Quant l’Ethique et la Franc-Maçonnerie se rencontre : voilà une belle interrogation qui fait l’objet d’une planche de la loge « la Bonne Harmonie » à l’Orient de Neuchâtel de la Grande Loge Suisse Alpina. Il s’agit d’une conférence de Jean Jacques Sunier.
Il existe différentes formes d’éthique qui se distinguent par leur degré de généralité. (l’éthique appliquée par exemple ne possède pas le degré de généralité de l’éthique générale), elles se distinguent aussi par leur objet ou par leur fondement (qui peut être l’environnement, la religion, la tradition propre à un pays ou à un groupe social ou un système idéologique). Dans tous les cas, l’éthique vise à répondre à la question « Comment agir au mieux ? » On se pose toujours la question en effet…
Source : http://www.la-bonne-harmonie.ch/ethique_et_fm.html
Mesdames & Messieurs, bonsoir,
Avant de commencer, je tiens à remercier chaleureusement M. le professeur Muller pour son brillant exposé et surtout pour la façon magistrale et extrêmement vivante avec laquelle il a réussi à nous présenter un thème aussi complexe, d’une manière qui a également permis j’en suis sûr, aux non spécialistes, d’en saisir les éléments principaux.
Je m’appelle Jean-Jacques Sunier et j’ai été chargé par les FF… de notre Loge « La Bonne Harmonie » de vous expliquer la raison pour laquelle nous avons, cette année, choisi l’éthique, comme thème de notre conférence publique. Pour cela, je vais essayer de montrer qu’il existe des liens étroits entre FM et éthique. En effet, ne prônant ni ne définissant à priori quelques vérités que ce soit, la FM est assez difficile à expliquer et plus encore à comprendre. C’est pourquoi nous espérons que la conférence de ce soir puisse, par le biais de l’éthique, nous aider à vous donner une meilleure compréhension de ce qu’est réellement la FM.
N’ayant, tout comme vous, découvert le texte de notre conférencier que ce soir, je ne vais pas pouvoir m’appuyer directement sur ses propos, mais je vais tout de même tenter de vous montrer que, par les vertus qu’elle enseigne, par ses attitudes et par les modes d’expression et de communication qu’elle utilise, de même que par la tradition à laquelle elle se rattache, la Franc-maçonnerie est en réalité une institution de conception et de construction éthique. Pour tenter de vous en convaincre, je vais essayer d’être bref et d’utiliser le langage le plus simple possible, ce qui ne sera pas toujours évident.
Je vais commencer par rappeler quelques définitions :
Si la morale fixe les règles de la vie en commun, l’éthique sert à en légitimer et à en justifier les choix.
Pour le philosophe Paul Ricœur, dont M. le prof Muller viens de parler, l’éthique signifie : « La vie bonne, avec et pour les autres, dans des institutions justes » et, pour exprimer cette pensée Ricœur définit les trois pôles simultanés de l’éthique qui sont: 1er l’action (le Je), 2éme l’interaction (le Tu) et 3éme le contexte (l’institution).
En plus, Jean-Marc Ferry affine ce concept en y incluant le fait d’accueillir l’histoire des autres comme sa propre histoire, ce qui ajoute à une éthique de la reconnaissance, une éthique de la responsabilité et du partage, qui permet ainsi de fonder l’éthique sur l’humanisation et l’universalisation. Mon but est de vous montrer que c’est là justement, que se situe le sens profond de la démarche maçonnique.
En effet et même si ce n’est pas ainsi qu’elle est généralement présentée, l’éthique maçonnique est à la base des premières réflexions que rencontrent les jeunes frères qui viennent nous rejoindre. Dans la forme, elle comprend l’usage d’enquêtes, la pratique du parrainage etc. et, pour le fond, elle indique les devoirs de l’Apprenti, du Compagnon et du Maître. Elle met ainsi d’amblée en exergue, parmi les vertus maçonniques, les notions de tolérance et de bienfaisance dont la valeur, d’après Socrate, aiderait au détachement du monde sensible et des biens matériels, pour s’approcher d’idées plus ouvertes et, spécialement, de l’idée de Bien.
La nature de ce Bien se doit évidement d’être conforme à un idéal et c’est là qu’intervient la notion de « Grand Architecte De L’Univers », qui est le vocable par lequel les maçons nomment le principe de transcendance, soit ce qui est au dessus de nous, ce qui nous dépasse, mais que la FM ne définit jamais. Cette transcendance, la pratique d’agapes rituelles et l’usage d’une colonne d’harmonie, correspondent ainsi précisément au mot éthique, pris au sens de « façon d’être », de comportement habituel. De telles manières et de telles conduites, toujours en rapport avec les idéaux véhiculés par les rituels, se vivent ainsi naturellement lors de nos travaux, ce qui permet une prise de conscience qui transforme, progressivement, le nouvel initié en Maçon.
Je vais maintenant essayer de mettre en relief la position particulière de la Franc-maçonnerie, non pas en terme de doctrine, car de même que la FM se refuse à définir la transcendance, elle n’ a, ni ne revendique de doctrine, ni pour elle, ni collectivement pour ses membres, – mais par la façon « d’être au monde » qu’elle promeut, par les attitudes et les vertus qu’elle enseigne, par le mode d’expression et de communication utilisé en Loge et enfin par un vécu et des usages qui lui donnent une place centrale, dans ce qu’elle nous apporte, à nous Francs-maçons, à travers la tradition qu’elle incarne.
Des 3 pôles qu’il propose Ricœur tire encore une » visée éthique » qu’il nomme « obligation morale « . En effet, l’action du Je, découle en général d’une constatation de l’état du monde, où, plutôt que de supporter ou de subir les événements, on décide de son propre engagement. C’est face aux imperfections du monde que l’on peut se forger une conviction qui, faisant appel à un sentiment de justice, permet de construit sa liberté, par rapport et dans ce monde, et, de cette conviction peut résulter une volonté réelle, d’user de cette liberté d’être au monde, pour vivre en conformité, avec les obligations qui découlent de ce que chacun a, pour lui même, décidé de reconnaître. C’est ce que Paul Ricœur appelle » l’estime de soi « .
En effet, face au Tu représentant l’interaction et en relation avec cette liberté que le Je désire acquérir, par la force de son engagement et de ses convictions, comment serait-il possible de ne pas respecter, chez les autres, cette même volonté? Le rapport à l’autre, dans le Tu passe ainsi par le respect de la liberté de l’autre, de se construire, lui aussi, par rapport à sa conscience et sa vie.
Ce respect ne peut donc qu’être mutuel et d’une réciprocité active, puisque la reconnaissance de l’autre réside dans le sentiment de chacun, d’avoir le pouvoir de penser sa liberté et d’établir ses convictions. Ce respect devient ainsi la base du comportement des maçons et permet qu’en Loge, l’acceptation de l’autre soit vécue très naturellement. C’est ce qui explique également que nous nous considérions comme des Frères. Ce que nous appelons « amour fraternel », est ainsi fondé sur « l’estime de soi » de chacun, et de notions partagées dans une vrai relation d’équité et d’égalité.
L’institution maçonnique devient ainsi le cadre de l’action des FF vis-à-vis de toutes les personnes qui ont décidé d’en faire partie, y compris de celles qu’ils ne côtoieront peut-être jamais et c’est ainsi qu’elle en pérennise les valeurs et crée la notion d’appartenance et de communauté.
Ce processus conduit ainsi à une universalisation réelle et c’est en cela que les notions de Grand Architecte de L’Univers et de landmarks, qui sont les règles de base de l’Ordre, fondent effectivement la Franc-maçonnerie traditionnelle. Elles révèlent la fraternité qui lie les Frères dans un cadre précis, d’où les rôles du secret initiatique et du parrainage par exemple et c’est pourquoi cette sollicitude qui se partage sur des bases et des représentations communes, place chaque FF dans un état d’esprit ouvert, que l’on peut résumer par la triade : liberté, égalité, fraternité.
« L’estime de soi » de chacun et la sollicitude qui régit nos relations, respectueuses et fraternelles, se traduisent par des attitudes, des comportements et des discours qui s’inspirent les uns des autres. Dans son approche de soi-même vis-à-vis des autres, le Maçon se doit donc acquérir l’estime du soi maçonnique, c’est-à-dire, de son propre Je.
Parmi et avec les autres membres de la Loge, il pratique les mêmes rituels et dispose donc du même matériau signifiant, en signes et symboles spécifiquement ordonnés, auquel tous font référence en tant que structure nourricière.
Le Maçon tente ainsi de réaliser l’éclosion attendue de ses possibilités – c’est en fait la raison pour laquelle il a frappé à la porte de la Loge : éclosion ou épanouissement, entourés et guidés par les autres membres du groupe, partageant les mêmes références et espérant, eux aussi, la révélation d’une possible lumière, car comme dit le philosophe :
» L’homme à la découverte de la connaissance de soi, ne peut mener à bien sa démarche que dans la mesure où son « désir de lumière », soit en lui, vivant et dynamique et devienne ainsi une véritable volonté d’accomplissement. »
En Loge, tout cela se déroule dans des rapports de sollicitude (le » Tu « ) tout à fait décelables, dans ce qui constitue l’initiation et les rituels de transmission initiatique.
En outre le Maçon se doit également de visiter d’autres ateliers, afin de, conformément à son désir d’universalisme, faciliter une possible extension de ses échanges fraternels.
Pour qu’une telle démarche devienne possible, il a été nécessaire que les maçons se donnent, par le langage, l’outil apte à fonder un monde culturel, basé sur la sensation, l’intuition et l’imagination, perceptions à partir desquels se constitue le signe. C’est pour cela que le langage maçonnique est aussi imprégné de symbolisme et qu’il est le principal outil d’une universalité objective et le premier moyen de la réalisation d’une conscience et d’une appréhension de mondes naturel, historique et culturel, comme le montre :
· L’importance donnée à la parole, à sa perte et au fait de la retrouver,
· La problématique du savoir et de la connaissance,
· La volonté de replacer la transcendance dans la conduite humaine,
· L’accès à l’amour fraternel par des phases,
· La nécessité de perdre le manteau du vieil homme pour découvrir sa réalité intérieure,
· Les démarches, épreuves et voyages de certains rituels,
· Le climat de véritable fraternité, vécu notamment dans la chaîne d’union
· Et enfin l’approche de et par l’esprit.
Tous ces exemples sont des manifestations évidentes d’hominisation et d’universalisation et donc d’une réelle construction éthique. Comme c’est de l’être et de l’altérité qu’il s’agit, il est clair que la pratique maçonnique est bien de dimension éthique et spirituelle.
III – En conclusion
On présente souvent la FM comme étant un chemin vers la tolérance et l’ouverture aux autres. C’est vrai, mais en réalité, elle est beaucoup plus complexe et plus profonde que cela. C’est par une accession à la spiritualité, à l’esprit, qu’il faut concevoir la démarche maçonnique, qui est en fait une éthique de la reconnaissance comprenant, à partir de la parole, les éléments qui permettent un processus de personnalisation réel, mais avec hominisation et universalisation et ce, à l’aide de pratiques rituelles qui comportent justement ces dimensions.
Cette démarche, qui respecte par définition la liberté de chacun, permet de concilier les diverses tendances que l’on rencontrent, chez les FF et dans les Loges et ce, à partir de travaux basés sur trois sortes d’espérances : l’espérance de base, quotidienne, liée au désir et à sa possible satisfaction, l’espérance métaphysique et enfin, une espérance que j’appellerai spirituelle ou sacrée, fondée sur une transcendance non définie, qui accepte le libre choix de tous et de chacun. Tout ceci est en effet nécessaire, car la foi et la raison ne peuvent être réuni que dans une tension constructive et éthique, dans laquelle s’inscrit justement ce que tente de réaliser la Franc-maçonnerie traditionnelle.
Permettre à chacun de trouver sa Vérité, même momentanée, c’est là le but et la raison d’être de la FM.
Merci à tous d’être venu ce soir ; M le Prof Muller et moi-même restons à votre disposition pour répondre, si possible à, vos questions.