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De la culture du pissenlit par Jérôme Touzalin


GADLU.INFO compte un nouveau contributeur en la personne de Jérôme Touzalin.

Jérôme Touzalin est un dramaturge , responsable de la communication et membre du Conseil de l’Ordre, de la Grande Loge Traditionnelle et Moderne de France.

 Il nous offre aujourd’hui un texte pendant la pause maçonnique estivale !

                                  De la culture du pissenlit.

          Nous avons un goût prononcé pour les temps anciens, pour nos racines, voilà qui est bien car en approfondissant nos recherches cela explique bon nombre de nos comportements contemporains, il y a des faits du quotidien qui nous viennent d’un passé lointain et peuvent éclairer notre tumultueux présent. On n’apprend jamais assez bien l’Histoire. Comme l’affirme un de nos rituels « : C’est avec les lumières du passé que l’on s’oriente dans l’obscurité de l’avenir ». Ou, comme le dit encore un proverbe africain bien connu : « Quand tu ne sais plus où tu vas, retourne-toi pour savoir d’où tu viens. »

Il est certain que notre capacité à tirer les leçons de l’Histoire doit nous éviter de réitérer les erreurs de nos devanciers. Avoir la référence d’un grand autrefois, dans ce qu’il eut soit de bien ou tout au contraire d’insatisfaisant, peut donner une meilleure assise dans la conduite que nous devons avoir face à l’inconnu qui se dresse devant nous, chaque jour.

C’est sans doute pourquoi un certain nombre de nos très estimés frères plongent leurs bras vigoureux dans les fouilles archéologiques des siècles révolus, des millénaires les plus reculés, pour en extirper les traces infimes de ce qui était assurément, pour eux, les prémices de la Franc-maçonnerie. Ils ont toutes les audaces, un petit détour par la Bible ne les retient même pas et Adam et Ève ont, à leur goût, toutes les caractéristiques d’une famille fondatrice, ce qui, au passage, semblerait vouloir dire que, dès ses origines, la Franc-maçonnerie était mixte : mais laissons ces supputations qui font sourire l’esprit… voire même le Saint-Esprit.

Chacun, donc, y va de sa théorie des origines : les égyptiens, l’orient biblique, les collèges romains, les druides, les templiers… et j’en passe, et chacun de remonter la corde du temps, et quand il n’y a plus de corde, quand on ne peut plus ponctuer par une date, par une période, alors on affirme doctement : La Franc-maçonnerie procède d’un temps immémorial.

Je ne sais s’il faut s’en réjouir ou s’en accabler.

S’en réjouir ? Oui ! La référence à ces temps disparus nous met sur un pied d’égalité avec les philosophies, les religions et les structures sociales, les plus considérables, mais dans quel but ? Nous permettre d’être vus avec le sérieux dû à la respectabilité de l’ancienneté… C’est beaucoup mieux, pense-t-on, que d’avoir un petit air tombé de la dernière pluie… Nous aimons la pierre dès lors qu’elle est un vestige du temps, comme témoignage de l’étincelle créatrice de l’univers et beaucoup moins si elle a été taillée hier et apparaît alors dénuée de toute symbolique.

S’en accabler ? Oui, aussi. En constatant que, depuis que l’homme a imposé sa marque sur la planète, toutes les structures de réflexion et de piété, toutes les spiritualités et coutumes de vie, qu’il a inventées ne sont pas parvenues à instaurer un monde de paix et de fraternité. Je me demande donc si de se voir en continuateurs d’une franc-maçonnerie née en ces temps révolus n’est pas une façon de reconnaître que les francs-maçons n’ont rien fait de mieux que les autres. En voulant donner de nous une image millénaire, nous nous inscrivons dans la lignée de tout ce qui n’a pas réussi.

Je préfère une « maçonnerie » qui a trois cents ans, plutôt que trois mille ou six mille, ou plus encore, car cela signifie que ce nouveau « modèle » d’approche de la vie, né au 18ème siècle, -en somme hier- a encore toutes ses chances de réussir, là où toutes les architectures sociales précédentes offrent un bien modeste bilan, quelles que soit les fulgurances de la pensée des hommes qui ont vécu et initié leur message en ces époques reculées.

La Franc-maçonnerie n’a pas donné toute la mesure de sa richesse profonde. Se structurant en ce fameux siècle des « Lumières » l’homme sortait enfin des lugubres superstitions dont il avait alourdi son esprit et toute la vie en société du même coup ; la franc-maçonnerie est une impulsion formidable qui permet de combiner l’énergie d’une vie spirituelle nécessaire à l’homme, avec l’esprit de raison indispensable pour bâtir un monde moderne.

Nos frères fondateurs d’il y a 3 siècles, bien réels ceux là, ont évidemment compris l’importance qu’il y avait à s’appuyer sur des éléments venus du fond des âges, à se caler sur une symbolique qui gisait depuis toujours dans le cœur des hommes… en ce sens nous sommes dépositaires du passé dans ce qu’il a de plus précieux, c’est-à-dire de la tradition, mais c’est devant, que tout se passe, c’est devant, que l’on nous attend… c’est de demain dont nous sommes responsables.

Je ne méprise pas les recherches historiques, loin de là, elles sont un supplément de savoir pour nous assurer dans notre marche, mais elles ne doivent pas nous assujettir exagérément au passé.

Bien-sûr, il nous faut des racines, rien ne part de rien dans ce que crée l’homme, une fois que l’on a dit cela, il faut reprendre la route. « Quand tu aimes, il faut partir » écrivait le poète Blaise Cendrars. Nous aimons la vie, pour nous et plus encore pour ceux qui nous succèderons ; nous aimons la vie pour ce qu’elle sera, et non exagérément pour ce qu’elle fût.

Si la maçonnerie se nourrit par les racines, je m’inquiète de son état.

Jérôme Touzalin           GLTMF                                                   Août 2016


 

A.S.:

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