L’attentat déjoué contre une Loge de Thionville a inspiré quelques réflexions à Jean-Noël Cuénod qu’il a publiées sur ses blogs de Médiapart, Tribune de Genève et personnel http://www.jncuenod.com
Franc-Maçonnerie, cible du Ramassis Identitaire
La police française vient de déjouer un attentat. Un groupe de néo-nazis appelé « Honneur et Nation » visait une Loge maçonnique de Thionville et l’ancien Grand-Maître du Grand Orient de France, Jean-Philippe Hubsch. L’extrême-droite ressort donc le vieil épouvantail du « complot Maçonnique ». Vieux, pas tant que ça, puisqu’il ressort périodiquement ! Et les ennemis de la Maçonnerie sont légion.
Six personnes ont été interpellées dont trois ont été mises en examen pour « association de malfaiteurs terroriste criminelle » et placées en détention provisoire. Les experts estiment entre 1000 et 1500 le nombre de militants de l’ultradroite de l’extrême-droite (pour les faits, lire ici).
Ce faisant, ces néo-nazis marchent sur les traces poisseuses de leurs aînés. Mussolini, Hitler, Franco ont toujours persécuté les Francs-Maçons, comme Staline d’ailleurs. Plus récemment, le mouvement catho intégriste Civitas s’était attaqué au siège du Grand Orient de France (Obédience, c’est-à-dire fédération de Loges maçonniques) en marge des manifs contre le mariage pour tous. Et nombre de Loges ont subi des déprédations en France.
Pourquoi tant de haine ?
Pourquoi tant de haine et pourquoi s’exprime-t-elle maintenant ? Hasardons cette hypothèse. Nous subissons collectivement un double mouvement : d’une part, les objets technologiques avancent à pas de géant ; d’autre part, la régression morale poursuit sa chute à une vitesse tout aussi vertigineuse, entre les violences urbaines, les lynchages médiatiques, la démagogie qui encrasse la démocratie jusqu’à risquer de la mettre en panne.
Du gouffre créé par cette double spirale, des monstres anciens surgissent avec des formes nouvelles qui se nourrissent, façon vampire, de l’angoisse sociale et du sentiment d’impuissance individuelle qui prévalent aujourd’hui.
Dès lors, la tentation est grande de calmer ce mal-être avec les cachets de l’identité qui réduisent l’individu à l’appartenance à son troupeau ethnoculturel. Par conséquent, le contraire de la crispation identitaire – à savoir l’ouverture universaliste – est perçu comme une hérésie à combattre et un danger à parer.
L’humain libre de ses choix
La pensée universaliste considère l’individu comme un être autonome et libre de ses choix. Certes, il appartient à une famille, un pays, une ville, une commune, une culture, une classe sociale et il peut adhérer à un parti politique, à une institution religieuse, à des convictions philosophiques. Pour autant, il n’a pas abdiqué sa liberté de conscience et son libre-arbitre pour être réduit à l’état de rouage dans une machine. Il n’est pas qu’un membre de sa communauté ethnoculturelle ou de sa classe sociale. Pour la pensée universaliste, l’être humain est plus que la somme de ses appartenances.
De cette vision, la Franc-Maçonnerie est l’un des principaux vecteurs depuis plus de trois siècles. C’est pourquoi, tous les pouvoirs, toutes les institutions, tous les partis qui font de l’appartenance identitaire leur fond de sauce – du pouvoir papal jusqu’aux dictatures rouges, brunes et islamistes– l’ont toujours combattue, la combattent maintenant et la combattront encore.
Face à lui-même
Le Franc-Maçon est face à lui-même lorsqu’il se pose les questions qui taraudent l’humanité depuis la nuit des temps, à savoir : pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? La mort a-t-elle vraiment le dernier mot ? Quid de L’Eternité ?
La Franc-Maçonnerie n’impose pas de prêt-à-penser, ni de slogans ni de dogmes intangibles. L’enseignement qu’elle propose est fondé sur les associations de pensées suscitées par le langage des symboles et vivifiées par des rituels qui placent le Franc-Maçon dans un état de conscience propre à faire surgir en lui des hypothèses en guise de réponses aux grandes questions du destin humain. Des hypothèses qui évolueront et changeront radicalement selon son évolution strictement personnelle. Nul, gourou, nul mot d’ordre.
A l’opposé, les obsédés de l’identité s’opposent, par la violence le cas échéant, à tous les humains qui ne se contentent pas de rester au creux du moule. Dans leur vision, l’individu est prisonnier de son essence (une essence fantasmée) et ne saurait en sortir sans trahir le troupeau. Tout ce qui le rend libre est suspect, pour le moins, et supprimable, pour le plus. Cette vision a toujours été partagée par les mouvements nationalistes, fascistes et nazis. On peut aussi y ajouter le stalinisme qui faisait de chaque individu un membre d’une classe sociale dont il ne pouvait pas s’extraire (même si Lénine et Marx n’avaient rien de prolétaires !).
Et à gauche ?
Aujourd’hui, des franges de l’extrême-gauche défendent des thèses dite « racialistes » qui relèvent du même mode de penser. A rappeler, l’UNEF qui a interdit certaines réunions à des militants uniquement parce qu’ils appartenaient à la « race »[1] blanche réputée esclavagiste. Cette petite partie de l’extrême-gauche fait non seulement le jeu de l’extrême-droite mais elle le joue !
Cela dit, on ne saurait confondre les uns avec les autres. Cette extrême-gauche dite « racialiste » n’a pas démontré de propension à sombrer dans le terrorisme. Mais il y a une parenté de pensées entre les thèses « racistes » et « racialistes » qui ne peut qu’inquiéter.
Les Francs-Maçons et les « affaires »
La Franc-Maçonnerie doit affronter aujourd’hui un Ramassis Identitaire formé de ces ennemis anciens, fascistes, nazis, religieux intégristes et nouveaux, le Hamas, les islamistes, la mollarchie iranienne.
D’aucuns s’échinent à monter en épingle des affaires frauduleuses dans lesquelles des francs-maçons auraient trempé. L’aura mystérieuse créée par une mauvaise interprétation du « secret maçonnique »[2] excite l’intérêt. D’où l’erreur d’optique qui fait que l’on se souvient plus des méfaits commis par des Maçons pas toujours francs que par d’autres.
Or, « lorsqu’il y a de l’homme, il y a de l’hommerie » disait, fort justement, Saint-François-de-Salles. Les « brebis galeuses » broutent toutes les pâtures et s’abritent dans toutes les écuries : partis politiques, groupes économiques, armées, polices, clubs de foot, ONG, réseaux d’anciens élèves des grandes écoles, Eglises… La Franc-Maçonnerie n’échappe pas à ce phénomène, même s’il ne concerne qu’une très modeste part de ses adeptes, même si les Loges nettoient souvent leurs écuries plus rapidement que d’autres.
A l’évidence, ces « affaires » ne sauraient, à elle seule, alimenter la haine contre la Franc-Maçonnerie. C’est le caractère foncièrement universaliste de cette entité initiatique qui la déchaîne.
Vous couvez peut-être des préjugés défavorables vis-à-vis de la Franc-Maçonnerie. Mais sachez que lorsqu’elle est attaquée, c’est votre liberté individuelle qui fera partie des dommages collatéraux.
Jean-Noël Cuénod
[1] A relire pour déconstruire l’idée de « race » les œuvres des généticiens André Langaney et Albert Jacquard.
[2] Le « secret maçonnique » est par nature intransmissible puisqu’il s’agit d’une forme de conscience née à l’intérieur de chaque franc-maçon au cours de son processus initiatique, forme de conscience qui lui est propre.