Cela faisait débat depuis plus de 30 ans – seulement 30 ans serait-on tenté de dire – les femmes pourront être initiées dans la plus grande obédience maçonnique de Belgique, à savoir le Grand Orient de Belgique. Après plusieurs années de travaux, ses statuts ont été modifiés, et chacune des 118 loges qui en font partie pourra intégrer au choix la fédération masculine, ou la fédération mixte. Une fédération féminine pourra accueillir de nouvelles loges strictement féminines. Pour le Grand Orient, c’est une petite révolution.
Un article du site RTBF.BE – Franc-maçonnerie : enfin des femmes au Grand Orient de Belgique
Deux siècles de Franc-maçonnerie exclusivement masculine
Créé en 1833, peu après l’indépendance de la Belgique, le Grand Orient de Belgique est réservé aux hommes. Il restera strictement masculin pendant près de deux siècles.
Henry Charpentier, Grand Maître du Grand Orient : « La maçonnerie a été implantée sur le continent européen au 18e siècle – elle venait d’Angleterre – et évidemment, la tradition voulait que cela soit un loisir philosophique exclusivement masculin. La tradition est restée et elle reste très présente ».
Et le poids de la tradition pèse. L’un des textes fondateurs de la Maçonnerie, écrit par le révérend James Andersen en 1723 indique que « les esclaves, les femmes et les hommes immoraux et scandaleux ne pourront être admis en loge ».
Des femmes au Grand Orient, il n’en est pas question jusqu’au début du 20e siècle. En 1910, les Amis philanthropes, sous l’impulsion du futur prix Nobel Henri Lafontaine, décident de recevoir en Tenue rituelle une délégation de Frères et de Sœurs françaises du Droit humain, une obédience mixte. C’est le tollé. Pour les plus conservateurs, et ils sont nombreux, il n’est pas question de faire entrer des femmes dans le temple maçonnique. Dans la foulée, la première loge du Droit humain – mixte – sera créée en Belgique, avec l’aide du Grand Orient. Les femmes peuvent entrer en maçonnerie, l’affaire est entendue. Pendant plusieurs décennies, on ne parlera plus de l’initiation des femmes au Grand Orient.
Le Grand Orient en décalage par rapport à la société civile
Un siècle plus tard, l’attachement à la tradition a montré ses limites. La pression se faisait de plus en plus forte, y compris au sein de l’obédience pour que la mixité y soit admise, à l’image de la société civile, laquelle était une société mixte depuis bien longtemps, dans toutes ses composantes.
« Il n’y a pas de raison de ne pas admettre les femmes, nous dit Nadia Geerts, militante féministe et laïque, si encore on pouvait nous donner une bonne raison, par exemple que les femmes ne sont pas génétiquement programmées pour travailler au progrès de l’humanité. Je trouve que c’est quelque chose de contradictoire de prétendre travailler au progrès de l’humanité avec la moitié de l’humanité, excluant les femmes sur une base aussi futile que le sexe ».
Dépassée l’idée de se retrouver entre hommes et exclusivement entre hommes. Mais pourquoi aura-t-il fallu si longtemps pour changer de cap ? C’est d’autant plus paradoxal que le Grand Orient de Belgique s’est montré précurseur dans toute une série de domaines, comme le souligne Henry Charpentier : « Nous avons avancé sur une quantité de matières dans les questions philosophiques et éthiques en ce qui concerne l’émancipation de la femme. Le droit à l’interruption volontaire de grossesse et sa dépénalisation partielle en est un exemple ».
Avant-gardiste sur les questions éthiques, le Grand Orient de Belgique ne l’était pas, loin de là sur la question de la mixité. Les résistances ont été fortes et le compromis qui a été trouvé – trois fédérations, une mixte, une masculine et une féminine, pour contenter tout le monde en est la preuve.
« La liberté des Frères qui souhaitent travailler en stricte masculinité est tout aussi respectable que la liberté de ceux qui désirent travailler en mixité ou en féminité, nous confie Henry Charpentier, ajoutant que lui-même restera dans une loge masculine, parce qu’il s’y sent bien : « On se comporte peut-être de manière caricaturale un peu plus machiste, évidemment, mais la règle de base reste la fraternité et le respect ainsi que la règle triangulaire qui empêche les emballements et les propos précipités » (ndlr : demander la parole et ne pas s’adresser directement à la personne que l’on interpelle) .
Mais de quoi ont-ils peur ces Frères qui préfèrent rester entre eux ?
Ils l’affirment haut et fort, ceux qui veulent rester entre hommes, la présence de femmes pourrait modifier leur comportement. Peur de la séduction ? « Oui, il y a l’argument de la possible séduction, nous dit Nadia Geerts, mais c’est très hétérosexuel. Moi ça me fait sourire, parce que si l’on suit cette logique, dans les obédiences non mixtes, il faudrait refuser les homosexuels. Ils ont l’embarras du choix si l’on accepte le critère de séduction ! ».
Jean-Philippe Schreiber, historien des religions et de la laïcité y voit une autre explication : « Aujourd’hui, on sait à peu près tout de la Franc-maçonnerie et de son fonctionnement. Ce qui s’y passe, c’est une introspection personnelle, une tentative d’aller chercher au plus profond de soi les éléments qui permettent de progresser et peut-être que ce chemin initiatique, cette exposition de soi est plus difficile à exprimer devant des personnes de l’autre sexe ».
Peur de l’hémorragie ?
Le Grand Orient avait-il le choix ? Depuis 2006, une nouvelle obédience, Lithos attire les plus jeunes et les plus progressistes. Elle comprend des loges mixtes et des loges non mixtes. Le risque d’hémorragie était bien réel. Le Grand Orient comme les autres obédiences maçonniques souffrent d’une image désuète et depuis quelques années, il peine à recruter. La moyenne d’âge y est élevée. Un tiers des Frères a plus de 70 ans, un quart plus de 80 ans. L’arrivée des femmes fera un appel d’air.
« A court ou moyen terme, je pense qu’une fourchette de 10 à 15% des loges du Grand Orient de Belgique pourrait passer à la mixité, nous dit Henry Charpentier, Grand Maître du Grand Orient de Belgique. Nous pourrions aussi avoir des demandes d’affiliation de la part de Frères et de Sœurs d’autres obédiences, que ce soit le Droit humain ou la Grande loge féminine de Belgique. Il y aura peut-être aussi des loges entières qui voudront venir chez nous« .
Dix ans après le Grand Orient de France, le Grand Orient de Belgique s’ouvre aux femmes. Mais dans le monde, cela reste une exception. La Franc-maçonnerie reste très largement la Franc-maçonnerie des origines, dite régulière et elle est strictement réservée aux hommes.