Daniel KELLER, Grand Maître du Grand Orient De France (GODF) a été auditionné par l’Observatoire de la Laïcité.
Découvrez ci-après son intervention pertinente !
L’Observatoire de la laïcité est une instance placée auprès du Premier ministre ayant pour objet de conseiller et d’assister le Gouvernement dans son action visant au respect du principe de laïcité en France.
Paris, le 24 mars 2015
Objet : Audition de M. Daniel Keller, Grand maître du Grand Orient de France :
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres de l’Observatoire de la laïcité, je voulais tout d’abord vous remercier de m’inviter à cette audition. Je suis satisfait de savoir que notre audition sera suivie de celle des associations en charge des mouvements d’éducation populaire, car j’ai toujours été étonné que nous soyons toujours accolés aux instances religieuses.
Je suis heureux d’être parmi vous et en même temps circonspect. Tout a été dit sur la laïcité et j’ai le sentiment qu’on tourne dorénavant en rond.
La première chose qui me paraît essentielle de vous dire c’est que la laïcité ne saurait être la rançon des échecs économiques, sociaux et politiques des trente dernières années. Nous ne devons pas faire passer la laïcité par les pertes et profits de la fragilité sociale et économique que connaît notre pays.
Si l’intégration à la française n’était pas en situation d’échec on parlerait moins de laïcité. De plus, nous voyons le danger de remplacer l’intégration par l’idéologie de l’inclusion.
L’inclusion c’est selon moi la construction d’une société prison, alors que l’intégration représente une société de liberté. Il y a là une menace du délitement du vivre ensemble car la notion d’inclusion ne peut concrètement relier les individus.
Si l’école répondait aux attentes des français on parlerait moins de laïcité. Je ressens une véritable inquiétude devant le taux des élèves qui ne maîtrisent pas la langue au sortir de l’école primaire, devant la non-performance des diplômes à un moment où de plus en plus de jeunes diplômés sont condamnés au chômage ou aux emplois précaires.
Si la République restait une ambition collective on parlerait moins de laïcité. Le projet républicain est malheureusement en berne. La conscience d’appartenance se fragmente et il est indispensable de valoriser la spécificité de notre modèle républicain porteur d’une histoire et d’un projet émancipateur.
Le deuxième point essentiel par rapport à nos débats sur la laïcité, c’est l’impossibilité de réduire en permanence cette question à un débat juridique selon lequel on ne pourrait plus légiférer sur les questions de laïcité.
La laïcité est malheureusement l’otage d’une dénégation juridique. Prétendre que le recours à la loi serait contreproductif est un argument tout à fait contestable. On n’a rien appris de l’affaire du voile de Creil en 1989 qui s’est finalement terminée tardivement en 2004 par une loi, il y a eu trop de temps perdu et c’est essentiel de ne pas commettre les mêmes erreurs pour l’avenir.
Prétendre que le juge censurerait toute initiative en ce sens n’est pour moi pas vérifié dans les faits. Je pense que l’affaire Baby Loup a même montré le contraire. La Cour de cassation au terme d’une longue odyssée judiciaire a confirmé le bien fondé du règlement intérieur de la crèche, en rappelant les motifs d’intérêt général sur lequel il se fondait. La Cour européenne des droits de l’homme sait aussi faire droit à la question du vivre ensemble que la France entend promouvoir compte tenu du particularisme de son régime républicain. Elle l’a montré dans sa décision du 1er juillet 2014 à propos de la loi de 2010, faisant droit à la préservation du vivre ensemble que le législateur entendait protéger dès lors que la mesure n’était pas disproportionnée.
Dire qu’il faut privilégier la voie des règlements intérieurs et des circulaires ne concourt pas à la sécurité juridique dont nous avons besoin. En revanche, dans la sphère extérieure au domaine des services publics, cette voie doit être encouragée afin de juguler toute manifestation de prosélytisme.
Le troisième point que je voulais aborder devant vous, c’est la tendance actuelle à résumer la laïcité au dialogue interreligieux. C’est une erreur car cela conduit à une impasse et tend à instaurer une ambiguïté regrettable.
Faire de la laïcité le règlement d’une coexistence harmonieuse entre les religions est contraire au principe laïque. La laïcité ne peut être le garant du dialogue inter-religieux. La laïcité n’est en effet ni une croyance ni une conviction. En revanche, il s’agit à travers elle de redonner du sens et du contenu aux principes républicains en insistant sur l’universalisme qui les soustend.
La laïcité est un principe d’organisation de la sphère des services publics dans laquelle l’expression des convictions confessionnelles n’a pas sa place, au nom d’une séparation du religieux et du politique. Des problèmes des frontières ou des frottements peuvent exister : les parents accompagnateurs dans le cadre des sorties scolaires, les espaces de cours à l’université au nom du fait que l’espace de cours doit être un sanctuaire réservé au travail du libre examen et de l’esprit critique, ce qui n’est pas compatible avec toute manifestation ostensible d’appartenance à une religion.
Le principe de laïcité doit conduire à exalter le citoyen qui sommeille en nous, quand il ne s’agit pas du citoyen qui se meurt. La laïcité a pour but de favoriser la création d’une communauté de citoyens dans laquelle on ne se définit pas en fonction de ses assignations ethniques, religieuses, culturelles, sociales ou autres.
Quatrième point, la laïcité doit favoriser l’accouchement d’un nouveau vivre-ensemble. C’est une expression que nous employons beaucoup actuellement.
Le vivre ensemble n’est pas fondé sur la somme des particularismes qui nous conditionnent mais sur la volonté de donner corps à la communauté imaginaire des citoyens. La République est un projet en construction perpétuelle. Elle est de l’ordre du devenir. L’apprentissage de la citoyenneté doit favoriser cette capacité de l’individu à s’élever à la citoyenneté.
La laïcité nécessite donc un travail de reconquête républicaine à l’école qui ne peut se fonder sur l’enseignement laïque du fait religieux. L’enseignement n’a pas à être laïque, mais il doit
être scientifique (Qu’est-ce que serait un enseignement non-laïque ?). La connaissance de la religion à travers ses oeuvres ou son contenu spirituel relève de l’Histoire ou de la Philosophie mais ne saurait trouver place dans le cadre de l’enseignement des valeurs républicaines. Cela doit être bien compris de tous car l’école doit aussi être le lieu où on laisse les appartenances religieuses en dehors de la classe, comme les francs-maçons « laissent leurs métaux à la porte du temple ». Ce lieu a été profané et il faut refaire de l’école un sanctuaire. Cela va de pair avec le rôle et le statut que doit avoir l’enseignant.
La laïcité est le creuset d’un choix de civilisation qui doit consolider la société sécularisée dans laquelle nous vivons. En arrière-plan se pose la question du volontarisme politique qui doit ou non s’opposer aux évolutions socio-anthropologiques annonciatrices d’un nouveau temps des tribus décrit par certains sociologues à l’heure d’une société mondialisée.
Le dernier point que je voulais aborder devant vous, implique les mesures concrètes de promotion de la laïcité
Le Grand Orient de France a communiqué à votre Observatoire, la position majoritaire des Loges d’Alsace Moselle s’exprimant en faveur d’une abrogation du Concordat dans ces départements, dans la mesure où ces dispositions sont séparables du droit local.
Le développement d’une pédagogie de la laïcité à destination des élèves et des enseignants souvent désarmés face à de tels enjeux est urgent. Nous en appelons à une formation massive des enseignants afin qu’ils puissent répondre aux élèves sans craindre de se retrouver démunis.
Le vote d’une résolution parlementaire consacrant le 9 Décembre journée nationale de la Laïcité, au-delà de la décision de faire de cette journée la journée de la Laïcité à l’école prise par Mme la Ministre de l’Education Nationale. Cette mesure ne changerait pas le droit positif mais revêtirait une dimension symbolique importante. D’ailleurs cette résolution a été votée au Sénat et mais est bloquée à l’Assemblée Nationale.
L’interdiction du port de signes religieux ostensibles dans les espaces de cours à l’Université au motif que ces signes entrent en contradiction avec la vocation des espaces d’enseignement doit être étudiée sans chercher à nier les difficultés rencontrées sur le terrain. Les questions se posent aujourd’hui majoritairement avec les signes liés à l’islam et principalement le port du voile, mais pourrait se poser demain pour une autre religion. Je sais que nous avons à faire à un public majeur, et que nous ne sommes pas dans la même situation que l’école élémentaire.
Je comprends aussi que ce serait mal compris des étudiantes qui se rendent à l’université, mais l’espace du savoir ne peut être soumis à un quelconque prosélytisme. Cette interdiction ne toucherait que les salles de cours. C’est une recommandation qui avait été faite par le HCI et qui doit être réexaminée.
L’organisation de l’islam en France ne saurait enfin déboucher sur la mise en place d’un concordat à rebours. Ce n’est pas le rôle de l’Etat de s’immiscer dans le contenu d’une religion. Quand je lis que la solution serait la création massive d’écoles confessionnelles musulmanes, je suis encore plus inquiet, car c’est d’abord via l’école publique que ces jeunes pourront réussir à s’intégrer.