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DISCOURS SUR LA MORALE MAÇONNIQUE – DELAUNAY

Discours sur la morale maçonniqueAdressé à des profanes avant leur admission aux épreuves
Extrait du « Tuileur » de Delaunay – 1836

Les gens de notre ordre toujours
Gagnent à se faire connaître ;
Et je prétends par mes discours
Inspirer le désir d’en être.
Qu’est-ce qu’un Franc-maçon ? En voici le portrait.
C’est un bon citoyen, un sujet plein de zèle,
A son prince, à l’État fidèle,
Et de plus un ami parfait. 

Procope, médecin, Apologie des Fr.°. M.°.

Messieurs,
Demandez et vous recevrez, cherchez et vous trouverez, frappez et l’on vous ouvrira, disait Jésus-Christ à ses disciples. Ces paroles symboliques du sage de la Judée sont plus une loi qu’une maxime pour les Francs-Maçons, qui s’honorent de professer les principes de l’évangile. Une loi est obligatoires ; une maxime peut être contestée, mais en disant : Demandez et vous recevrez, Jésus-Christ n’a pas prétendu qu’on donnât a qui n’était pas digne de recevoir, cherchez et vous trouverez, qu’on allât au-devant de l’homme qui cherche des dupes ; frappez et l’on vous ouvrira, qu’on accordât l’hospitalité sans précaution et au hasard. La leçon morale de l’Homme-Dieu nous apprend qu’il faut faire le bien, mais le faire à propos ; qu’il faut bien faire convenablement. En chrétien je donne à celui qui est dans le malheur ou la misère ; j’attends pour juger avec ma raison d’abord, et mon cœur ensuite, ce qu’on espère de moi ; j’accorde l’hospitalité au voyageur égaré ou en retard, et dans cette triple disposition, je cède à l’inspiration évangélique.
Nous avons entendu, Messieurs, votre demande ; nous nous sommes prêtés à votre recherche, nous vous avons ouvert du moment que vous avez frappé. Mais vous n’irez pas plus loin si vous ne répondez loyalement à nos questions. Demandez-vous le chemin de la vertu, cherchez-vous son temple, frappez-vous pour y parvenir ? Car ici nous ne nous occupons que de morale, et nous repoussons le vice ou la stérile curiosité. Amis, soyez francs ; ennemis ou censeurs, soyez francs encore. Le mépris s’attache à la fausse amitié. L’estime peut exister entre des ennemis loyaux… Puisque vous persistez dans votre courageuse entreprise, et que vous nous répondez en hommes d’honneur, nous allons cesser une réserve prudente : écoutez et jugez.
On parle beaucoup de l’institution maçonnique dans le monde profane, où, inconnue, elle est traitée avec une grande légèreté, sinon une grande injustice. C’est une institution insignifiante, ou une société de plaisir, ou un club politique dangereux, on enfin une association de perversité religieuse et morale ; voilà ce qu’on dit et ce que vous avez peut-être dit vous-mêmes :
Des profanes humains la foule impitoyable.
Parle et juge en aveugle, et condamne au hasard.
Cette institution insignifiante dérive de ce que les peuples de l’antiquité avaient de plus recommandables, l’initiation aux mystères. Elle est entre le passé et le présent la chaîne qui les rend inséparable.
Cette société de plaisir ne prescrit ni les bals, ni les jeux, et défend toute espèce de débauche.

Ces clubs politiques dangereux sont toujours en grade contre les discussions ou les excursions politiques. L’ultracisme des opinions quelles qu’elles soient est sévèrement repoussé de nos Ateliers; les plus simples et les plus pacifiques entretiens sur les affaires publiques sont sur les champs écartés, soit par la jurisprudence maçonnique, soit par le bon esprit des Frères.
Cette association de perversité religieuse et morale prêche la tolérance pour tous les cultes, la fidélité à tous les engagements sociaux, le respect pour les mœurs, l’amour de l’humanité.

Devant cette explication en tout point exacte, tombent les odieuses calomnies, les inculpations hasardées, les doutes injurieux.
La sagesse est une dans tous les temps, et encore aujourd’hui est sage qui veut l’être. Les anciens initiés, hommes de science, de talent, de mérite, marchaient, avec fermeté dans le sentier de la vertu. Les Francs-Maçons seuls, parmi les membres des associations secrètes modernes, parce qu’ils sont sans intérêts mondains, suivent le sentier qui, pour avoir été longtemps frayé, n’en est pas plus facile à parcourir. Le terrain des passions est fécond en aspérités, en reproduction d’entraves. A peine l’aspirant à la sagesse a-t-il fait un pas, que les difficultés qu’il a vaincues renaissent pour l’aspirant qui le suit et qui retrouve les mêmes ronces, les mêmes épines, les mêmes obstacles, plus nombreux souvent, plus difficiles à surmonter, peut-être. Voilà pourquoi la route, toujours belle en perspective, est si pénible alors qu’on veut la franchir. Mais a-t-on atteint le terme, on jouit des avantages de la réalité, et ils dédommagent des sacrifices qu’on a faits.
Vous savez sans doute, par vos lectures, que les prétendants à l’initiation aux anciens mystères n’avaient pas tous le bonheur d’être initiée. Je vous le rappellerai utilement ici ; je l’apprendrai à ceux qui pourraient l’ignorer. Pour être admis aux anciens mystères, il fallait un mérite supérieur ; il fallait surtout montrer la plus rare constance, une force supérieure de corps et d’esprit. Tel aspirant avait vaincu les obstacles physiques, qui succombaient aux secousses de l’âme. Tel autre, constamment vainqueur, entrevoyait la lumière ; hésitait-il, il retombait dans une profonde obscurité. Touchant au sanctuaire, un troisième en était éloigné pour une faute même légère : c’est qu’il fallait se dépouiller entièrement de tout ce qui tenait à la faible et fragile humanité. On n’admettait point à l’initiation uniquement sur un grand courage, uniquement sur une volonté prononcée ; il fallait vouloir et pouvoir. Combien d’hommes avaient la volonté et n’avaient pas la force ! Combien d’autres avaient la force et manquaient de cœur !
Admis dans l’enceinte sacrée, l’aspirant recevait l’initiation, c’est-à-dire la connaissance de toutes les choses accessibles à l’esprit de l’homme.
La Franche-Maçonnerie ne demande pas de si hautes qualités à ses néophytes. Elle a suivi la marche du temps et le progrès des lumières ; elle ne cherche pas des hommes sans défauts ; elle veut des hommes avec toutes les forces qui leur sont propre ; mais elle veut que ces forces soient dirigées par la sagesse.

Ne peuvent être reçus Francs-Maçons que ceux qui ont une âme noble, un esprit exempt de préjugés, un cœur généreux. Aimez-vous les uns les autres, disait après Jésus-Christ son disciple bien aimé, et après eux c’est ce que nous répétons sans cesse à nos frères et aux profanes. Dans cette amitié fraternelle sont la philanthropie et la philosophie, pratique et enseignement aussi sacrés pour ceux qui écoutent que pour ceux qui professent. Là, je puis, terminer cette instruction préparatoire ; j’ai encore trop de choses utiles à vous annoncer.
Ainsi que la mort qui égalise tous les rangs, la Franche-Maçonnerie, en nous enlevant morale mène au monde profane, nous fait oublier toutes les vanités, toutes les distinctions humaines. Le niveau maçonnique, ce niveau de la nature auquel on veut inutilement se soustraire, nous maintient incessamment à la même hauteur.
Le prince et le simple citoyen devenus Francs-maçons siègent à côté l’un de l’autre, unis par la douce fraternité. Ils sont hommes, ils sont frères, ils sont mortels : que les hommes sont petits devant ces grandes idées ! Dans nos rangs uniformes, ils apprennent à l’avance qu’aux yeux du Maître de l’univers ils sont égaux. Ils sont le néant même quand leur vie n’a pas été marquée par la possession et la pratique des vertus. Vous devez vous pénétrer de ces principes et les suivre fidèlement si nous avions le mutuel bonheur d’être associés dans le plus grand œuvre de l’esprit humain, l’amélioration morale de l’homme ; alors plus que nous, vous ne vous abaisserez devant l’homme en place s’il n’est vertueux, ni ne vous enorgueillirez devant l’homme obscur, parce que votre position sociale vous aura mis au-dessus de lui. La dignité personnelle est la seule que nous reconnaissions.

Nous offrons, autant qu’il dépend de nous, à l’homme qui descend dans son cœur, des amis désintéressés, des confidents loyaux de ses pensées. Il trouve dans nos réunions la pratique de la vertu sans ostentations ; l’humanité qui fait soulager l’infortune, et consoler celui qui souffre.
Ces choses sublimes chez nous peuvent paraître de peu d’importance aux hommes vulgaires. Que nous importe ! Il y a d’autres hommes qui savent nous entendre, et c’est pour ces hommes bons, réfléchis, raisonnables, que nos temples sont établis ; ils y trouvent à occuper utilement leur esprit et à satisfaire le doux besoin de leur cœur. Ils n’ignorent pas que les plus grands hommes de l’antiquité appartenaient à l’initiation comme les hommes les plus distingués des temps modernes appartiennent à la Franche-Maçonnerie. Parmi ces derniers, Franklin, Lalande, Voltaire, le génie de son siècle, ont été Francs-Maçons.

Tous ces hommes s’étaient fait une idée juste de la véritable gloire, et c’est par un examen rapide de ce beau sujet que je terminerai un discours qui sera pour vous, Messieurs, une première épreuve, puisque j’aurai trop longuement exercé votre patience.
Nous n’entendons point, nous Francs-Maçons, la gloire par le sang que l’on répand sur le champ de bataille. Cette gloire est noble quand on défend le sol sacré de la patrie. Cette gloire est funeste quand l’amour et le délire des conquêtes ou les froides combinaisons de la politique nous forcent d’être leurs aveugles et dociles instruments. Nous n’entendons point la gloire par les succès du prosélytisme, par les triomphes de la tyrannie, par l’usurpation même légale du fort sur le faible, nous ne l’entendons pas encore par la supériorité qu’on peut légitimement obtenir dans les sciences, dans les lettres, dans les arts, enfin dans les découvertes industrielles, quelles qu’elles soient.

La gloire pure, la gloire sans larmes, c’est celle que nous allons offrir à votre esprit :
Quand, bons fils, vous rendez aux auteurs de vos jours l’amour et le dévouement qu’ils vous ont portés, alors que par votre faiblesse ils étaient vos seuls amis ;
Quand, estimable citoyens, vous exercez honorablement votre état, et remplissez tous vos engagements envers la société ;
Quand, vertueux époux, vous n’oubliez jamais que votre femme est la compagne que le ciel et les lois vous ont donnée ;
Quand, pères tendres et prévoyants, vous veillez avec une continuelle sollicitude à l’éducation et au bien-être de vos enfants.
Voilà, Messieurs, la gloire chère à tous les cœurs bien nés.
La gloire du Franc-maçon est dans l’accomplissement de tous ces devoirs, et dans d’autres encore que notre ordre auguste impose à ses adeptes, et que je puis vous signaler d’avance.
Reçu Franc-maçon, car j’en ai conçu pour vous la plus flatteuse espérance, assistez le plus régulièrement que vous le pourrez à nos conférences fraternelles. Ecoutez en silence les instructions et les maximes de l’ordre ; observez avec soin les allégories, les usages dont nous nous faisons une constante étude ; méditez de toutes les facultés de voire esprit les documents historique, que nous a légués le passé, et que nous voulons avec notre propre histoire, transmettre aux siècles à avenir. La succession est héréditaire. Pour être échue à une branche collatérale, elle ne sort pas pour cela de la famille.

Ainsi, héritiers directs ou collatéraux des sages de l’antiquité, nous sommes possesseurs légitimes. Possesseurs légitimes, soyons dignes. Vous, Messieurs, appelés à cette grande succession, comme nous soyez bons, car la bonté attire la confiance que suit presque toujours l’amitié ; soyez patients, car la patience dompte la violence des passions, et fait estimer celui qui sait se vaincre soi-même ; soyez dociles aux conseils de vos chefs, car ils ont pour eux l’expérience qui leur fait prévoir l’avenir par la connaissance qu’ils ont du passé ; soyez laborieux et zélé, car le travail remplit tous les vides de l’esprit, et éloigné les orages du cœur ; soyez surtout indulgents et charitable, car l’indulgence est la preuve d’un esprit éclairé et d’une âme forte ; car la charité sauve du désespoir l’infortuné qui la sollicite. C’est, d’ailleurs, semer pour recueillir, puisque, dans le malheur, vous trouvez aussi des secours : et si la prospérité ne vous abandonne jamais, votre conscience vous récompense de tout le bien que vous avez fait. Aux dons réels vous ajoutez la puissance de l’exemple : l’homme bienfaisant est deux fois utile à ses semblables.
Vous connaissez maintenant Messieurs, la véritable gloire, qui n’est autre que la morale de l’ordre franc-maçonnique. Cette gloire, la plus utile aux hommes, est celle dont la divinité nous tient le plus de compte.
Je ne sais si, après ces développements indispensables de nos principes, ces confidences d’une amitié prématurée, vous persisterez à demander l’initiation maçonnique. Dans le cas contraire, passez plus loin éloignez-vous ; le temple de la sagesse vous sera fermé, et ses dons rigoureusement refusés.

Mais si nous ne nous sommes pas trompés sur vos intentions, nous remplirons à votre égard le précepte de l’Evangile, et à votre tour, avec nous ou comme nous, vous ouvrirez, vous donnerez à qui aura, comme vous, frappé et demandé…

Puisque vous persistez, je vous abandonne aux épreuves. Messieurs, du courage : on craint, on hésite, on tremble…on n’en meurt pas !


A.S.: