Dans les ténèbres de Léon Bloy
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«Il n’y aurait pas de vie assez longue, s’il fallait tout dire.»
Léon Bloy, Dans les ténèbres.
C’est en 1918 que paraît Dans les ténèbres de Léon Bloy, grâce aux bons soins de la veuve de l’écrivain qui dans ce texte non point lumineux mais transparent, semble avoir réglé ses affaires humaines et, une dernière fois avant de les quitter, regarde le seul territoire que son regard a jamais tenté de percer, l’Absolu. Il ne voit rien, presque rien, si peu de choses qu’il est difficile d’en écrire un rapport circonstancié, presque rien si ce n’est les massacres à venir, à l’époque où les belles âmes n’ont que le mot de paix à la bouche et prostituent la France par leur incompétence bavarde, qui met à genoux l’une des plus grandes nations du monde et lui promet, une fois de plus, de mirifiques avancées scientifiques sous le soleil du Progrès.
De fait, c’est non point certain de la mission accomplie (car seuls les imbéciles sauraient être contents d’eux-mêmes) mais pétri de l’évidence que réserve l’époque à des âmes de la trempe de celle de Léon Bloy que l’écrivain affirme sa complète solitude, propre à l’écriture et à l’office de vigie de l’invisible que mène sans faillir, depuis de longues années, celui qui, à mesure qu’il perd ses forces, son courage peut-être, se fait un peu plus transparent non seulement devant Dieu mais ceux qui le lisent : «Le mépris universel, absolu, des hommes et des choses. Arrivé là, on ne souffre plus ou du moins on a l’espérance de ne plus souffrir» (1). Léon Bloy, bien sûr, continue de souffrir, pour les vivants mais aussi pour les morts, ces solitaires terrifiants.
Si Bloy vomit une époque sans foi (2), il est fort logique que celle-ci vomisse en retour un écrivain comme lui : «Et le reste est épouvantable. La sottise infinie de tout le monde à peu près sans exceptions; l’absence, qui ne s’était jamais vue, de toute supériorité; l’avilissement inouï de la grande France d’autrefois implorant aujourd’hui le secours des peuples étonnés de ne plus trembler devant elle; et la surnaturelle infamie des usuriers du carnage, multitude innombrable de profiteurs grands et petits, administrateurs superbes ou mercantis du plus bas étage, qui se soûlent du sang des immolés et s’engraissent du désespoir des orphelins. Il faut être arrivé, après tant de générations, sur ce seuil de l’Apocalypse et être ainsi devenu spectateur d’une abomination universelle que ne connurent pas les siècles les plus noirs pour sentir l’impossibilité absolue de toute espérance humaine» (p. 292). Ces phrases auraient parfaitement pu convenir à la débâcle qui fut celle de la Seconde Guerre mondiale. Gageons qu’elle conviendra tout autant aux futures débâcles qui attendent la France.
Si l’impossibilité absolue de toute espérance humaine est une de ces apories, d’ailleurs moins vécue que littérairement théâtralisée, par lesquelles Léon Bloy a coutume de relancer le moteur increvable de son écriture, nous devons cependant affirmer que c’est elle qui fore la réalité, confère à l’écrivain un don de voyance exégétique pourrait-on dire, qui ne se manifeste jamais mieux que lorsqu’il avoue son impuissance paradoxale. Ruse de l’écriture évidemment, car ne rien pouvoir dire c’est encore et toujours, pour Bloy, dire et dire encore, tout comme affirmer la coupable procrastination divine, c’est permettre, dans le temps de l’attente, que n’en finisse pas de se redire l’attente et ainsi tenter de la combler par l’écriture impatiente, de plus en plus impatiente, tendue comme une flèche frémissante vers sa cible (3) : «En même temps que nous sera révélée notre identité si parfaitement inconnue de nous-mêmes, d’inconcevables abîmes se dévoileront à nos vrais yeux, abîmes en nous et hors de nous. Les hommes, les choses, les événements nous seront enfin divulgués et chacun pourra vérifier l’affirmation de ce mystique disant qu’à partir de la Chute, le genre humain tout entier s’est endormi profondément. Sommeil prodigieux des générations, naturellement accompagné de l’incohérence et de la déformation infinies de tous les songes. Nous sommes des dormants pleins des images à demi effacées de l’Éden perdu, des mendiants aveugles au seuil d’un palais sublime dont la porte est close. Non seulement nous ne parvenons pas à nous voir les uns les autres, mais il nous est impossible de distinguer, au son de sa voix, notre voisin le plus proche» (p. 293, l’auteur souligne).
L’antienne est connue, qui répète inlassablement, de livre en livre, que nous ne vivons que parmi des apparences, étant des apparences nous-mêmes (4), des marionnettes incapables de comprendre l’unique réalité, absolument insaisissable par nos sens tout comme par nos facultés, Dieu qui inscrit Son action, incompréhensible à nos yeux, dans l’histoire, qui n’est peut-être rien d’autre que son écriture à même la trame des événements qui nous semblent incohérents, puisque nous ne savons pas lire : «Pendant que les hommes s’agitent dans les visions du sommeil, Dieu seul capable d’agir fait réellement quelque chose. Il écrit sa propre Révélation dans l’apparence des événements de ce monde et c’est pour cela que ce qu’on nomme l’histoire est si parfaitement incompréhensible» (p. 294).
L’incompréhensibilité de Dieu ne peut être suggérée qu’au moyen des négations si prisées par la démarche apophatique de certains mystiques ou bien par l’hyperbole qui place systématiquement Dieu au-delà de tout ce que l’esprit humain peut imaginer de plus grand : «Il y a tout ce que vous voudrez de plus grand ou de plus grandiose. Il y a l’Himalaya, dont il est dit que vingt montagnes comme le Pic du Midi ne feraient pas un escalier suffisant pour y monter. Il y a la terrifique majesté de l’Océan polaire, lorsqu’une tempête infinie bouleverse dans l’étendue ses immenses dalles de glace, à la diffuse clarté d’un soleil mort. Il y a les plus effrayantes convulsions de notre globe, les tremblements de terre inimaginables comme ceux de l’Illyrie ou de la Syrie, qui détruisirent, au Vie siècle, des provinces entières et d’énormes villes en quelques instants, le sol s’entrouvrant pour engloutir les habitants et leurs demeures, et se refermant aussitôt sur eux avec un mugissement de gouffre qui put être entendu de Constantinople» (pp. 300-1), et il y a Dieu, plus infiniment grand que ces petitesses lamentables dont le spectacle suffit pourtant à paralyser les facultés de l’esprit humain, et il y a le plus humble des hommes, Léon Bloy, confronté aux mêmes difficultés que Dante lorsqu’il tenta de traduire en mots la claire vision du Paradis. Cette vision ne peut être figurée qu’en se faisant soi-même pure transparence, comme quelques très rares écrivains l’ont compris, au rang desquels Rimbaud, à coups de traits de génie ou encore Paul Gadenne dans ses romans admirables.
C’est dans ses derniers ouvrages que Léon Bloy, qui n’a jamais hésité à tutoyer Dieu pour lui gueuler son impatience, semble le plus radicalement affirmer son hétérogénéité : Il est le tout autre, ce qui ne peut s’embrasser, se dire ni même s’imaginer, cet éloignement entre l’homme et la sphère divine n’étant jamais mieux suggéré que par ce type d’images somptueuses : «Les Saints ont vu que la seule révélation d’une seule minute de la souffrance de l’enfer serait capable de foudroyer le genre humain, de dissoudre le diamant et d’éteindre le soleil. […] Toutes les souffrances accumulées de l’enfer pendant toute l’éternité sont en présence de la Passion comme si elles n’étaient pas, parce que les damnés souffrent dans la Haine; parce que la douleur des damnés finie et que la douleur de Jésus est infinie; parce qu’enfin, s’il était possible de supposer que quelque excès a manqué à la douleur du Fils de Dieu, il serait également possible de croire que quelque excès a manqué à Son amour» (p. 307, l’auteur souligne).
Léon Bloy, au sommet pourtant de sa puissance d’écriture, sait qu’il n’a jamais rien dit sur Dieu mais cette certitude, qui après tout est celle de tout écrivain digne de ce nom qui n’a guère besoin de se prévaloir des ruses de langage par lesquelles les mystiques tentent de signifier ce qui ne peut l’être selon Michel de Certeau, ne désespère point et ne se résout pas à déposer les armes : il attend, il ne fait rien, sa colère s’est transformée dirait-on, gagnant en sourde intensité, son écriture s’affinant elle-même, s’épurant, pour laisser voir ce à quoi sa rugueuse matière faisait obstacle.
Non seulement l’éloignement de Dieu est accepté tel quel comme signe de notre miraculeuse liberté (5), mais il légitime la stigmatisation du péché dont la France, aux yeux de Bloy, s’est rendue coupable en refusant d’écouter le terrible message que la Vierge a délivré à La Salette. Bloy, dans un même mouvement de sa prodigieuse colère, vomit les évêques désobéissants (6) mais aussi le désastre intellectuel de la France, imputable à son oubli de Dieu bien davantage qu’à la fornication prospère mise en scène dans les romans d’Émile Zola : «Depuis le commencement de la guerre, des livres innombrables ont été écrits et publiés. Bien ou mal et le plus souvent très mal, ils ont tout dit, excepté la seule chose qu’il y eût à dire. S’adressant à un peuple sans Dieu, comment aurait-ils pu lui parler d’un Dieu qu’ils ignorent et surtout d’une Vierge douloureuse dont l’Apparition et le Message leur ont été si parfaitement cachés ? Ils ne savent absolument rien, ces pauvres auteurs, n’ayant pas même le pressentiment obscur de ce qui les dépasse. Ils vont au public comme les pourceaux vont au bourbier, et rien n’est changé de ce qui fut avant la guerre, dont ils profitent maintenant pour l’étalage réassorti de leur ténébreuse vacuité. Métier lucratif pour quelques-uns qui ne sont pas étouffés par leur conscience et qui jugent que tout va très bien quand leurs tristes livres se sont bien vendus» (p. 323).
Georges Bernanos saura se souvenir de telles lignes qui vilipendent les planqués de l’Arrière, proclament l’inintelligence absolue des journalistes, auteurs et intellectuels qui commentent les terribles événements à ras de binocle matérialiste (7) et prostituent les mots qu’ils utilisent (8), affirment encore qu’une telle débauche de meurtres ne peut que signifier l’ouverture toute proche du septième sceau et la venue de l’Exterminateur (9) et enfin font, de la proximité avec les morts trahis (10), le gage d’une communion que la France victorieuse abaissera en célébrations patriotiques et qu’elle trahira de nouveau, sans relâche, les morts constituant après tout une pâte sur laquelle il est bien commode de faire pousser les petites fleurs roses du patriotisme, qui n’était pas encore économique (11).
La proximité de Léon Bloy avec les morts, au-delà du lieu commun qui fait de l’écrivain le récipiendaire hugolien des paroles innombrables des générations qui l’ont précédé et qui, à leur façon, tentent de lui enseigner ce qu’est la vie (12), ne vise qu’un seul but, celui qui consiste, pour l’homme qui espère une mort prochaine, si prochaine que les morts lui paraissent être plus vivants que ceux qui l’entourent et l’aiment (13), de pouvoir connaître, enfin, non point la Vérité inconnaissable mais son image la moins déformée possible : «Il est tellement le Maître de tout, que les concepts humains de maîtrise ou de possession, quand on pense à lui, ne paraissent pas autre chose que le renversement d’une image imprécise dans un miroir sans limpidité» (p. 311).
Le terme le plus important de ce passage est le mot renversement, que Léon Bloy a explicité à sa façon en déchirant la page d’une image prodigieuse (14), d’une de ces phrases capables de venir vous hanter à votre dernière seconde de vie et dont celle-ci probablement n’épuiserait pas le secret : «Le fond de ma pensée est que dans ce monde en chute toute joie éclate dans l’ordre naturel et toute douleur dans l’ordre divin» (p. 308).
Si tout est inversé, ne cesse de répéter Léon Bloy lorsqu’il commente audacieusement l’épisode de l’aveugle-né (15), alors cela signifie que les terribles événements que traverse la France ont un sens qui ne peut que demeurer impénétrable aux publicistes, et que seul peut tenter de déchiffrer l’écrivain oraculaire, qui comme l’infirme dans Monsieur Ouine, le plus grand livre sur les morts de la littérature française, semble entendre, en collant son oreille contre la terre glacée, leurs infatigables récriminations, leur haine d’avoir été si tôt, dans la fleur de l’âge, ravis au monde de la lumière.
C’est dans le chapitre VIII intitulé Un sanglot dans la nuit que Léon Bloy va nous révéler ce que les morts lui ont enseigné, ce que la nuit à la nuit transmet de connaissances proscrites et de visions terrifiantes : «Je ne saurais dire l’angoisse qui naissait de cette plainte exhalée dans l’obscurité et se propageant par toute l’étendue de cette contrée invisible. Ce n’était pas une plainte articulée, mais, ainsi que je l’ai dit, un sanglot énorme, convulsif, renaissant de lui-même à l’instant où il expirait, une panique d’éploration qui semblait avoir comme un caractère d’universalité […] Partout le même sanglot dans la nuit profonde et la même profonde torpeur chez mes compagnons de voyage. Je finis par comprendre que c’était la grande France de jadis qui pleurait en moi, la pauvre vieille mère de tous les enfants de France !» (pp. 304-5).
Nous ne pouvons pas nous étonner que ce soit finalement Léon Bloy, l’une des oreilles les plus sensibles de son siècle, et sensible justement parce qu’il n’a pas dédaigné d’écouter les voix des morts, qui ose affirmer que l’homme moderne crève d’ennui depuis qu’il a perdu, dans le même mouvement sans doute, l’intelligence de sa propre langue (16) et Dieu, et qui ne craigne pas de lier le miracle d’une renaissance si longtemps attendue et que bien sûr il n’aura pas vue de ses propres yeux, à l’abaissement inimaginable d’une nation envahie et souillée par les brutes, l’oubli de la voix de nos morts n’étant que l’une des innombrables prévarications d’un peuple à bout de souffle, mené à l’abattoir par de pompeux incompétents tout chamarrés de médailles : «Sans doute il faut attendre et toujours attendre, je l’ai beaucoup dit. Cependant l’heure attendue ne peut pas être bien éloignée maintenant. Il n’y a plus d’espérance humaine. Les aveugles s’en aperçoivent enfin et les pires brutes commencent à sentir la nécessité d’un renouveau. Il faut que tout meure ou que tout change. On est à l’automne du monde. La végétation des âmes est interrompue et l’hiver approche avec toutes les épouvantes» (p. 318).
Près d’un siècle après que ces mots ont été écrits, notre automne n’en finit pas de s’étirer et il nous semble entendre, encore et encore, la voix lointaine de Léon Bloy répétant : «Car il est bien certain que je suis fait pour attendre sans cesse et pour me ronger en attendant. Depuis plus d’un demi-siècle je n’ai pas été capable d’autre chose» (p. 297).
Notes
(1) Œuvres de Léon Bloy (t. IX, Mercure de France, 1983), p. 291. Les pages entre parenthèses renvoient à cet ouvrage.
(2) «La Foi est tellement morte qu’on en est à se demander si elle a jamais vécu, et ce qui porte aujourd’hui son nom est si bête ou si puant que le sépulcre semble préférable», op. cit., id..
(3) «Car il est bien certain que je suis fait pour attendre sans cesse et pour me ronger en attendant. Depuis plus d’un demi-siècle je n’ai pas été capable d’autre chose» (p. 297).
(4) «Je crois à des réalités matérielles, concrètes, palpables, tangibles comme le fer, indiscutables comme l’eau d’un fleuve, et une voix intérieure venue des profondeurs me certifie qu’il n’y a que des symboles, que mon corps lui-même n’est qu’une apparence et que tout ce qui m’environne est une apparence énigmatique » (p. 293). Voir encore : «C’est une apparence de pape [Benoît XV], un peu plus visible peut-être et certainement plus effrayante que les apparences d’empereurs, de rois ou de républiques qui se pressent à la porte de l’Apocalypse, laquelle va s’ouvrir grande sur l’abomination de l’Enfer» (p. 295).
(5) «[…] cette ineffable liberté n’est rien que ceci : le respect que Dieu a pour nous» (p. 306).
(6) «Nos évêques, dont la désobéissance a tant aidé l’infâme Guillaume à tuer la France, en sont venus à ne plus même sentir le châtiment et se sont endurcis comme des démons» (p. 321).
(7) «Troisième anniversaire de la victoire de la Marne. Même lieux communs que l’an passé et même inintelligence de l’événement, de tous les événements, quels qu’ils puissent être» (p. 313).
(8) «Prostituer le nom de la guerre à ce que fait l’Allemagne depuis trois ans, c’est simplement abolir le sens des mots, en même temps que disparaissent les notions les plus élémentaires de l’honneur» (p. 327).
(9) Voir le magnifique chapitre XV intitulé La frontière : «C’est l’immense champ des morts. C’est le cimetière prodigieux où reposent les victimes de la guerre infernale. […] C’est la croyance universelle des chrétiens que les reliques des «bienheureux morts dans le Seigneur» sont l’habitacle de Celui qui doit les ressusciter un jour, et il est raisonnable de supposer sa présence, ici ou là, parmi tant d’ossements immobiles. […] Voici la frontière, en attendant qu’il devienne possible de la dépasser» (p. 319) puis : «On ne sait pas ce que peut contenir cet interminable champ de mort qui est devenu notre frontière. Toujours est-il que les barbares ne parviennent pas à le franchir. Dieu voudra peut-être que du milieu de tous ces guerriers immobiles surgisse tout à coup l’Exterminateur dont nul ne peut dire si c’est un vivant ou si c’est un mort» (p. 320).
(10) «Ils [un million d’hommes habitués depuis trois ans à tuer des hommes] reviendront un jour, impatients de régler les comptes arriérés. Que diront-ils au spectacle de l’inondation des canailles et de quel œil pourront-ils voir la prospérité diabolique des mercantis qui auront affamé, torturé leurs femmes et leurs enfants, pendant qu’ils enduraient pour la défense commune les pires horreurs ?» (p. 332).
(11) «…Et la cohue des âmes se précipite, passant toujours à côté de moi, comme si j’étais seul à penser à elles, à me souvenir, avec une larmoyante compassion, des pauvres corps qu’elles ont quitté tout à l’heure et qu’elles ne retrouveront qu’au moment de la Résurrection universelle. Le vacarme du canon lointain continue, semblable au bruit d’un pilon énorme répercuté par des falaises colossales. C’est quelque chose comme le mea culpa de la France, le Confiteor des blasphèmes, des infidélités, des lâchetés, de l’ingratitude infinie du peuple de la Reine douloureuse, et on ne voit pas le terme de cette pénitence» (p. 310).
(12) «En attendant je suis pesamment, douloureusement obsédé par ces multitudes émigrant vers l’Inexploré, qui s’écoulent en torrents tout près de la table où je m’efforce d’écrire pour la consolation de quelques vivants qui seront bientôt, eux aussi, des morts» (p. 309).
(13) « C’est effrayant de penser qu’on subsiste au milieu d’une foule de morts qu’on croit des vivants; que l’ami, le compagnon, le frère peut-être qu’on a vu ce matin et qu’on reverra ce soir, n’a qu’une vie organique, un semblant de vie, une caricature d’existence et qu’il est à peine distinct, en réalité, de ceux qui se liquéfièrent dans les tombeaux» (p. 315).
(14) Trait de génie car, s’il est bien certain que l’inspiration de cette vision du monde est maistrienne, Léon Bloy en décuple la puissance en la faisant exploser dans le domaine de la souffrance rédemptrice.
(15) «Alors, oh ! mais alors, cet aveugle, à qui Jésus ouvre les yeux, signifierait donc Jésus lui-même, comme son image énigmatique reflétée dans un miroir !» (p. 337). L’écrivain évoque l’épisode raconté au chapitre 9 de l’évangile de Jean, qu’il commente en ces termes : «Tout cela, est-il besoin de le dire ? se passe sur les âmes vermeilles de la Contemplation, à d’énormes distances de l’interprétation strictement morale ou doctrinale du Texte saint et infiniment au-dessous de la claire Vision Béatifique. C’est comme une manière de pleurer en regardant le ciel, en pensant à l’incompréhensible Dieu de nos âmes qui nous consumerait comme de la paille, s’il se montrait à nous autrement qu’en énigmes ou en paraboles» (p. 340). Je ne sais s’il existe des travaux consacrés au thème mystique du miroir chez Léon Bloy, mais ils seraient sans doute utiles à celui qui chercherait à expliciter les fondements de l’exégèse bloyenne : «Un mendiant qui n’a jamais rien vu et qui paraît être, en une manière très cachée, Jésus lui-même aperçu dans le miroir énigmatique de saint Paul […]» (p. 339).
(16) «[…] car la profonde histoire d’un peuple est dans sa langue» (p. 323).