Esquisse d’une théorie de l’initiation
Lorsqu’un profane s’intéresse à la Franc-maçonnerie au point d’envisager d’y solliciter son admission, il pressent en elle un élément fondamental. qu’il ne saurait trouver ailleurs. Cet élément fondamental est l’initiation, qui confère à la Franc-maçonnerie son caractère spécifique, et qui, par cela même, la distingue radicalement de toute autre institution. La difficulté réside pour lui, dans le lien, indissoluble existant entre franc-maçonnerie et initiation.
Celle-ci est précisément liée l’admission dans l’institution, de sorte qu’on ne peut connaître l’initiation sans la « vivre ». Or, demander à un profane d’adhérer à la Franc-maçonnerie en raison de l’élément essentiel qu’il pense pouvoir y trouver c’est lui demander en fait, de s’engager dans une voie qu’il ne connaît pas.
Un profane connaissant l’existence de l’initiation maçonnique, fonde 1a conception qu’il s’en fait sur des observations et des appréciation, extérieures à cette initiation proprement dite. Il ne peut en être autrement Ces observations, cette appréciation varieront d’un profane à un autre, et fonction de ses lectures, des contacts qu’il aura eu avec un ou plusieurs francs-maçons et des exemples que ceux-ci lui auront donné.
On peut aborder l’initiation par diverse côtés. Il sera de peu de secours, au profane de lui dire qu’elle est une expérience personnelle d’ordre spirituel, et par cela même, incommunicable. En revanche, si l’on veut bien se refermer à l’étymologie, on gardera présent à l’esprit que initiation est un commencement: le commencement d’une évolution ordre spirituel, marqué par une cérémonie particulière destinée à éveiller chez le candidat la conscience des potentialités qu’il porte en lui.
Ce processus présuppose deux choses: tout d’abord que l’être humain est capable d’évoluer, de se perfectionner, et ensuite, que la cérémonie de l’initiation est susceptible de transmettre au néophyte un dynamisme favorisant son évolution et son perfectionnement.
Cette initiation maçonnique n’est pas une cérémonie quelconque déployant automatiquement ses effets sur n’importe quel profane. Elle exige de celui qui la sollicite, certaines prédispositions, certaine tournures d’esprit et une sensibilité particulière à la symbolique qui en est 1e support.
Au lieu de cérémonie, il conviendrait plutôt de parler de «rituel». L’axe du rituel d’initiation est tracé par une ligne idéale, dont le point de départ serait la préparation du candidat, préparation destinée à l’intégrer dans l’œuvre de construction déjà entreprise par les francs-maçons, et dont le terme serait le dégagement de la forme parfaite et harmonieuse qu’il recelait à l’état potentiel. Cet axe, ce processus, ne sont rien d’autre que le schéma, emprunté a l’art de construire, de la réalisation spirituelle de l’homme.
Autour de cet axe, se sont groupés des éléments provenant de courants de pensées, ou plus exactement, de diverses traditions. Leur apport, loin de contredire ou de nier l’efficacité de l’axe du constructivisme, l’enrichit en lui offrant des développements quasi illimités. Tout se passe comme si à un leitmotiv fondamental, des compositeurs connus ou inconnus avaient ajouté des variations dans des registres différents.
La richesse même du rituel d’initiation au grade d’apprenti constitue un obstacle à sa compréhension totale et immédiate, parce que la sensibilité, la réceptivité, la possibilité de réalisation du néophyte «vivant» l’initiation, ne lui permettent d’en percevoir que quelques aspects. Il en résulte que l’initiation demeure virtuelle, et que seul un effort soutenu dans le temps permet au franc-maçon d’en réaliser les modalités.
Cette réalisation emprunte divers moyens, principalement la participation attentive « de cœur et d’esprit» à l’initiation d’autres profanes. L’apprenti revit ainsi sa propre initiation par personne interposée, et en découvre des aspects qui lui avaient tout d’abord échappé.
Dans son essence, le rituel d’initiation au grade d’apprenti recèle l’alpha et l’oméga de l’enseignement maçonnique. Mais par sa nature, Synthétique, par ses formes symboliques, cet enseignement n’est pas susceptible d’être intégré immédiatement par le néophyte, qui n’en perçoit d’abord que l’expression matérielle et extérieure.
Les possibilités de développement spirituel illimitées, offertes par ce rituel, dépassent les moyens ordinaires d’assimilation d’un homme dont l’attention et l’intérêt sont sollicités sans cesse par une vie profane de plus en plus accaparante. C’est pourquoi, à l’initiation fondamentale s’ajoutent et se superposent, par la suite, des rituels qui reprennent le schéma premier en le développant dans des perspectives différentes.
Les « travaux » présentés en loge, les entretiens, les lectures, sont autant de moyens de réaliser l’initiation. Les expériences faites dans le domaine maçonnique ou profane apportent aussi à l’initié un matériel qu’il doit constamment soumettre au crible de sa raison et confronter à sa vision personnelle.
L’initiation présente donc un double aspect: elle est une cérémonie, un rituel, mais elle est aussi une expérience personnelle d’ordre spirituel. C’est ce deuxième aspect qui la rend «secrète» ou plus exactement incommunicable. En effet, les réalités d’ordre spirituel ne sont pas exprimables par le langage ordinaire; leur qualité d’expériences intérieures, intimes, est propre aux régions les plus profondes de l’être. Elles appartiennent au patrimoine spirituel de l’humanité, et en tant que telles, échappent à une formulation en termes strictement rationnels. Elles constituent le fond commun à toutes les traditions, religieuses ou initiatiques.
En revanche, si ces réalités d’ordre spirituel ne sont pas exprimables, les formes et les représentations par lesquelles l’esprit humain les traduit, sont accessibles à la raison.
Source : La loge maçonnique APOLLONIUS DE TYANE, membre du Grand Orient de Suisse