Jérôme Touzalin est un dramaturge , responsable de la communication et membre du Conseil de l’Ordre, de la Grande Loge Traditionnelle et Moderne de France.
Voici donc la « Chronique (imp)pertinente de Jérome » :
De DEO à la VIDEO
De quoi se plaint-on ? On vitupère après une société où nous sommes de plus en plus suivis, tracés, cernés dans nos faits et gestes, où ce fameux « Big Brother » manifeste de plus en plus sa présence… mais savons-nous bien ce que nous voulons ?
Big Brother, cela fait quelques temps qu’il existe, et même depuis la nuit des temps, mais sous un autre nom, moins américain, plus latin, plus grec, plus araméen, enfin bref, tout n’a-t-il pas commencé avec ce Dieu créateur de l’univers car n’est-ce pas Dieu, lui-même, ce Big Brother, qui tout là-haut, du lointain des espaces infinis nous observe, sans perdre une miette de nos agissements ?
Car Dieu, nous le savons bien, c’est du virtuel, on y croit sans pouvoir le prouver, intime conviction, et ça marche… cela inquiète, mais hélas, cela ne conduit pas, pour autant, à bâtir une société plus juste, plus honnête, plus humaine… car cela ne met, ou remet, dans le droit chemin que les peureux, les craintifs, les timides, ou les parieurs qui jouent tout sur l’au-delà et font l’impasse sur le temps de la vie d’ici-bas… appliquant ainsi le fameux pari du philosophe Blaise Pascal.
Dans les contrées du globe où la croyance en ce Dieu mirador, gendarme de nos âmes, se fait moins prégnante, mouvement qui a commencé, en Europe, avec le siècle des lumières et qui ne cesse de se poursuivre, il ne faut pas en déduire que nous voilà débarrassés de toute surveillance et nous répandre partout en sautant de joie et en criant « Vive la liberté » « On fait ce que l’on veut et personne n’en saura rien ! » On sait bien, hélas, comment se comporte l’homme quand il croit qu’on ne le voit pas, c’est alors que la technique vient au secours du Dieu éloigné, voici inventé le Dieu vidéo. C’est à croire que l’homme a besoin de se sentir observé, même si, par ailleurs, il dit le déplorer et vitupère contre cette société qu’il considère, pour cette raison, liberticide. L’homme se fait si peu confiance que chacun veut observer tous les autres. L’œil n’est plus caché entre deux nuages mais se dissimule sous les corniches des immeubles, en haut des lampadaires, au coin des distributeurs bancaires, dans les stations de métro, les gares, les supermarchés, partout, partout… Après avoir beaucoup protesté contre cette envahissante technique, l’homme ne dit plus trop rien, il ne se rebelle pas et continue son petit labeur, il oublie ces regards démultipliés, il ne songe pas que cela signifie que la confiance entre les humains est décidemment loin d’être acquise ; nous sommes dans le doute permanent, seul un regard venu de loin, venu d’en haut, contraint le citoyen à respecter des règles s’il veut éviter la justice divine ou celle qu’il s’est bâti : la justice civile.
Et le Franc-maçon dans tout cela ? comment se comporte-t-il ? Est-il un humain comme les autres ?
Lui aussi sait bien qu’il faut un contrôle, sans lequel, l’homme, livré à lui-même, franchit allégrement les frontières de la sagesse et de l’honnêteté. Le franc-maçon n’a pas manqué d’avoir son propre instrument de surveillance, mais c’est plus subtil qu’un Dieu et sa vision panoramique ou une caméra qui zoome sur le moindre détail, le franc-maçon sort son miroir et se regarde… là, pas d’excuse, il ne peut se fuir, il se voit au fond des yeux, il sait s’il est dans le bien ou dans le mal, il le sait, il ne peut s’éviter, il ne peut se duper lui-même… cela ne va pas forcément le mettre dans le bon chemin, pour certains seulement, d’autres continueront de s’éparpiller dans des comportements de traverse, mais le franc-maçon en appelle à lui-même, c’est une affaire entre lui et lui, n’est-ce pas ce qui doit le plus atteindre et tourmenter sa conscience ? Ce miroir on le lui brandit dès le soir de son initiation… Le franc-maçon est son propre juge et son propre guide ; il vient un moment dans la vie de l’homme, s’il veut conserver son honneur où il doit se faire face, plus question de répondre par la servilité peureuse à un immanent surveillant général, ou à la crainte d’un film dénonciateur aux autorités de police. Il se voit, il s’observe et il sait s’il peut être fier de lui.
C’est un grand progrès dans le comportement qui est demandé là… Le Franc-maçon n’est pas un croyant qui agit par peur, ou un craintif qui redoute de se faire prendre. On lui demande, là encore, de s’élever… Pour certains la pente est aisée, pour d’autres elle est redoutablement difficile : c’est l’effort qui nous est demandé tout au long de notre parcours maçonnique.
Au fond de nos yeux, il n’y a ni Deo, ni Video, il y a nous : la dignité de notre vie qui nous regarde.
Jérôme Touzalin
G.L.T.M.F.