syndicaux, écologiques, culturels, etc. C’est comme ça que le maçon tente d’influencer la marche de la société, mais on ne peut pas dire que la franc-maçonnerie, dans son ensemble, a une influence sur la marche de la société à travers un gouvernement, ce n’est plus le cas. Qu’il y ait eu des liens, des influences, des discussions entre des politiques et des frères, sans doute. Il y a eu des francs-maçons qui travaillaient avec des hommes politiques, certes, mais de là à dire que c’est la franc-maçonnerie qui fait avancer les choses au niveau politique, c’est nous donner un très grand pouvoir que nous n’avons absolument pas.
Encore que certains frères prétendent détenir ce pouvoir politique…
— Vous avez bien dit des frères, non ?
Parce que les sœurs n’aiment pas le pouvoir ?
— Ce n’est pas ça. Je pense que nous n’avons pas la même façon de regarder comment on peut influencer et agir sur le pouvoir.
Citons une définition : « La franc-maçonnerie est un ordre initiatique humaniste ayant pour but l’amélioration de l’humanité à travers l’introspection et le perfectionnement de soi-même avant toute chose afin de pouvoir ensuite rayonner dans la cité pour le perfectionnement de l’humanité. » Commente expliquer que cette franc-maçonnerie ait fermé sa porte aux femmes pendant des siècles en se comportant, passez-nous l’expression, comme un vulgaire club de machos ?
— Alors ça, moi aussi j’aimerais bien comprendre. Dès 1717, quand les Constitutions d’Anderson, bases de la franc-maçonnerie, ont été émises, il y avait des critères d’entrée. La franc-maçonnerie n’était pas ouverte aux athées, aux fous et aux femmes ! C’était la manière de penser du pasteur Anderson, une manière de penser très anglo-saxonne à l’époque. L’accès aux femmes était donc refusé. Comme toujours, les femmes ont dû se montrer volontaires et tenaces pour pouvoir gagner leur place.
Le combat a-t-il été rude ?
— Il l’a été. Nous avons été aidés par certains frères qui ont, comme on dit chez nous, des pas de côté. Ils ont dit à leurs obédiences qu’il fallait que les femmes soient reconnues, et c’est comme ça qu’il y a eu la création ou d’obédiences mixtes ou, pour notre cas, de loges d’adoption, c’est-à-dire que nos frères nous autorisaient à avoir des loges.
Vos frères vous autorisaient ! Est-ce qu’aujourd’hui les franc-maçonnes sont totalement acceptées par leurs frères ou tout juste tolérées pour être dans l’air du temps ? Comme le sont les ailes féminines des partis politiques ou de certaines organisations…
— En règle générale, nous avons notre place dans le monde maçonnique et en particulier la GLFF. Mais effectivement, il existe des obédiences qui, de par leurs règlements, ne peuvent pas recevoir les femmes et ne les considèrent pas comme des maçonnes à part entière.
À quoi cela tient-il ? Comment peut-on respecter des règlements qui sont à l’encontre de la démarche franc-maçonne ?
— Ça tient à cette notion, toujours présente malheureusement, de la règle de domination du machisme et du patriarcat. Écoutez, on ne va pas faire une polémique sur nos frères. Disons qu’actuellement dans le paysage maçonnique, on a toutes les possibilités, du monogenre, du mixte, des relations avec les uns et les autres ou pas.
Est-ce que c’est un phénomène mondial ou est-ce que c’est particulier à la France ?
— Disons pour plaisanter qu’il y a aussi des intégristes au sein des francs-maçons ! C’est en tout cas une caractéristique de la franc-maçonnerie anglo-saxonne qui ne reconnaît pas les femmes. Ce qui n’a pas empêché l’Angleterre et d’autres pays anglo-saxons d’avoir eu des femmes chefs de gouvernement !
Est-ce qu’aujourd’hui vos frères vous traitent-il sur un vrai pied d’égalité ou toujours avec un peu de condescendance ?
— Ça a été le cas au départ quand nous étions des loges d’adoption. Ils avaient toujours ce regard un peu bienveillant, vous voyez ce que je veux dire ? Maintenant, c’est terminé. On a désormais pris notre place.
Vu de l’extérieur, on peut avoir le sentiment que la franc-maçonnerie est aujourd’hui un réseau qui permet à ses membres d’utiliser sa réputation et son passé pour faire du business, des affaires. Est-ce le cas ou est-ce une caricature ?
— C’est totalement une caricature ! Nous sommes le premier réseau qui ait existé, puisqu’au départ, les hommes qui voyageaient se retrouvaient et échangeaient en tant qu’hommes libres. On se passait des adresses de personnes et d’endroits où l’on pouvait être accueilli pour travailler et rencontrer des gens intéressants pour dialoguer, échanger. C’était de l’entraide normale, pas plus. Vous devez aller dans un endroit où vous ne connaissez personne et moi je peux vous mettre en relation avec quelqu’un. Pour moi, ça ne va pas au-delà, mais c’est comme partout, comme dans toutes les sociétés, il y a toujours des moutons noirs sur lesquels, malheureusement, on fait le focus en oubliant que l’ensemble des maçons et des maçonnes sont des gens qui sont, comme on dit chez nous, de bonnes mœurs.
Mais il y a quand même des maçons et des maçonnes qui ne sont pas, mais alors pas du tout, de bonnes mœurs, mais sont des affairistes, comme on l’a découvert avec certaines loges mafieuses, particulièrement en Italie…
— C’est vrai. Mais on fait le focus sur une ou deux loges, alors que, par exemple, dans mon obédience, j’ai 450 loges qui n’ont aucune problématique d’affaires. L’affairisme de certains frères rejaillit automatiquement sur l’ensemble de la maçonnerie, dont la féminine. Ça fonctionne comme une caisse de résonance. Pour un ou quelque moutons noirs, tout le monde est entaché.
Cette tendance affairiste est-elle en train de diminuer ou, au contraire, de se développer ?
— Je pense qu’il y a toujours des êtres humains qui veulent faire des affaires, gagner de l’argent et essayent tous les moyens possibles. Est-ce qu’il y en a plus qu’avant ? Je ne sais pas. Par contre, il y a aujourd’hui plus de caisses de résonance avec les réseaux sociaux.
Comment expliquez-vous que l’image que l’Église catholique a donnée de la franc-maçonnerie à une certaine époque, celle d’une société secrète, dangereuse, redoutée avec des pouvoirs occultes, perdure encore ?
— C’est normal. Nous sommes adogmatiques, c’est-à-dire que nous refusons les dogmes. Nous sommes une école de questionnement, de remise en cause. Bien évidemment, les religions – j’utilise à dessein le pluriel pour ne pas faire le focus sur une seule – prônent des dogmes sans croire à une vérité révélée. Alors que pratiquer la maçonnerie, c’est essayer de trouver par soi-même sa vérité. Donc, voilà pourquoi à mon avis, il y a ce… souci entre les religions et nous.
l Peut-on dire que la franc-maçonne respecte mieux les traditions que ses frères ?
— Je dirai qu’elle est plus attachée aux traditions. Elle est plus attachée à bien appliquer les méthodes qui sont enseignées. Elle est plus attachée à la transmission. C’est peut-être à ce niveau que se situe la différence.
Catherine Lyautey, grande Maîtresse de la GLFF : « Faire partie de la franc-maçonnerie donne des armes »