L’émission du 12 avril 2022 de France Culture, LA GRANDE TABLE IDÉES par Olivia Gesbert abordé le sujet des servitudes avec Boris Cyrulnik, neuropsychiatre, auteur de « Le Laboureur et les Mangeurs de vent » (Odile Jacob, 16.03.22).
Boris Cyrulnik : comment combattre nos servitudes volontaires ?
Boris Cyrulnik est neuropsychiatre, auteur d’ouvrages à succès, dont Sauve-toi, la vie t’appelle (Odile Jacob, 2012), La nuit, j’écrirai des soleils (Odile Jacob, 2019) et Des âmes et des saisons : psycho-écologie (Odile Jacob, 2021)… Il a popularisé le concept de « résilience », soit la capacité à renaître d’un traumatisme.
Il publie Le Laboureur et les Mangeurs de vent. Liberté intérieure et confortable servitude (Odile Jacob, 16 mars 2022). Un ouvrage qui fait la distinction entre les « laboureurs » , qui acceptent le doute, la recherche, qui ont un vrai rapport au réel, et les » mangeurs de vent « , qui se soumettent aux discours des chefs autoritaires, acceptent l’emprise tranquillisante et se mêlent au groupe. Au rang des laboureurs qui cultivent la « liberté intérieure », on trouve ainsi Hannah Arendt, théoricienne de « la banalité du mal ». Parmi les « mangeurs de vent », Adolf Eichmann ou Josef Mengele.
Une distinction qui entre fortement en écho avec la guerre en Ukraine et les discours de Vladimir Poutine, dont Boris Cyrulnik refuse de ranger les actes sous l’étiquette de la folie. On avait aussi justifié les actes d’Hitler par la syphilis, rappelle-t-il.
Surtout, la guerre en Ukraine déterre des souvenirs enfouis de son enfance . L’imminence de la catastrophe, la mort le ramènent à cet épisode où, juif sous Vichy, il avait été enfermé avec d’autres dans une synagogue de Bordeaux et condamné à mourir. Sa fuite rocambolesque lui avait permis de s’en sortir. L’impossibilité ensuite de raconter son histoire à des adultes lui intimant le silence avait rendu difficile le processus de reconstruction.
Ce traumatisme a façonné sa vision du monde. En effet, Boris Cyrulnik explique que la période préverbale de l’enfance est le moment où s’élabore une vision du monde. Il y a des enfants qui apprennent à voir un « monde sucré, d’autres un monde rose, d’autres un monde amère« . Pour lui ça a été « un monde clivé, coupé en deux » entre ceux qu’il appelle les « mangeurs de vent qui gobent n’importe quel récit, quitte à tuer des gens » et les laboureurs, qu’il définit comme des « justes, qui échappent à la pression du contexte et cherchent à rester eux-mêmes dans un torrent de stéréotypes.«
Mais penser par soi-même, s’opposer à la « doxa« , refuser le « coude à coude délicieux » comporte un risque, celui de perdre ses amis. C’est la condition des laboureurs qui détiennent un » savoir enraciné « , de terrain, contrairement aux mangeurs de vent qui ont un » savoir déraciné « , coupé du réel et du sensible.