Il est malheureusement courant – et plus encore au cours de la dernière décennie que lors des précédentes – d’entendre les adeptes d’une religion attaquer et dénigrer les adeptes d’autres religions. De chaque côté, nous voyons ceux qui, s’accrochant à leurs « raisons », brandissent des arguments théologiques, brandissent des raisons sociales et anthropologiques, et finalement, clouent les fers des préjugés les plus bas et les plus vils. Dans chaque faction, l’esprit de siège est attisé, la différence entre « nous » et « eux » est exacerbée, et l’attaque et la conquête (par la force, bien sûr) de l’autre, l’hérétique, l’infidèle, l’adorateur du démon, sont exhortées. Oui, presque toutes les religions, d’une manière ou d’une autre, revendiquent la possession de la Vérité, le monopole du Chemin, l’exclusivité de la Lumière – ce qui, malheureusement, est interprété par beaucoup comme « quiconque n’est pas des nôtres est condamné ».

L’un des piliers fondamentaux de la franc-maçonnerie spéculative, depuis qu’elle existe, a été précisément l’opposition à cet état d’esprit, à cette manière mesquine de gérer la diversité, à cette incapacité à voir le monde avec d’autres yeux, sous un autre angle, sous une autre lumière. Dans un contexte historique où la confrontation entre des camps opposés avait donné lieu à une guerre civile, la franc-maçonnerie encourageait la retenue, la tolérance et l’amour fraternel entre des hommes qui, autrement, n’auraient jamais fait preuve du moindre minimum de civilité les uns envers les autres. Établissant des concepts qui pourraient être considérés comme un dénominateur commun minimum, une plate-forme de base pour établir des ponts culturels et religieux entre les croyants de différentes confessions, la franc-maçonnerie interdisait – afin de maintenir l’harmonie durement gagnée – à quiconque d’aller au-delà de ces engagements fragiles et, dans la loge, d’exprimer quoi que ce soit d’unique et d’exclusif à une confession religieuse.
Bientôt des voix s’élevèrent que la Franc-Maçonnerie voulait détruire telle ou telle religion, et que la Franc-Maçonnerie était un anathème, une abomination, une œuvre des adeptes de Satan. En essayant de concilier plusieurs croyances sous un même parapluie, la Franc-Maçonnerie aurait touché un point sensible : la plupart des gens n’étaient pas (et ne sont pas…) prêts à admettre que « l’autre » puisse, en suivant un chemin différent du sien, parvenir au même endroit. De nombreuses religions enseignent même que les « dieux » des autres religions sont en fait des démons déterminés à semer la confusion chez les imprudents, et que les suivre est un chemin sûr vers la damnation éternelle. Cette perspective est, en fait, absolument incompatible avec la Franc-Maçonnerie, car elle est diamétralement opposée au concept de tolérance que la Franc-Maçonnerie promeut et défend. Comment un franc-maçon pouvait-il s’asseoir dans une loge à côté de quelqu’un qu’il considérait comme un adorateur de démons, et dire avec lui qu’ils travaillaient tous deux « à la Gloire du Grand Architecte de l’Univers », expression qui rassemble les différentes conceptions de la divinité de chacun des francs-maçons sous une dénomination commune ? En revanche, celui qui avait une grande âme et voulait « sauver » son frère de l’erreur dans laquelle il était impliqué, en lui présentant les vertus de sa propre foi, se trouverait bientôt contraint au silence, voire volontairement. Comment cette limitation du prosélytisme peut-elle être conciliée avec les devoirs assumés envers son Église ou sa religion ?
La réponse est simple : la franc-maçonnerie n’est pas pour eux. Celui qui pense de cette façon et qui veut se joindre à nous ferait mieux de ne pas le faire, sinon il se retrouverait rapidement confronté à des situations qui le mettront mal à l’aise et qu’il pourrait comprendre comme contraires aux préceptes de sa foi. Dans ce cas, la meilleure chose qu’il pourrait faire – puisqu’il n’aurait jamais dû être admis, dans son propre intérêt – serait de demander un certificat de libération et d’abandonner la Franc-Maçonnerie, puisque les devoirs de chacun envers sa foi priment sur ses devoirs envers la Franc-Maçonnerie. Que celui qui estime qu’il est de son devoir de convertir le monde à une certaine foi le fasse (ou essaie de le faire…), mais sans que le fait d’être franc-maçon ne s’y oppose. Et quiconque, au plus profond de son cœur, pense que tous ceux qui embrassent d’autres croyances sont des adorateurs de faux dieux, ou même de démons, alors il n’a rien à apprendre de nous.
Mais quiconque accepte les limites de son entendement, selon lesquelles la foi et la certitude sont des choses distinctes, et que des personnes différentes peuvent regarder la même chose et voir des choses différentes ; quiconque veut surmonter les préjugés, pratiquer la vertu et devenir une meilleure personne ; celui qui veut le faire accompagné, aidant et étant aidé dans un esprit de fraternité qui transcende les différences et la diversité des points de vue ; alors vous trouverez parmi nous de vrais frères dans la personne de quelques hommes de bien qui, sous le même Dieu – mais en respectant les différences de compréhension que chacun a de Lui – s’unissent pour devenir meilleurs.
Paul M.