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Convent 2010 du Droit Humain- A quelles conditions peut-on ou doit-on désobéir aux lois ?

La Fédération Française du Droit Humain a publié sur son site la réponse à la question sociale annuelle posée à toutes ses loges de France.

La question étant : « A quelles conditions peut-on ou doit-on désobéir aux lois ?« 

Belle initiative à saluer et à lire ci-dessous :


Convent 2010 de la Fédération française du Droit Humain. Paris, les 27, 28 et 29 août 2010. Le Droit Humain autorise ce jour la diffusion publique de sa Question Sociale annuelle.

A quelles conditions peut-on ou doit-on désobéir aux lois ? Question de philosophie politique plus que question sociale à proprement parler, mais question relative aux fondements juridiques de la société néanmoins.

Cette question vient à un moment où l’on assiste en France à une forme d’inflation législative, clairement identifiée, parfois dénoncée.
Phénomène qui pourrait à lui seul justifier que l’on se demande ce qui aujourd’hui fait loi, et surtout ce qui fonde le recours du gouvernement à la loi. Mais l’opportunité de notre question peut aussi être envisagée dans une perspective plus longue, moins conjoncturelle : qu’est-ce qui, dans un pays aux institutions démocratiques, fonde l’autorité de la loi, et comment le citoyen doit penser son propre rapport à la loi ?

La question peut à première vue être qualifiée de subversive dans la mesure où son intitulé pose comme une évidence que l’on peut, voire que l’on doit, désobéir aux lois, du moins dans certaines conditions. Il faut pourtant d’emblée réaffirmer l’attachement des membres de la Fédération Française le Droit Humain au principe de la légalité.
Attachement qui ne relève pas d’une docilité passive mais qui est fondé sur la croyance dans les vertus de la loi votée par les représentants du peuple souverain. La loi votée par les représentants du peuple est bien un ciment nécessaire à l’ordre et à la cohésion sociale, et la principale garantie de la liberté. C’est donc en conscience que cette question est posée, comme une question saine sur les fondements de l’autorité légitime.

La question paraît ambitieuse et bien périlleuse en raison même de son caractère général, mais nous allons y répondre d’un point de vue philosophique pour une éthique politique, renvoyant à chacun le choix des modalités pratiques de son action.

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La mémoire sélective de l’histoire donne raison à de grandes figures subversives au regard des institutions de leur époque ou de leur pays. Braver l’autorité apparaît avec le recul comme un des moyens majeurs de faire valoir les droits les plus essentiels. De la mythique Antigone, à Gandhi, Rosa Parks, Martin Luther King ou aux Justes de la dernière guerre, les exemples ne manquent pas. Ils forcent l’admiration tant il paraît a posteriori évident qu’ils ont œuvré au progrès de l’humanité à leurs risques et périls.

Mais la question de la désobéissance aux lois n’a de véritable intérêt que posée dans un contexte où l’ordre établi et préservé par les institutions qui le fondent paraît légitime. La question qui nous est posée doit ainsi concerner notre ici et maintenant. Elle concerne une nation réputée démocratique, appuyée sur des institutions clairement établies, qui ne procèdent pas de l’arbitraire d’un homme ou d’une minorité mais d’un régime constitutionnel vivant.

On peut cependant retenir de l’histoire quelques grands enseignements. Le premier est que par l’obéissance aveugle à un gouvernement né de l’État de droit, il est possible de laisser advenir un État autocratique. Le second est que dans toutes les situations de non droit, désobéir c’est d’abord avoir du courage. La propension naturelle des peuples paraît être l’obéissance. L’obéissance déresponsabilise et en ce sens elle protège. S’attaquer à un État de non droit, c’est accepter de sortir du confort de l’immobilisme et de la soumission facile, c’est prendre parfois des risques immenses. Peut-on désobéir aux lois ? serait donc forcément au moins une question de courage.

Le troisième enseignement qui peut être tiré d’une référence à des situations de non droit (ségrégation, dictature ou régime autoritaire) est qu’il est simple en ces circonstances de légitimer la désobéissance en invoquant simplement le besoin de justice. D’ailleurs, notre constitution, se référant à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, reconnait comme droit imprescriptible la résistance à l’oppression.

Il faut donc du courage pour faire advenir une société juste. Tout est dit et rien n’est dit.

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Alors ici et maintenant, qu’est-ce qui peut rendre possible et nécessaire la désobéissance aux lois ? Nous parlons bien des lois inscrites dans le droit positif.

Considérons tout d’abord ce qui rendrait la désobéissance à ces lois en vigueur inenvisageable, injustifiable par principe. Elle ne le serait qu’à deux conditions : si l’on considérait que la loi réalise l’idéal de justice dans son état actuel, qu’elle est parfaite au regard de cet idéal, ou, si l’on avait une préférence absolue pour l’ordre, fut-il imparfait.

Mais parce que la démocratie est un idéal à atteindre, la loi sera toujours perfectible, et parce que l’obéissance aveugle serait un abandon de notre libre arbitre et une démission de notre conscience, la question de la désobéissance peut se poser.

Certes nous sommes dans un Etat de Droit, c’est à dire que la puissance publique est elle-même soumise au Droit, et l’existence d’une hiérarchie des normes constitue une des plus importantes garanties de l’Etat de Droit. Pour autant, il faut reconnaître l’imperfection essentielle des lois. Nous ne sommes pas dans une démocratie idéale et parfaite. Il faut admettre sa perfectibilité et l’évolution permanente des lois témoigne de cette dynamique. La règle majoritaire a ses vertus et ses limites, elle ne garantit pas un idéal de justice. « Renoncer à la désobéissance c’est mettre la conscience en prison » aurait en substance dit Gandhi.

Il faut donc considérer la désobéissance comme possible, par principe, au nom de la liberté. Cependant cette liberté ne saurait s’exercer qu’en conscience et avec responsabilité. Entendu comme un acte politique, la désobéissance à la loi ne saurait être envisageable qu’à la condition où son but ultime est de faire évoluer la loi et non de s’y soustraire.

Retenant cette finalité politique comme condition à une désobéissance légitime, on écartera alors d’emblée deux modes de désobéissance, sans toutefois les confondre. La première est la transgression criminelle ou délictuelle de la loi dans la perspective d’un intérêt particulier. Elle n’a bien sûr pas de justification.

La seconde est plus délicate car il s’agit de l’objection de conscience, entendue dans un sens plus large que l’objection de conscience légale prévue pour ceux qui refusent de servir militairement. L’objection de conscience est sur une frontière complexe. Elle est une des voies pour un individu singulier d’exprimer son refus moral de se soumettre à une loi. Elle exprime une position individuelle, régie par une philosophie subjective qui n’a pas nécessairement un caractère universel. Elle a pour objectif de garantir la conscience de celui qui objecte à la loi mais ne prétend pas à l’universalité de cette position et n’entend pas nécessairement la faire prévaloir pour autrui. Sans disqualifier par principe l’objection de conscience, au contraire, car l’envisager c’est faire valoir un principe de tolérance, il est difficile de la promouvoir sans connaître des clauses de conscience qui sont invoquées.

Ainsi, retenons comme justification première de la possibilité de désobéissance aux lois, la poursuite d’un objectif citoyen d’améliorer la loi elle même. Un certain nombre de conditions découlent alors de ce principe de finalité quant aux modalités de la désobéissance.

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Tout d’abord, la désobéissance à la loi ne doit intervenir qu’en dernier recours, une fois épuisés tous les moyens légaux de faire valoir une revendication, une contestation. Il y a les recours auprès des instances de contrôle des libertés et tous les recours juridiques, jusqu’à l’utilisation de la question prioritaire de Constitutionalité possible depuis le 1er mars 2010. Lors d’un contentieux, un justiciable (particulier, entreprise,…) peut désormais arguer qu’une disposition législative est contraire à la Constitution. Il y a par ailleurs l’ensemble des moyens de pression légaux qui ne valent que dans la limite des rapports de force qu’ils produisent : la publicité via la libre expression, la pétition, la mobilisation syndicale, l’interpellation des élus, la mobilisation associative, les différents droits d’opposition : grève, manifestation, …tous moyens légaux qui sont le signe que nous sommes en démocratie.

Implicitement : on comprend que la désobéissance civile, parce qu’elle suppose avoir épuisé toutes ces modalités de contestation, implique un niveau de conscience et d’information citoyenne élevés.

Restent les modalités de la mise en œuvre de la désobéissance. Elles sont exposées par les théoriciens de la désobéissance civile, qui empruntent la notion à Henri-David Thoreau, poète et philosophe américain de la fin du XIXe siècle qui le premier a théorisé la résistance passive au gouvernement. Cette doctrine, sans être figée, semble caractériser la désobéissance civile légitime au travers principalement de six conditions :

1. l’acte de désobéissance doit être une infraction consciente et intentionnelle,
2. il doit être un acte public (Gandhi a prôné d’avertir par avance les autorités de l’intention de l’acte),
3. il doit s’agir d’un mouvement à vocation collective même s’il est éventuellement initié par une personne seule,
4. cela doit rester une action pacifique,
5. son but ultime doit bien être de modifier le Droit,
6. enfin, il engage la responsabilité civile et pénale de son auteur.

Ainsi, toutes ces conditions posent le désobéissant comme un dissident et non comme un délinquant, mais elles ne donnent bien sûr aucune garantie de bonne fin, et l’infraction expose le ou les désobéissants aux sanctions prévues par la loi.

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Les conditions de ce qui rend possible une désobéissance citoyenne aux lois ainsi posées, il reste à tenter de définir ce qui peut la rendre nécessaire. Or un constat s’impose : le devoir de désobéissance renvoie à un impératif moral dont la définition positive est très délicate.

Une vision idéaliste du droit défend qu’au delà de ce qui est juridiquement établi dans le droit positif il y a ce qui est juste. Il existerait un droit « naturel », équivalent d’un droit idéal qui définirait un ordre juridique supérieur. Ce droit naturel est une idée qui rend possible la remise en cause du principe selon lequel le droit positif définit à lui seul ce qui est juste.

La hiérarchie des normes est présente dans notre système constitutionnel et inclut le droit naturel dans la constitution. Notre système juridique prévoit bien qu’au dessus des lois ordinaires et organiques, il est des principes qui définissent un ordre supérieur du droit : ainsi la constitution de la Vème République pose comme principes de droit ceux qui sont établis par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, complétés par le préambule de la constitution de 1946 ainsi que depuis quelques années par les droits et devoirs de la Charte de l’environnement. La constitution entend ainsi garantir entre autres droits fondamentaux des droits imprescriptibles et naturels de l’homme définis comme : la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression.

Lois et règlements peuvent être contestés au nom des principes portés par ces textes fondateurs, et ils peuvent désormais l’être légalement grâce à la toute nouvelle question prioritaire de constitutionnalité que nous avons évoquée. Si cette réforme donne de nouvelles garanties, il est cependant difficile de penser qu’elle peut les donner toutes.

En pratique, il faut donc préserver toute notre vigilance et considérer qu’en certaines circonstances, la nécessité de la désobéissance à la loi viendra de l’urgence à agir : quand la dignité de l’homme est menacée, quand les libertés fondamentales sont bafouées, quand la loi paraît servir des intérêts particuliers, quand l’inacceptable advient.

Comme dans l’objection de conscience, cette désobéissance en dernier recours, sera guidée par l’intime conviction de ce qui est juste. Mais à la différence de l’objection de conscience, elle entendra rendre public le procès de ce qui est juste et de ce qui ne l’est pas. Elle entendra engager un rapport de force salutaire avec les institutions pour faire valoir le sens supérieur du droit ainsi défendu. Cette urgence à agir contre la loi se fera d’abord pour autrui.

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En conclusion

Réfléchir aux conditions qui rendent possible et nécessaire la désobéissance aux lois dans un État de Droit traduit notre souci d’un idéal démocratique qui requiert le progrès continu des lois vers plus de justice.

Désobéir aux lois est un acte grave mais nécessaire en certaines circonstances exceptionnelles. Grave parce qu’il est la preuve d’un défaut de la démocratie institutionnelle, grave parce qu’il engage la responsabilité des désobéissants. Il ne s’agit certainement pas de prôner la désobéissance. Mais l’envisager comme dernier recours c’est avoir le courage d’engager tous les moyens pour être collectivement responsable de la loi.

Paradoxalement, il faut sans doute considérer la tolérance d’un régime démocratique à une certaine dose de désobéissance comme le signe de la vitalité de l’esprit démocratique et l’expression ultime de la souveraineté d’un peuple qui entend rester vigilant pour défendre la liberté, l’égalité et la fraternité.

A.S.: