X

DEUS MEUMQUE JUS par Patrick Carre

Patrick Carré poète, philosophe, et Franc-Maçon vient sur GADLU.INFO nous offrir une chronique pour nous parler et donner du « sens », pour recentrer la réflexion sur les Maçons eux-mêmes. Sa signature est « Etre bien en soi-même, sans se déconnecter du chaos ambiant« .

Il nous offre ce travail sur ce travail « DEUS MEUMQUE JUS« , devise des Suprêmes Conseils établis dans le monde !

Il fait référence dans cette chronique à son livre « FRANCS-MACONS ALCHIMISTES » qui vient juste de sortir, à l’adresse http://liberfaber.com/fr/patrick-carre/

« DEUS MEUMQUE JUS »

La devise « DEUS MEUMQUE JUS » figure parmi les « critères de régularité » du Rite Ecossais Ancien et Accepté (R.E.A.A.), comme il est écrit dans les Règlements Généraux du Suprême Conseil de France et dans la résolution adoptée par les Suprêmes Conseils réunis à Paris en 1996. Après -L’invocation et la glorification du Grand Architecte de l’Univers, -La présence du Volume de la Loi Sacrée ouvert sur l’autel des serments, -La référence aux textes fondateurs de 1762 et 1768, -L’usage des devises « Ordo ab Chao » et « Deus Meumque Jus » est le quatrième critère, le cinquième et dernier étant -Le respect de la démarche initiatique. Les Règlements Généraux spécifient aussi dans l’article 2 que la devise « ORDO AB CHAO » est celle du Rite, et « DEUS MEUMQUE JUS » celle de tous les Suprêmes Conseils établis dans le monde.

« DEUS MEUMQUE JUS » est la traduction latine de « Dieu et mon droit », devise de la monarchie britannique depuis Henri V (roi d’Angleterre de 1413 à 1422), en ce temps où le français était la langue de l’élite anglaise, ironie de l’histoire maçonnique d’une devise latine substituée au français comme pour la préserver des conflits d’influence géopolitiques franco-anglais, et surtout pour en préserver le sens lié à la double nature de l’homme, comme l’indique sur son site internet le S.C.D.F. : « divine, relevant de l’Être universel dont il procède, et humaine, soumettant ses actes à la seule détermination de sa conscience d’homme libre. » Deux natures non plus superposées mais conjointes, séparées « juste » par un trait vertical comme entre le blanc « et » le noir, c’est-à-dire « à la fois » blanc « et » noir, deux couleurs présentes au R.E.A.A. dès le premier Degré. Pour reprendre les mots des grammairiens, cette double nature est « marquée » par la conjonction de « copulation » « et », qui « se substitue » à la conjonction disjonctive « ou » des conflits binaires.

Dans ses termes essentiels « Dieu et mon droit », Dieu « et » mon Droit se font face. Mon « Droit » s’écrit avec une majuscule, comme émanant du « NEC PLUS ULTRA » au-delà duquel, par définition, il n’y a rien, rien de mieux, car il y a déjà tout. Autrement dit, mon Droit s’inspire des sources du droit, celui des dieux, car aux époques les plus anciennes, quelle que soit la civilisation considérée, le droit, ou plutôt les normes qui s’imposent aux hommes dans tous les aspects de leur vie, sortent de la bouche des dieux. « En ce temps-là » les hommes interrogent « régulièrement » leurs dieux pour « entendre » leurs paroles éclairantes, sans encore s’en remettre et se soumettre aux commandements d’un Dieu unique consignés par écrit « religieusement » dans un Livre.

Sous les auspices de la raison, les mots « mon droit » « en appellent » d’abord à un « droit subjectif », appartenant à un sujet de droit (personnes physiques et morales), qu’on oppose souvent au « droit objectif » désignant l’ensemble des règles et principes qui régissent la vie des sociétés humaines. Leibniz (1647-1715), déiste pour qui « Dieu agit en parfait géomètre », secrétaire de la « Société alchimique » des Rose-Croix de Nuremberg, dont la pensée éclaira celle des initiateurs des futurs « degrés de Perfection » des Rites maçonniques (voir ma chronique sur le site GADLU.INFO « Newton et Leibniz, aux fondements de la pensée maçonnique. » https://www.gadlu.info/newton-et-leibniz-aux-fondements-de-la-pensee-maconnique-par-patrick-carre.html), caractérise ce « droit » subjectif comme un « attribut » du sujet, et tente de « concilier trois concepts du droit : le droit subjectif, l’équité et la charité, c’est-à-dire la justice commutative, la justice distributive et la justice universelle. Après Leibniz, cette conciliation des trois concepts du droit disparaîtra au profit du droit subjectif autour duquel sera élaborée, au XVIIIème siècle, la notion de droit de l’homme (…)

« Leibniz entend réhabiliter le droit subjectif dans la perspective théologique d’une justice divine universelle. Si ce droit subjectif fut historiquement lié à une ontologie individualiste, Leibniz a moins pour objectif de fonder le droit subjectif sur l’individu comme tel, que de passer de l’individu à la relation (à l’autre), pensée en terme d’équité dans la cité de l’homme et en terme de charité dans la cité de Dieu. (Un seul principe unifie et relie ces trois plans : l’amour, principe moteur de la justice) A ce niveau se révèle pleinement le contenu de la définition de la justice comme « charité du sage ». La bienveillance générale est la charité elle-même. (…) Nous ne pouvons peut-être mieux embrasser l’essence de la justice que si nous la définissons comme la charité qui réside dans le sage (car) la sagesse est la science du meilleur et de la félicité. L’idée de la justice universelle de la Cité de Dieu implique l’empire de la sagesse sur l’ensemble des perfections divines. Cette économie des perfections divines fait de l’amour l’élément dynamique de l’idée de justice. Dans le « Codex juris gentium diplomaticus », la définition par Leibniz de la charité par la bienveillance universelle et de la bienveillance par l’habitude d’aimer est suivie de cette définition de l’amour : « Aimer ou estimer, c’est se plaire dans la félicité d’un autre, ou ce qui revient au même, c’est faire de la félicité d’un autre notre propre félicité. »

« Cette définition insurpassable de l’amour comme retour sur soi dans le mouvement même de dépassement vers l’autre, qui fait que ne peut être objet d’amour qu’un être lui-même capable de félicité, pose également que l’amour de Dieu surpasse tous les autres amours car « rien ne peut être conçu à la fois de plus heureux, de plus beau, et de plus digne de félicité que Dieu. Et parce que la puissance et la sagesse sont en lui suprêmes, sa félicité n’entre pas seulement dans la nôtre (…), mais aussi la produit. » Or cette théologie morale de l’amour est précisément et explicitement posée à la source du droit naturel. Se trouve ainsi d’une certaine manière réalisé le projet conçu, selon Leibniz, par de savants hommes qui désiraient que le droit de la nature et des gens soit enseigné selon la discipline chrétienne. La tradition augustinienne de la Cité de Dieu est ainsi reprise dans le cadre d’une doctrine du droit naturel. Mais cette tradition est profondément modifiée parce que l’idée de justice divine relève désormais entièrement de la religion naturelle et de la raison. » (Yves Charles Zarka, L’autre voie de la subjectivité)

Alors, non seulement « rien » n’échappe à l’œil de Dieu, mais « tout » est vu par l’œil du Juste. « Rien n’est négligé (…), tous les cheveux de notre tête sont comptés. » dit Leibniz, inventeur avec Newton du calcul infinitésimal comptant tout, jusqu’aux plus infimes parties du tout. Et parce qu’à la raison éclairée tout apparaît blanc « et » noir, « plus « et » moins juste », et non « plus « ou » moins juste », aucune bonne action ne doit demeurer sans récompense et aucun délit sans châtiment. Les Maçons dont l’amour a « totalement » ouvert les yeux, ne songent plus à les refermer, même sur les parties du tout les plus injustes, parce que leur sens du Droit partiel procède d’une Justice totale et du Principe d’amour qui la régit.

Ils gardent en eux les marques de cet amour dont ils « saisissent » les trois sens grecs principaux: (Ἔρως, Éros, l’amour naturel), (φιλία, Philia, l’amitié, l’amour bienveillant), (ἀγάπη, Agapè, l’amour désintéressé, divin, universel), (le quatrième sens « στοργή, Storgế, l’affection et l’amour familial » relevant pour une part des trois premiers), et accueillent « dans ces marques », presque « naturellement », les trois concepts du droit « naturel » et de la justice « à l’œuvre » de Leibniz : le droit subjectif, l’équité et la charité. La justice et le droit ne sont alors plus seulement des concepts pour le Maçon à l’Œuvre, mais s’animent en lui pour nourrir et régénérer un être juste et droit. En lui coulent le « sang » du Juste et « l’eau des Sages », redonnant vie à la « Pierre » alchimique du Chevalier Rose+Croix, à l’heure du Parfait Maçon.

« Mon droit » (relève de la « raison éclairée »), « cette portion de raison que nous possédons (et qui) est un « Don de Dieu », et consiste dans la lumière naturelle qui nous est restée au milieu de la corruption ; cette portion est conforme avec le tout, et elle ne diffère de celle qui est en Dieu, que comme une goutte d’eau diffère de l’Océan, ou plutôt comme le fini de l’infini. » (Leibniz, Théodicée) La théologie naturelle de Leibniz est cette connaissance implicite de Dieu qui existe dans tout esprit rationnel. La philosophie naturelle, qui gît dans la connaissance de Dieu, de l’âme, des esprits, provient de la lumière naturelle ; elle ne se répand pas seulement ensuite dans la Théologie révélée, mais elle sert de base inébranlable à l’édifice immense de la jurisprudence, au droit de la nature, droit des gens, droit public, à la politique, en un mot à toutes les lois de la société.

« Mon droit » infuse dans l’action des Chevaliers de l’Esprit reliant ce qui est en haut « dans et par le Principe » à ce qui en bas « en droit ». « Connaître, Aimer, Agir » ne sont pas seulement trois plans de connaissance et de conscience, mais des niveaux de « réalisation » de l’initiation maçonnique par lesquels ces niveaux, tout en étant disjoints se relient dans le ternaire dynamique d’un delta de trois « points de droit » « conjoints », et éclairent le ternaire des niveaux de sa « profession de foi : « je respecte la liberté de conscience, de pensée et d’expression ». L’initiation au R.E.A.A. se concentre dans la dynamique et la tension instaurées entre ces deux modèles de ternaires, l’un où trois points se suivent linéairement, l’autre où ils forment un delta, l’un où les niveaux de connaissances se succèdent dans les trente-trois degrés du R.E.A.A., symbolisant le travail de perfectionnement de l’initié, et l’autre où un delta initial révèle dès l’origine à l’initié la finalité du Rite.

Mais cette représentation spatiale en trois points de l’espace de travail intérieur de l’initié, n’est pas celle du temps durant lequel ce travail se réalise à chacune des étapes de son perfectionnement, et encore moins celle de l’œuvre globale d’épanouissement spirituel qu’il accomplit. Le R.E.A.A. réserve essentiellement aux symboles alchimiques dont il parsème ses degrés cette représentation temporelle (voir mon livre « FRANCS-MAÇONS ALCHIMISTES » http://liberfaber.com/fr/patrick-carre/), rétablissant dans une préséance absolue le temps de Dieu et le temps du Chevalier, ou de l’Artiste, tout en préservant le secret de leur mise en œuvre. Ainsi, les mots « DEUS MEUMQUE JUS » s’inscrivent sous l’aigle bicéphale sur un « phylactère », du grec « φυλαχτήριον », formé de « φυλάσσω, garder, préserver », et de «τηρέω, conserver », indiquant la fonction de cet ornement chargé de préserver le sens occulte de l’expression qu’il souligne. C’est le signe, le sceau de cette Sagesse qui se tient en garde contre les méchants ainsi que l’indique Platon : « Σοφία ῆ περι τοὑς πονηροὑς φυλαχτιχή », comme le Chevalier Kadosch se met en garde lui-même contre l’injustice.

Ce secret se révèle, sans se dévoiler pour autant, dans la double dimension temporelle de la devise « DEUS MEUMQUE JUS » illustrant l’Œuvre alchimique : le temps des « poids de l’Art » illustré par des choix de concepts, ici la Justice et le Droit, nourrissant la raison raisonnante, et le temps du « poids de Nature » relatif aux liens et « rapports » établis entre ces concepts par la raison « éclairée ». Dans le temps de l’Art, les philosophes combinent les concepts d’ « Etre Juste » et « Etre Droit » comme les alchimistes mélangent leurs principes « Mercure » et « Soufre », pour que dans un temps de Nature ne dépendant que de Dieu, ils s’interpénètrent et deviennent ensemble « Mercure philosophique » (ou animé, libéré), matière de la Pierre philosophale, « mon droit » actif de l’« Etre Sage ». « Si les poids de l’Art sont connus de l’Artiste et rigoureusement déterminés par lui, en revanche, le poids de Nature est toujours ignoré, même des plus grands maîtres. C’est là un mystère qui relève de Dieu seul et dont l’intelligence demeure inaccessible à l’homme. » (Fulcanelli, Les Demeures philosophales)

Autrement dit, si le temps des pensées « con-sacrées » à la Justice et au Droit se mesure « régulièrement », le temps « sacré » où s’affirme « en Sagesse » « mon Droit » change d’unité de mesure du temps, car émanant de l’Unité elle-même, Dieu. Dans ce temps où l’imaginaire déploie ses ailes, les temps « initiaux » de Dieu et de « mon Droit » semblent s’« entre-lacer » comme leurs deux « initiales majuscules » « D » inversées, et une barre horizontale s’y « super-poser », formant un « H » avec les deux barres verticales des lettres « D ». « On sait que l’alchimie est fondée sur les métamorphoses physiques opérées par l’« esprit », dénomination donnée au dynamisme universel émané de la divinité, lequel entretient la vie et le mouvement, en provoque l’arrêt ou la mort, évolue la substance et s’affirme comme le seul animateur de tout ce qui est. Or, dans la notation alchimique, le signe de l’« esprit » ne diffère pas de la lettre H des latins et de l’êta des Grecs. L’« esprit », agent universel, constitue, dans la réalisation de l’Œuvre, la principale inconnue dont la détermination assure le plein succès. Mais celle-ci, dépassant les bornes de l’entendement humain, ne peut être acquise que par la révélation divine.

« Dieu, répètent les maîtres, donne la sagesse à qui il lui plaît et la transmet par l’Esprit-Saint, lumière du monde ; c’est pourquoi la science (l’alchimie) est dite un « Don de Dieu », autrefois réservé à ses ministres, d’où le nom d’Art sacerdotal qu’elle portait à l’origine. » (…) Ainsi, le « Donum Dei », connaissance révélée de la science du Grand-Œuvre, clé des matérialisations de l’esprit et de la lumière « Ἥλιος », apparaît incontestablement sous le monogramme du double D (« Donum Dei ») uni au signe de l’« esprit » (H), initiale grecque du soleil, père de la lumière, « Ἥλιος ». (…) Cette manifestation de l’esprit, ou sublimation du corps, doit se faire progressivement et il faut la réitérer autant de fois qu’on le jugera expédient. Chacune de ces réitérations prend le nom d’« aigle » (…) Le mot grec « αἴγλη », d’où les sages ont tiré leur terme d’« aigle », signifie « éclat, vive clarté, lumière, flambeau. » « Faire voler l’aigle », suivant l’expression hermétique, c’est faire briller la lumière en la découvrant de son enveloppe obscure. » (Fulcanelli, Les Demeures philosophales)

Que vole l’aigle bicéphale du R.E.A.A., blanc et noir de tous les contrastes attestant de l’Œuvre en cours de l’initié Franc-Maçon, « enserrant » le glaive de l’esprit universel, unique agent de ses métamorphoses.

Octobre 2015 – Patrick Carré


Patrick Carré, né le 14 janvier 1953, est poète, philosophe, et Franc-Maçon français. Son œuvre littéraire et artistique comprend un nombre considérable de poèmes et de textes philosophiques principalement sur l’Initiation Traditionnelle à la vie spirituelle.

Initié à 23 ans à la Grande Loge de France, il est membre de la Juridiction du Suprême Conseil de France, de Rite Ecossais Ancien et Accepté. Il est membre de la Loge Art Royal, Grande Loge de France, à Versailles.

Diplômé de Philosophie (Faculté de Rennes), de Gestion (IGR et Enass), d’Arts Plastiques (Institut Van der Kelen-Logelain à Bruxelles et CAP de potier tourneur).

Son site internet « Patrick Carré Poésie » http://www.patrick-carre-poesie.net/  de 1000 pages, premier site de langue française d’études et de poèmes d’un Franc-Maçon avec plus de 800.000 visiteurs, concentre ses travaux et recherches sur l’Initiation Maçonnique, en particulier tous les degrés du Rite Ecossais Ancien et Accepté (REAA), symbolisant l’Œuvre alchimique de perfectionnement et de transformation intérieure des Maçons.

« Devenir Franc-Maçon et Membre de la Loge ART ROYAL » avec le lien http://www.patrick-carre-poesie.net/spip.php?page=devenir-membre

Livres et disque

  • Livre « Francs-Maçons Alchimistes » (2015) (Editeur LiberFaber http://liberfaber.com/fr/accueil.html )
  • CD « Le Flambeau » (incluant le recueil des 12 poèmes) (2013)
  • Livre « Cathédrales » (2006)
  • Livre « La Femme Chair, Cœur, Esprit » (2006)

Conférences

  • Pensée symbolique et pensée sensible, illustrées par Dürer
  • La pensée symbolique
  • La Femme et la mixité en Franc-Maçonnerie
  • La poésie en Franc-Maçonnerie
  • L’univers du potier tourneur
  • Le vitrail alchimique de la Cathédrale d’Orléans

Membre aux USA de la Masonry Poetry Society ( http://www.mpoets.org/ProceedingsNo7.htm )

Lauréat France Musique Contes du jour et de la nuit (émission du 12/06/2014) ( http://www.francemusique.fr/emission/contes-du-jour-et-de-la-nuit/2013-2014/selection-france-2-du-4e-appel-ecriture-patrick-carre-5-5-06-12-2014-00-00 )


A.S.:

View Comments (1)