Voici une contribution « humaniste » de la Grande Loge Indépendante de France (GLIF) sur :
L’homme : un empire dans un empire ?
À l’encontre des théories fixistes, catastrophistes et créationnistes, Darwin, en affirmant que tous les vivants descendent de formes inférieures, plus simples, selon la loi de la Sélection Naturelle, affirme du même coup que l’homme descend, lui aussi, de formes inférieures. Loin d’être une créature de Dieu achevée de tout temps ou plus simplement apparu immédiatement comme tel, l’homme est, selon cette théorie, le produit d’un processus naturel, de lois physiques, au même titre que tout le règne du vivant.
L’Homme fut tout d’abord totalement exclu du règne animal pour des raisons religieuses. En effet dans la Genèse, la Bible place l’homme à part, supérieur aux animaux. Puis au fil du temps, toutes les similitudes entre les êtres vivants ont permis de poser l’hypothèse d’une origine commune à toutes les espèces, toutes les différences résultant de l’évolution.
Rappelons que l’Homme est un vertébré et un mammifère. De nombreuses méthodes permettent actuellement de préciser les liens de parenté existant entre les différents groupes de vertébrés.
Quelle est véritablement la place de l’Homme au sein des mammifères, dans le règne animal ?
Les espèces sont regroupées sur la base de ressemblances partagées : genres, familles, ordres, classes, embranchements et règnes.
Mais l’homme n’est-il qu’une espèce parmi d’autres ? La question semble plutôt de savoir si entre le règne animal et le règne humain, il y a une différence radicale, un saut qualitatif, si l’homme se sépare de l’animalité.
Le sujet qui nous occupe pose la question de la légitimité de cette distinction, c’est-à-dire du droit. De quel droit affirmerait-on pareille distinction ? Autrement dit, au nom de quels critères ? Il va de soi qu’ici, la légitimité relève de la connaissance, et plus précisément de la connaissance scientifique.
Mais on peut également penser que la question elle-même est légitime, parce qu’elle met en jeu certaines valeurs. En effet, pourquoi se pose-t-on cette question ? N’est-ce pas parce que notre comportement à l’égard des hommes et à l’égard des animaux dépend de la réponse ? Que se passerait-il si nous venions à affirmer qu’entre l’homme et la bête, il n’y a pas de différence ? La question serait donc légitime en ce sens qu’elle a une portée morale et philosophique.
Bien sûr, au travers de cet intérêt pour l’animal, c’est la question de l’homme :
Qu’est-ce qu’un homme ? L’homme est-il un animal incomplet ?
Le dieu de Délos prit la noire figure d’un corbeau ; Bacchus se cacha sous la forme d’un bouc; on vit Diane se changer en chatte ; et Junon en génisse. Vénus se couvrit de l’écaille d’un poisson, et Mercure emprunta les traits et l’aile de l’ibis, etc.
Malgré le profond sentiment d’unité qui lie l’Égyptien au monde animal, les animaux ne sont pas pour autant divinisés ; ils manifestent des caractéristiques des dieux, ils leur servent d’incarnation. Néanmoins, il arrive qu’une divinité puisse « résider dans le corps d’un animal », en faire ainsi « une image vivante du dieu » et le rendre sacré. C’est le destin du taureau Apis.
Les Égyptiens ne croyaient pas que ces formes hybrides étaient des figures réelles, mais ils les utilisaient pour représenter une combinaison de pouvoir : le pouvoir humain et le pouvoir animal, l’incarnation du divin dans des formes animales, procurent un double bénéfice pour le peuple égyptien : elle rend sensibles les dieux avec leur/s caractéristique/s prééminente/s, et elle permet de rendre intelligible la nature, y compris dans ses tensions immanentes, voire ses contradictions. En effet, les alliances opérées entre animaux, dieux et déesses proviennent d’une observation fine des capacités, des habitudes et du comportement des diverses bêtes.
Du point de vue théologique, les animaux sont tous chrétiens, avant d’être animaux : « Peut-être que, de la même façon que Dieu a créé l’homme à son image et ressemblance, il a créé aussi les autres créatures selon la ressemblance de certaines figures célestes » (etiam ceteras creaturas ad alias quasdam caelestes imagines per similitudinem condidit).
Cette suggestion (platonicienne) d’Origène[1], extrapolée de Ge 1,26 et de Mt 13,32, exprime ouvertement un postulat plus général, selon lequel les animaux témoignent de la bonté du Créateur et sont des porte-parole de la foi.
La théologie interprète le monde à partir de la révélation, et le monde interprète la vérité chrétienne à partir de la création. Ce double sens de l’exégèse transparaît dans le Physiologos (une œuvre qui se trouve au carrefour de plusieurs traditions : la zoologie grecque, l’ésotérisme égyptien, la mystique juive…) à travers la formulation même du rapport entre les deux dimensions du réel. Le plus souvent le texte dit que l’animal « prend ou reçoit le visage » du Christ ou du diable, qu’il « joue un rôle » ou qu’il « renvoie » à une réalité spirituelle ; mais le rapport est parfois inversé et ce sont les acteurs spirituels qui « reçoivent le visage » des animaux et les « représentent ».
Plusieurs civilisations ou spiritualités ont sacralisé des animaux. Finalement, la désacralisation de certains animaux fut, dans le monde occidental, un processus de fond pluriséculaire.
« Dieu dort dans le minéral, rêve dans le végétal, s’éveille dans l’animal, pense et aime dans l’homme[2]. »(Père Monier)
D’autres phénomènes ont également contribué à détacher les animaux du divin.
Hormis quelques exceptions, ce n’est pas le cas de la Franc-maçonnerie. On ne voit à cela aucune explication éclairante. Le Siècle des Lumières a prodigué les marques d’admiration au règne animal. Buffon, Lamarck, Daubenton sont des gloires nationales. Les “Fables” de la Fontaine restent lues et décryptées dans les écoles. Mais chez les animaux règne la loi du plus fort.
Serait-ce la cause de cette curieuse exclusion ?
Pourquoi si peu d’animaux en Maçonnerie ? La question m’a interpellé. En effet, l’ordre de la Nature, de façon générale, est tout sauf absent de nos rituels. Mais les animaux, eux, le sont.
Le règne minéral, lui, est massivement présent, notamment avec les références aux quatre éléments de la physique antique, terre, eau, air, feu. Avec aussi toute la thématique de la pierre. Brute, travaillée, polie. Le règne végétal y a aussi une place majeure. Du premier grade au deuxième, on passe au végétal.
En revanche, pas de place pour le règne animal, comme si l’animal était banni, refoulé, exclu tant de nos rituels que de nos principaux symboles. Nos amies les bêtes n’auraient-elles pas droit de cité en maçonnerie ? Même les animaux les plus usuels et les plus chers à nos foyers, les chiens, les chats par exemple, nous n’en trouvons guère dans nos textes[3].
Comment expliquer dès lors que la Maçonnerie naissante n’a pas repris, amplifié, développé les conceptions scientifiques de l’époque de Charles Robert Darwin.
Toutefois, toujours la même question : pourquoi aucune trace de tout cela en Maçonnerie ?
C’est là que la lecture de la phrase de Jean-Noël Pascal (Professeur à l’Université de Perpignan de 1994 à 1999) s’avère éclairante : « Au pays des fables, quand il s’agit d’instruire les hommes, rien ne saurait remplacer les animaux. » et n’oublions pas cette citation pour rappeler l’évidence comme le remarque naïvement Richer (1729), « il ne manque que la parole », et n’omettons pas celle-ci de Jean de la Fontaine : « Je me sers d’animaux pour instruire les hommes. »
Jean de la Fontaine.
Et encore, Condillac a publié en 1755 : « Il serait peu curieux de savoir ce que sont les bêtes, si ce n’était pas un moyen de connaître mieux ce que nous sommes »
Étienne Bonnot de Condillac, abbé de Mureau, philosophe, écrivain, académicien
La question de l’intelligence animale avait préoccupé de nombreux philosophes et savants, parmi lesquels Aristote, les épicuriens, les stoïciens et Montaigne. Ce débat profite d’un vif regain d’intérêt au XVIIe siècle, favorisé en cela par le progrès des sciences naturelles et physiques. Sa résurgence n’est pas non plus étrangère à la diffusion de la pensé cartésienne.
S’il est des traits comportementaux caractéristiques de la Nature des animaux, ce qui veut dire aussi des traits déterminants, pourquoi les hommes ne seraient-ils pas, eux aussi, déterminés par des caractéristiques essentiellement naturelles ?
La pseudo culture humaine et l’idéal éclairé qu’elle porte ne seraient donc qu’illusoires et bien fragile enveloppe. Par voie de conséquence, tout idéal éducatif ne serait-il pas suspect d’illusion ? Sauf à le réduire, comme pour les animaux, à du dressage ?
Le Maçon doit-il échanger avec l’animal et rechercher son parcours dans sa marche vers la lumière. Tout naturellement, il important de rappeler que la tradition abrahamique, en passant par la Bible via le Coran, rapporte que le roi Salomon, a obtenu de Dieu le don de parler la langue des oiseaux et des animaux (1R, 4,33 ; Coran 27, 16). Ces derniers ont donc nécessairement leur place dans le grand projet maçonnique de construction du Temple ou toute création est conviée, cette même génération que Noé a hébergée dans son Arche.
Du coq du cabinet de réflexion à l’aigle à une ou deux têtes en passant par le Pélican etc., les animaux, bien que rares, sont symboliquement présents dans la franc-maçonnerie. En cela ils nous rappellent que l’observation de la nature est riche d’enseignements sur notre humaine condition. Prenons garde cependant à ne pas trop humaniser la nature, au risque de dénaturer l’humanisme
« Assemblée de nouveaux Francs-Maçons pour la réception des Apprentis et Compagnons ».
Dédié au très Galant, très Sincère et très Véridique frère profane Léonard Gabanon, auteur du Catéchisme des francs-maçons.
Gravure représentant une tenue d’initiation.
Les membres sont représentés sous forme de différents animaux revêtus de décors maçonniques. Époque XVIIIe.
[1]Origène, in Commentaires sur le Cantique des Cantiques, 208, 14-16 (à vérifier). [2] Prospère Monier, Jésuite, 1886-1977, in Miettes Spirituelles. [3]À une remarquable exception, le chien, dans un rituel des Hauts Grades du Rite Français, dont le rôle est déterminant dans l’ésotérisme de ce grade.
Avril 2022 www.glif.fr