Le Monde revient nous titiller avec le refus de la mixité au sein du Grand Orient de France, par la voix de Gérard Courtois.
Le directeur de la rédaction du Monde prend la plume : acerbe avec un brin d’humour.
Ci-dessous :
On ferait mieux de ne pas se mêler des affaires réservées aux initiés. D’autant que les sujets de curiosité ne manquent pas ces temps-ci, depuis les rapports sadomasochistes entre le président de la République et son premier ministre jusqu’au « je t’aime moi non plus » de François Bayrou à Martine Aubry et vice versa.
Pourquoi donc se préoccuper du vote des francs-maçons du Grand Orient de France, qui viennent, lors de leur convent annuel, de refuser, à 56 %, l’initiation des femmes ? Après tout, cela les regarde, et un profane est fort mal placé pour juger de la volonté des « frères » de rester entre hommes. Ils ont pour eux leur Constitution, en l’occurrence celle d’Anderson de 1723, selon laquelle les membres d’une loge ne doivent être « ni serfs, ni femmes, ni hommes immoraux ou scandaleux ». Et une solide tradition, bien résumée par le chevalier de Ramsay en 1736 : « Le sexe est banni » des loges, expliquait-il, parce qu’« on craint que l’amour entrant avec ses charmes ne produise l’oubli de la fraternité » ; bref, ne trouble l’égrégore de la loge – l’esprit et la force du groupe -, selon le beau mot maçonnique.
Il est vrai, en outre, que rien n’interdit aux adeptes de la mixité de rejoindre les obédiences qui la pratiquent – Le Droit humain, depuis plus d’un siècle -, ni aux femmes de maçonner entre elles dans les obédiences féminines.
Mais que l’obédience la plus nombreuse en France, celle qui a fait de la devise républicaine « Liberté, Egalité, Fraternité » son credo et son combat, reste ainsi cramponnée à des règles tricentenaires ne manque pas d’intriguer. Et fait immanquablement penser à ces sénateurs de la IIIe République qui résistèrent avec succès, pendant des décennies, à l’octroi du droit de vote aux femmes, trop faibles esprits pour se mêler des affaires de la cité. Au train où il va, le Grand Orient risque donc de devenir le conservatoire d’une masculinité d’un autre âge, régressive ou rétrograde, c’est selon.
Il devrait pourtant se méfier de la concurrence. Prenez Guy Carlier. Il y a quelques matins de cela, l’amuseur d’Europe 1 s’est, à l’évidence, fait plaisir en passant sous sa « Douche froide » les femmes journalistes à la télévision. Et de ricaner sur les « vieilles routières peu soucieuses de leur look » – citant Michèle Cotta et Arlette Chabot, dont le nom « commence comme celui d’une gérante de baraque à frites et finit comme une recette paysanne de soupe au vin » – et tout autant sur la jeune génération, « sélectionnée sur des critères qui n’ont rien à voir avec le journalisme, sauf à considérer que deux petits seins qui pointent constituent une ligne éditoriale rigoureuse ».
Joli concentré de machisme ordinaire. Car on ne l’a pas entendu traiter de vieux moche telle gloire du petit écran, ni d’Apollon du Belvédère tel présentateur vedette. Truman Capote disait qu’il était prêt à se fâcher avec n’importe qui pour un bon mot. N’est pas Truman Capote qui veut. Reste qu’en studio comme en loge, l’égrégore a bon dos !
Source : http://www.lemonde.fr/opinions/article/2009/09/07/egregore-masculin-par-gerard-courtois_1236868_3232.html