Une belle réflexion de Yves Hivert-Messeca sur la place de Dieu en loge :
Dieu, tel que l’ont longtemps vu et nommé nos frères et nos sœurs, a pris, depuis les débuts des loges, des identités variables selon les époques et la pensée dominante. Or, malgré les siècles, ces choix successifs se retrouvent encore, peu ou pro, dans la franc-maçonnerie actuelle, soit 4 à 6 millions d’initiés. À l’analyse, on peut les réduire à six si on leur applique la méthode des idéaux-types de Max Weber. L’une s’inscrit explicitement dans la tradition des Anciens, deux sont des conceptions mixtes, trois s’inspirent, plus ou moins, de celle des Modernes.
Dieu en loge ? Dieu en loge ! Si l’on veut examiner sereinement cette question, il semble qu’il y ait trois méprises à ne pas commettre. Les deux premières seront évoquées pour mémoire. Dans ce débat, il ne faut pas, d’une part analyser les choix d’autrefois avec les yeux d’aujourd’hui, d’autre part justifier les choix d’aujourd’hui avec des interprétations de jadis.
La dernière et la plus importante erreur est la « théologisation » et la « politisation » du débat. L’hypothèse que nous poserons est qu’il n’y a pas de conception maçonnique de Dieu, mais plutôt qu’il y a beaucoup de « portraits » de Dieu, peut-être autant que de maçons.
Même si la question de Dieu donne parfois lieu à de vifs débats en loge, du moins dans la maçonnerie libérale, en fait, il n’existe pas une théologie maçonnique stricto sensu, même pas, au risque d’étonner certains, celle liée au fameux Grand Architecte De L’Univers. Dans cette occurrence omniprésente dans le corpus des maçons, ce n’est pas le Dieu des maçons qui est défini, c’est au mieux une expression minimale de l’Absolu à laquelle tout maçon est tenu d’adhérer.
Jusqu’au XVIIème siècle, le Dieu des maçons est explicitement celui de la Bible : quand on parle de Grand Architecte, on se concentre sur une des fonctions du Dieu de la Bible, celle de l’architecture
En effet, la maçonnerie post-andersonienne est ouverte au libre examen de ce concept. Pourtant, il n’en fut rien dans la maçonnerie pré-andersonienne. Jusqu’au XVIIème siècle, le Dieu des maçons est explicitement le Dieu de la Bible : quand on parle de Grand Architecte, on ne définit pas un Dieu d’une autre nature, mais on isole, on focalise, on se concentre de manière prioritaire, sur un attribut particulier, une fonction propre, un caractère spécifique du Dieu de la Bible, à savoir celui de l’architecture.
Au demeurant, ce concept survient d’abord hors de la franc-maçonnerie, sans doute au XVIème siècle. Sous réserve d’un inventaire plus précis, l’expression apparaît dans L’Épître aux lecteurs de l’édition de 1567 de l’Architecture de Philibert Delorme, dans laquelle l’auteur évoque « ce Grand Architecte de l’Univers, Dieu tout puissant » qui a placé les sept planètes dans le ciel pour gouverner la terre. Plus loin, il ajoute :
« Dieu est le seul, le grand et l’admirable Architecte, qui a ordonné et créé de sa seule parole toute la machine du monde tant céleste que terrestre, avec un si grand ordre, une si grande mesure, et si admirables proportions, que l’esprit humain sans son aide et inspiration ne peut la comprendre… »
LIRE LA SUITE DE L’ARTICLE SUR LE SITE CAIRN.INFO
SOURCE :
- Yves Hivert-Messeca – Dans La chaîne d’union 2007/1 (N° 39), pages 48 à 59