« Druides et franc-maçons un parallèle fantaisiste ? » est le thème abordé par le blog « Aventures de l’Histoire » …
Ce blog se veut être » un lieu privilégié pour observer l’actualité de l’histoire et de l’édition historique, tant en France qu’en Espagne ou dans les pays anglophones.«
Dans l’esprit de certains druidisme et franc-maçonnerie auraient soit les mêmes origines, soit le second serait l’héritier indirect du premier…Pas moins sûr en effet, pour ne pas dire incertain… Quoique ! Bref un article intéressant qui nous plonge dans un ésotérisme historique des plus captivant.
Source : http://aventuresdelhistoire.blogspot.com/2010/05/druides-et-franc-macons-un-parallele.html
Dans la mémoire collective des Européens, les druides ont conservé une place à part. Pourchassés par les Romains, ils ont survécu dans les îles britanniques. Selon une hypothèse hardie, ayant échappé à la christianisation, ils auraient transmis leurs traditions à des confréries d’artisans, notamment les maçons. A leur tour, ces derniers les ont préservées jusqu’au XVIIIe siècle où cet héritage celtique aurait été récupéré et christianisées par les francs-maçons.
Le 22 septembre 1717, John Toland réunit ses amis à la taverne du Pommier, Charles Street, Covent Garden à Londres. Il ne s’agit pas seulement d’une réunion amicale ni même de la tenue d’une loge maçonnique comme on a coutume d’en répertorier alors dans les auberges londoniennes. L’enseigne du Pommier accueille ce jour-là une réunion druidique. Quelques personnes bien informées avaient déjà pris date de ce rendez-vous un an auparavant, le 21 septembre 1716, lorsque John Toland avait, respectant en cela la tradition calendaire des anciens Celtes, proclamé au sommet de Primrose Hill à Londres, jour de l’équinoxe d’automne, l’assemblée des druides d’Europe.
Un an et un jour plus tard, John Toland ouvre le ban. Objet de cette réunion : l’Ancient Druid Order, une fédération des « bosquets » sacrés (l’équivalent druidique de la loge maçonnique). Les bosquets de Londres, York, Oxford sont représentés à l’auberge du Pommier ainsi que des délégués venus du pays de Galles, de la Cornouaille, de l’île de Man, d’Anglesey, d’Ecosse, d’Irlande et de Bretagne. À l’issue de la réunion, tous se séparent en jurant de conserver le silence sur les travaux du nouvel ordre baptisé en gaélique An Druidh UIleach Braithreachas, «Fraternité universelle des druides». An Tigh Geata Gairdeachas, la Maison du Gardien de la Joie, devient le premier bosquet régulièrement constitué sous le maillet de John Toland qui prend le nom de Janus Junius Eoganesius. Il en assurera la direction jusqu’à sa mort en 1722. C’est la mother grove (loge mère) où doivent dorénavant s’affilier tous les bosquets en activité et d’où tireront leurs lettres de créance tous les nouveaux bosquets druidiques qui se constitueront en Europe.
Au dix-huitième siècle, les sociétés de pensée sont en pleine révolution et Londres est au cœur de cette forte tempête. Quelques mois plus tôt, le 24 juin 1717, dans une autre taverne londonienne, Jean-Théophile Désaguliers a rassemblé les délégués de quelques loges de la capitale. La réunion se passe à la taverne The Goose and Gridiron («L’oie et le gril»). Quatre loges londoniennes sont représentées : The Goose and Gridiron («L’oie et le gril»), The Crown Ale House («La brasserie de la couronne»), The Rummer and Grapes («Le grand verre et les raisins») et, ô surprise… The Apple Tree Tavern, cette taverne du pommier où trois mois plus tard John Toland a fixé rendez-vous à ses amis druides.
La loge de la Taverne du Pommier est effectivement l’une des quatre loges fondatrices de la Grande Loge de Londres, la nouvelle loge mère de la Franc-Maçonnerie réformée qui se dotera en 1723 de constitutions (dites d’Anderson) d’inspiration éminemment chrétienne…
Le lieu de rendez-vous fixé par John Toland est d’autant plus troublant que la loge maçonnique qui y siège va bientôt déménager, changer de nom puis déchoir. La loge du pommier devient en effet The Queen’s head knaves acre. Robert Gould (1836-1915), vénérable de la loge Quatuor Coronati et historien de la maçonnerie britannique écrit ainsi dans son History of freemasonry : « La loge de Queen’s Head, Knaves Acre, précédemment à l’Apple Tree, dans Saint Charles Street, Covent Garden, avec ses privilèges immémoriaux intacts, dans la suite, en raison de quelque différence, les membres qui se réunissaient là, vinrent sous une nouvelle constitution, bien qu’ils n’en eussent pas besoin, et la loge reçut en 1729 une place et un numéro correspondant avec la date de ce changement ». C’est ainsi que la loge N° 3 est devenue la loge N° 11 dans son inscription à la Grande Loge de Londres… Et si les frères du Pommier avaient préféré le païen Toland au chrétien Désaguliers ? La question mérite d’être d’autant plus posée que John Toland est loin d’être dénué de charisme et d’originalité.
Natif de Clonmany, près de Derry, le catholique irlandais John Toland (1670-1722) se convertit au protestantisme à l’âge de 16 ans, ce qui lui ouvre la porte de l’université presbytérienne de Glasgow. Après ses études en écosse puis à Leyde. De Presbytérien, il devient Anglican ce qui lui permet de continuer ses études théologiques à Oxford où il est l’élève de John Aubrey (mort en 1697). Puis ses lettres acquises, John Toland se déclare pythagoricien et panthéiste. « Le Soleil est mon père, la Terre est ma mère, le Monde est ma patrie et tous les Hommes sont mes parents » écrit-il. L’Irlandais se démarque de l’idéologie dominante. Il récuse les dogmes du christianisme et notamment la création du monde selon la Bible. Avec courage, il affirme sa croyance en une nature divine et infinie. Tel Scot Erigène (810-880) et Pierre Abélard (1079-1142), autres Celtes coupables d’hérésie au moyen âge, il prône une identification totale de dieu à l’univers et ouvre la voie à un panthéisme iconoclaste. « Il n’est pas nécessaire d’en dire davantage sur la façon dont les panthéistes s’ornent l’esprit. Les panthéistes peuvent être justement regardés comme prophètes et d’une nature mystique. Car de même qu’autrefois «les druides qui avaient l’esprit plus élevé, étaient liés par des sociétés (suivant en cela les règles de Pythagore), se sont élevés par l’étude des choses les plus cachées et les plus obscures», (Ammien Marcellin, XC, 9) de même les associés socratiques s’appliquent à toutes recherches où se sont illustrés les druides et les disciples de Pythagore. Les uns et les autres ont établi des sociétés. Les nôtres n’admettent pas cependant tout ce qu’ont dit et fait les premiers, car lorsqu’ils s’éloignent de la vérité, nous nous éloignons aussi d’eux, mais nous louons beaucoup ce qui nous en parait digne, rendant grâce à ceux par les moyens desquels nous profiterons en quelque chose, de quelque manière que ce soit » (John Toland, Panthéisticon).
C’est un « whig » farouchement épris de liberté qui prône la révolte contre le clergé catholique coupable de « mensonge et d’ignorance » et, parallèlement, le retour au sacré. John Toland peut être considéré comme un précurseur de l’histoire des religions. Selon ses théories, le christianisme irlandais des origines est sans rapport avec l’église catholique romaine, il serait même l’héritier de la tradition druidique. Une option difficilement admissible par les théologiens romains d’alors.
John Toland se place dans le camp des polémistes mais aussi dans celui des historiens et des philosophes. Ses études lui ont ouvert les portes des bibliothèques universitaires où il puise dans les sources classiques pour étayer ses dires. Mais le libre-penseur n’a pas pour autant renié son Irlande natale. C’est à la « connaissance des anciens Irlandais » qu’il se réfère dans ses travaux. Il se réfère ainsi à des « manuscrits concernant les druides qui ont été préservés »… Son anticléricalisme serait vain s’il n’étayait pas un retour aux sources du sacré. « Je voudrais qu’on fît attention qu’en détruisant la Superstition je ne prétends pas toucher à la Religion : car il est du devoir du sage de soutenir les établissements de nos Ancêtres et d’en conserver les cérémonies et les devoirs de religion. Car la beauté de l’Univers et l’ordre merveilleux des cieux nous forcent d’avouer qu’il y a une Nature parfaite et éternelle, que les hommes doivent admirer et honorer. C’est pourquoi, comme il faut travailler à la propagation de la Religion jointe à la connaissance de la Nature, il faut aussi détruire et couper s’il se peut toutes les racines de la Superstition ».
Ci-dessus : la première page de la liste des loges en exercice en janvier 1723, telle qu’elle fut gravée par Pine sous la grande maîtrise du comte de Dalkeith et mentionnant les jours de tenue. Avant la réforme maçonnique, de nombreuses loges opératives existaient à Londres comme dans l’ensemble des îles britanniques. La première loge fut créée à l’occasion du chantier de la cathédrale Saint-Paul, rebâtie après le célèbre incendie de Londres.
Il est le premier à distinguer les bardes des druides (Critical history of the celtic religion and learning), thèse que confirmeront les celtisants au vingtième siècle. Les historiens contemporains lui doivent aussi d’avoir distingué les Celtes des Germains, confusion alors généralisée chez les lecteurs d’Hérodote et de Diodore de Sicile. John Toland défend rien moins que l’homogénéisation de l’espace ! Tous les points de l’espace seraient incommensurables et la terre ne serait pas au milieu de l’univers. Selon ses dires, le monde n’aurait donc pas de centre.
Et en conséquence de quoi, l’antiquité celtique vaut bien l’antiquité classique, les Celtes valent bien les Grecs, l’Irlande vaut bien l’Italie. Il plaide pour la constitution et la préservation d’un savoir propre à chaque civilisation. Il légitime les antiquités celtiques en tant qu’antiquités dont la valeur est indépendante des critères du moment. John Toland participe aux balbutiements de la science historique. Il étudie, il écrit, il critique et il indigne les prêtres de son temps. On le voit plus fréquenter les savants de son époque que les églises.
A Oxford, il a été l’élève de John Aubrey tant à l’université qu’en loge et dans les bois. Outre qu’il se revendique aussi… maçon et druide, l’écossais John Aubrey est l’un des « inventeurs » de Stonehenge (Templa druidum publié en 1649). Franc-maçon et chef du bosquet druidique Mount Haemus d’Oxford, John Aubrey revendique une filiation remontant à un Gallois, le moine fransiscain Haymo de Faversham qui a, lui aussi, tenté de réactiver le druidisme en Grande-Bretagne au… treizième siècle. À sa mort en 1245, Philip Brydodd a fondé le bosquet de Mount Haemus dirigé par John Aubrey cinq siècles plus tard.
Après son « passage » à Oxford et la mort de son maître en 1697, John Toland rejoint son île natale avec déjà une méchante réputation due à la publication en 1696 de Christiniaty not mysterious. Il est à Dublin, protégé par un autre maître maçon sir Thomas Molyneux, lequel ne pourra néanmoins pas s’opposer à un édit du parlement irlandais condamnant Christiniaty not mysterious à être brûlé lors d’un autodafé à Dublin. Et c’est en cachette que l’auteur doit quitter l’Irlande courant 1697. Il rejoint Londres où il fréquente le milieu panthéiste jusqu’en 1707. Puis il s’embarque pour le continent où il voyage. Berlin, Hanovre, Dusseldorf, Vienne, Prague et La Haye où il est à l’origine d’une loge maçonnique hétérodoxe qu’il évoquera dans son ouvrage Panthéisticon. Ce n’est pas le seul ouvrage que John Toland a écrit. Sa bibliographie comprend plusieurs titres notamment Christiniaty not mysterious, An Account of an Irish Manuscript of the Four Gospels with a Summary of the ancient Irish Chritianity before the Papal Corruptions and Usurpations, A specimen of the critical history of the celtic religion and learning et d’une History of the druids, œuvre posthume publiée en 1726. Toutes œuvres inédites en français.
Ce 22 septembre 1717, à la taverne du Pommier. John Toland est en bonne compagnie. À ses côtés, se trouvent Lord Winchilsea, un noble nantais Pierre des Mazeaux, qui deviendra membre de la Société royale de Londres, un autre Français M. de Beauchênes, le pasteur et docteur William Stukeley… Or tous ces druides réunis par John Toland ont pour point commun d’être aussi maçons, tel Pierre des Mazeaux qui siège à la Société royale de Londres en compagnie de Jean-Théophile Désaguliers, le vénérable de la Grande Loge de Londres, et William Stukeley membre de la loge de la Taverne de la Salutation. En 1717, parallèlement à la franc-maçonnerie qui donne des gages d’allégeance à l’église d’Angleterre, John Toland met en place une société philosophique païenne. Il renoue les fils de l’histoire… Le poète William Blake, membre de l’Ancient Druid Order peut alors chanter :
ô ! entends la voix du barde
Qui voit le présent, le passé et l’avenir
dont l’oreille a perçu le Verbe sacré
et qui a marché parmi les arbres séculaires.
William Blake, Songs of expérience.
Bibliographie sommaire
John Toland et l’Irlande, Pierre Lurbe, études irlandaises, université de Caen, juin 1991.
Les Constitutions d’Anderson, vérité ou imposture, la Pierre philosophale, éditions du Rocher, Paris, 1995.
Histoire du schisme maçonnique anglais de 1717, Jean Barles, éditions Guy Trédaniel 1990.
Les druides, les sociétés initiatiques modernes, Michel Raoult, éditions du Rocher, 1990.
Ialon, revue d’études druidisantes, qui est probablement la plus intéressante de toutes celles qui existent en langue française (elle comporte également des pages en breton) Bothuan, 29450 Commana.
L’archidruide gallois Dyfed (R. Evans Rees). Il porte au cou le morain, reproduit d’après un modèle exposé au musée de Dublin.
Quelques ouvrages de John Toland disponibles en ligne :
A Collection of Several Pieces of John Toland, 1776.
Adeisidaemon, sive Titus Livius a superstitione vindicatus. …: Annexae sunt ejusdem Origines … 1709.
The Jacobitism, Perjury, and Popery of High-church Priests, 1710.
Reasons for naturalizing the Jews in Great Britain and Ireland, 1714.
Vindicius Liberius: or, M. Toland’s defence of himself, against the late lower house of parliament, 1702.
Le Nazaréen: ou, Le christianisme des Juifs, des Gentils et des Mahométans. Tr. de l’anglois
Letters to Serena, 1704.
The Life of John Milton: Containing, Besides the History of His Works … 1761.
The Miscellaneous Works of Mr. John Toland, Now First Published, premier volume, (1747)
The Miscellaneous Works of Mr. John Toland, Now First Published, second volume, (1747)
A new edition of Toland’s History of the druids, 1814
Tetradymus, 1720
Hypatia, 1753
Amyntor, 1699.
A critical history of the Celtic religion and learning, 1815.
A critical history of the Celtic religion and learning, 1815
Lettres philosophiques sur l’origine des préjugés, 1768.
Le panthéisme druidique de John Toland
Sous le nom de panthéistes, John Toland n’évoque pas les franc-maçons mais les druides dont les assemblées à huis clos ne constituent ni une religion ni une secte.
« Mais on fera peut-être un reproche aux Panthéistes de ce qu’ils ont deux doctrines différentes, l’une exotérique ou populaire, accommodée aux préjugés et aux maximes reçues comme des lois saintes ; l’autre ésotérique ou philosophique, entièrement conforme à la nature des choses et à la seule Vérité ; ou de ce qu’ils ne traitent cette Philosophie nue, intègre et dépouillée de tout artifice et de toute obscurité, qu’à huis clos et avec des amis d’une prudence et d’une probité reconnue. Mais, au contraire, (à moins d’ignorer entièrement le caractère et les actions des hommes), qui doutera qu’ils en usent très sagement. La raison en est évidente. Car aucune religion, ni aucune secte, ne peut souffrir qu’on la contredise, ou qu’on traite d’erreur ou de fausseté les lois les plus saintes et les cérémonies de bagatelles et de choses frivoles ; tout leur est descendu du Ciel par la personne de Dieu, quoiqu’on y reconnaisse aisément la main des hommes. Toutes leurs imaginations sont divines (si on les veut croire) et absolument nécessaires pour la conduite de la vie ; quoiqu’il soit facile de voir que c’est ouvrage des hommes, et que ce sont des fictions vaines, puériles et souvent monstrueuses, quelquefois même pernicieuses à la tranquillité de la vie publique et ordinaire, comme l’expérience journalière nous le fait voir. Parmi tant, et de si différentes opinions, il ne peut y en avoir certainement qu’une de vraie. Si l’on regarde comme impossible qu’il n’y en ait aucune, ce que Cicéron a déjà observé en raisonnant Sur la Nature des Dieux (1,6). C’est pourquoi les Panthéistes, par modération, n’agissent avec les gens prévenus et obstinés que comme font les nourrices avec leurs petits enfants, qui trouvent doux et agréable de s’imaginer qu’ils sont rois ou reines, que leurs parents n’aiment qu’eux uniquement et que les autres les trouvent parfaitement jolis. Ceux qui ne flattent point les enfants et qui ne les entretiennent point de ces bagatelles leur sont désagréables et odieux, et ceux qui n’adoptent pas sur le champ le sentiment des ignorants, quoique dans un âge raisonnable, leur deviennent insupportables au point qu’ils ne les jugent dignes d’aucune société, qu’ils ne leur rendent aucun des services qu’exige l’humanité, et qu’ils les voudraient priver des secours les plus nécessaires pendant leur vie, et qu’ils les jugent dignes des peines éternelles après leur mort. Cependant, la Superstition ayant toujours la même force n’est pas toujours si rigoureuse, aussi un homme sage ne fera jamais de vains efforts pour la déraciner entièrement de l’esprit humain, ce qui est absolument impossible ; cependant, il fera tout ce qu’il pourra pour réussir à la seule chose qui lui reste à faire, qui est d’arracher les dents et couper les ongles à ce monstre, le plus pernicieux de tous, pour le mettre hors d’état de nuire aux uns et aux autres, suivant sa fantaisie ».
Le grand druide de Bretagne Kaledvoulc’h (Yves Berthou). Désireux de renouer avec l’ancienne tradition nationale, le néo-druidisme reprit son essor en Bretagne insulaire à la fin du XVIIIe siècle. Les Bretons continentaux mirent du temps à reprendre le flambeau et le Gorsedd des druides fut seulement créé en 1900. Au nom d’une tradition dont il s’estimait dépositaire, le Gorsedd entendait orienter le nationalisme naissant pour engager résolument la Bretagne dans un grand courant panceltique européen.
César et les druides
Dans toute la Gaule deux classes d’hommes comptent et sont honorées, car le peuple est à peine mis au rang des esclaves (…) De ces deux classes, l’une est celle des druides, l’autre est celle des chevaliers. Les premiers veillent aux choses divines, s’occupent des sacrifices publics et privés, règlent toutes les choses de la religion. Un grand nombre de jeunes gens viennent s’instruire chez eux et ils bénéficient d’une grande considération. Ce sont eux en effet qui tranchent tous les différends publics et privés, et si un crime a été commis, s’il y a eu meutre, s’il s’élève une contestation relative à un héritage ou à des limites, ce sont eux qui décident, évaluent les dommages et les peines ; si un particulier ou un peuple n’accepte pas leur décision, ils lui interdisent les sacrifices. Cette peine est chez eux la plus grave. Ceux à qui l’interdiction est faite sont considérés comme impies et criminels : on s’en éloigne, on fuit leur contact et leur fréquentation, de crainte d’être atteint d’un mal très grave en les fréquentant. Leurs demandes en justice ne sont pas admises et il ne leur est accordé aucun honneur. A tous ces druides commande un chef unique, lequel exerce parmi eux l’autorité suprême. A sa mort, si l’un d’eux l’emporte en dignité, il lui succède ; si plusieurs sont égaux, ils se disputent le principat par le suffrage des druides et quelquefois par les armes. A une certaine époque de l’année, ils se réunissent en un lieu « sacré » du pays des Carnutes que l’on tient pour le centre de la Gaule. Là viennent de toutes parts tous ceux qui ont des contestations et ils se soumettent à leurs avis et à leurs jugements. Leur doctrine a été élaborée en Bretagne, et de là, pense-t-on, apportée en Gaule, et aujourd’hui encore la plupart de ceux qui veulent mieux connaître cette doctrine partent là-bas pour l’apprendre. Les druides ont coutume de ne pas aller à la guerre et de ne pas payer d’impôts comme en paient le reste des Gaulois. Ils sont dispensés de service militaire et libres de toute espèce d’obligation. Poussés par de si grands avantages, beaucoup viennent, de leur propre chef, se confier à leur enseignement et beaucoup sont envoyés par leurs parents et leurs proches. On dit qu’ils apprennent là par cœur un très grand nombre de vers : certains restent donc vingt ans à leur école. Ils sont d’avis que la religion interdit de confier cela à l’écriture, comme on peut le faire pour tout le reste, comptes publics et privés dans lesquels ils se servent de l’alphabet grec. Il me semble qu’ils ont établi cet usage pour deux raisons, parce qu’ils ne veulent ni répandre leur doctrine dans le peuple, ni que ceux qui apprennent, se fiant à l’écriture, négligent leur mémoire, puisqu’il arrive le plus souvent que l’aide des textes a pour résultat moins d’application à apprendre par cœur et moins de mémoire. Ce dont ils cherchent surtout à persuader, c’est que les âmes ne périssent pas, mais passent après la mort d’un corps dans un autre : cela leur semble particulièrement propre à exciter le courage en supprimant la peur de la mort. Ils discutent aussi beaucoup des astres et de leurs mouvements, de la grandeur du monde et de la terre, de la nature des choses, de la puissance et du pouvoir des dieux immortels…
De Bello Gallico, César, Livre VI, 13.
Étonnant, je suis en train de lire « Les Étoiles de Compostelle » d’Henri Vincenot qui m’amène aussi à creuser la piste druidique