Jérôme Touzalin est un dramaturge,membre du Conseil de l’Ordre, de la Grande Loge Traditionnelle et Moderne de France.
Voici donc la « Chronique (imp)pertinente de Jérome » :
ESPACE SACRÉ ET RITUEL, MAIN DANS LA MAIN
C’est sans doute une grande ambition intellectuelle qui nous rassemble en Franc-maçonnerie… ambition de se comprendre mieux les uns les autres, d’enrichir notre culture, d’avoir une influence bénéfique sur la vie de la société et d’approcher le mystère du monde.
Mais, ce désir d’élévation beaucoup de structures humaines l’ont en commun : sociétés savantes, cercles d’études, associations culturelles… cela ne manque pas, il suffit simplement de se regrouper par affinités, de se retrouver dans une salle, un amphithéâtre, autour d’une table, et l’on peut donner le top départ des palabres.
La Franc-maçonnerie ne se contente pas d’une intrusion, aussi élaborée soit-elle, dans les seuls rouages de la production intellectuelle,
La Franc-maçonnerie a conscience que malgré les tentatives de rapprochements, les humains demeurent vigoureusement attachés à leurs positions et en des postures partisanes, hélas souvent irréconciliables, qui les conduisent à la violence… Si l’on veut rassembler les humains, ambition éminemment « maçonnique », les unir dans un mouvement qui réunit, sans pour autant tomber dans l’uniformité et respecter les singularités de chacun, c’est en introduisant une dimension supérieure, qui transcende toutes les séparations, c’est en apportant l’émotion du sacré.
Ainsi s’entremêlent la réalité objective, tangible, de la production de l’intellect, avec le frisson émotionnel de sentir que l’on appartient aussi à une élévation spirituelle.
Voilà pourquoi une loge n’est pas une salle de réunion, de conférence ou de laboratoire d’idées, comme autant de structures profanes et ne le sera jamais…
Mais hélas, il arrive qu’une loge s’apparente pourtant à du profane et nous avons tous fait l’expérience de cérémonies quelque peu malmenées, voire bâclées, conduites sans âme… Alors l’on perd une grande partie de cette impalpable vibration dont la tenue devrait être la source.
La loge est un espace sacré car c’est un point de rencontre entre le ciel et la terre, entre la matière et l’esprit, entre les humains et le Grand Architecte… voilà pourquoi on ne saurait faire n’importe quoi, se contenter d’à peu-près. Si dans une cérémonie, on tombe dans une présentation de patronage : comme un rituel dit sans conviction, des gestes incertains, un outil qui manque, une bougie qui s’éteint soudainement, des dialogues qui s’installent entre frères et sœurs, des déplacements à contre-sens, c’est provoquer une rupture dans le colloque qui se noue entre l’ici et l’au-delà… C’est l’équivalant d’une perturbation dans une salle de concert ou le creuset d’un théâtre… C’est déchirer ce que nous racontent des symboles qui ne cessent de converser entre eux dans l’espace de la loge… c’est rompre, d’un coup, ce lien si précieux qui se met doucement en place entre les frères de l’assemblée.
Si, lors de la cérémonie d’initiation, quand le profane doit poser la pointe d’un compas sur sa poitrine, au moment de prêter serment au pied de l’Orient, on se saisit, par défaut-comme je l’ai vu faire- de celui qui repose alors sur la bible, sous le poids de l’équerre, parce qu’on a oublié de se munir préalablement de cet instrument, tout est détruit ! en désarticulant ces objets entremêlés, on éteint les trois grandes lumières de la loge, on ruine le sens magique qu’elles sont chargées d’éclairer, on n’a plus que des outils dépouillés du propos offert par leur triple conjugaison, on ne sort pas de l’ombre.
Si, à l’ouverture des travaux, quand le premier et second surveillant, s’approchant de l’Orient, tiennent leur bougie de guingois et non à l’équerre, bien horizontalement, par rapport à celle du Vénérable Maître qui, elle, doit être parfaitement verticale, alors se trouve perdu le sens, qu’au premier degré, tout doit être d’équerre, tout le temps, et plus encore à cet instant où la transmission du feu, de la lumière, est un moment symboliquement fort. Car c’est sur la base de l’équerre que se construit le monde et surtout au premier degré, avant que de prendre, plus tard, d’autres directions.
L’espace sacré que nous créons en loge est un refuge spirituel où nous trouvons l’apaisement… cela ne se pourrait si nous nous déplacions n’importe comment, en tous sens, si nos gestes et nos postures n’étaient pas codifiés et respectés, si nous parlions dans le même élan désorganisé que nous le faisons au dehors ; l’espace sacré nous confère, un moment, un tout petit moment, la sensation que nous ne sommes pas uniquement fait de chair et d’os périssables mais qu’il y a un supplément attaché à nos vies et qui est notre âme… Cette âme ne peut pas apparaître et communiquer avec toutes les âmes assemblées dans la loge, dans le tumulte, le brouhaha, la désorganisation matérielle, l’accomplissement chaotique du rituel et des cérémonies.
De plus, l’espace sacré se transmue tout aussitôt en temps sacré, ce qui nous rend instantanément si proche de nos frères anciens qu’ils soient disparus depuis peu ou depuis fort longtemps… qu’importe alors, car lorsque l’on n’existe plus dans un temps précis, celui de l’horloge, on est de tous les temps ! Ils sont là, à nouveau, avec nous… Voilà pourquoi la chaîne d’union est un moment sacré capital qui prend toute son ampleur quand le vénérable peut en dire le texte qui l’accompagne par cœur et non en lisant un papier froissé ou une brochure.
Sans rituel, il n’y a pas de sacré, il me semble très important de s’en imprégner, de le lire, chez soi, à tête reposée, de comprendre que tous les gestes, tous les déplacements, tous les échanges, ont un sens, de la même façon que lorsqu’on découvre le mot « oiseau » sur une feuille, on ne voit de prime abord que des caractères d’imprimerie posés côte à côte, mais lorsqu’on le lit, il se passe bien autre chose dans notre tête… On s’envole avec lui.
Il en est ainsi du rituel, c’est un discours qu’il faut scrupuleusement suivre si l’on veut que la franc-maçonnerie demeure cet unisson magique qui continue de réunir des hommes et des femmes pourtant si différents les uns des autres et leur faire partager un moment de paix.
Ainsi, la constitution d’un espace sacré et le respect des cérémonies qui s’y déroulent donnent, certains soirs, à l’homme cette ineffable sensation qu’il est peut-être plus qu’un homme…
Jérôme Touzalin
« Et ce qui vaut bien mieux que les rois et la gloire
tu seras un homme mon fils. »
Beau texte,qui mérite d’être de temps en temps lu en loge pour rappeler chacun à ses devoirs et à son rôle.