Les femmes sont aujourd’hui encore absentes de la plupart des loges maçonniques. Peu d’arguments rationnels peuvent être invoqués pour justifier une telle exclusion. Celui de la tradition, le plus répandu, ne vaut que pour les Constitutions d’Anderson, aucune exclusive ne figurant explicitement dans les Anciens Devoirs des maçons. L’initiation d’Elisabeth Aldworth St Leger dans une loge irlandaise a sans doute une valeur plus symbolique qu’historique en raison de son caractère insolite. Néanmoins elle n’a jamais été contestée par les maçons irlandais de l’époque, même si elle a certainement encouragé la plupart des « frères » dans leurs certitudes plutôt que de les inciter à renouveler l’expérience. Depuis, les femmes sont devenues maçonnes, tout d’abord dans des loges d’adoption, puis dans des loges spécifiquement féminines ou mixtes.
Les loges d’adoption ont parfois été considérées comme une maçonnerie de substitution, sous tutelle, ou comme un lot de consolation. Il serait pourtant erroné de minimiser leur importance et la signification qu’elles ont eu en leur temps, comme l’ont récemment montré en particulier Margaret Jacob et Janet Burke. Ces loges d’adoption qui ont vu le jour en Hollande puis en France à l’époque des Lumières sont certes caractéristiques des limites de l’engagement des femmes à cette époque, en raison de son caractère très élitiste et aristocratique. Elles ont cependant véhiculé un certain nombre de valeurs, ne serait ce que par leurs rituels, et accordé aux femmes une place sans précédent dans la sphère publique, comparable aux salons. Ces loges se sont-elles contenté de refléter la société de leur temps ou bien ont-elles anticipé certaines évolutions et contribué à l’émancipation des femmes ? Dans quelle mesure sont elles emblématiques de la sociabilité des Lumières ? De façon significative ces loges d’adoption se sont éclipsées en même temps que les Lumières, pour renaître sous une forme bien différente au siècle suivant aux Etats-Unis (Eastern Star). Le monde maçonnique du dix-neuvième siècle fut presque exclusivement masculin. Il serait intéressant de chercher les raisons d’une telle absence féminine. Il faut attendre la fin du dix-neuvième siècle, avec des femmes telles qu’ Annie Besant, Madame Blavatsky, Maria Deraismes, Clémence Royer ou Louise Michel pour retrouver une présence féminine dans les loges, parfois, on le vérifie avec Annie Besant, en liaison étroite avec la Société Théosophique.
Nous nous attacherons à identifier les évolutions de l’engagement féminin d’une part à travers la maçonnerie mixte, apparue à la fin du XIXe siècle, et à travers les obédiences spécifiquement féminines, qui ne datent que du XXe. Toutes ces femmes ont combattu pour l’égalité, mais certaines ont espéré y accéder au sein de structures mixtes et d’autres par des voies autonomes. Nous nous intéresserons à ces choix en matière d’organisation et de rituels ainsi qu’à la composition sociale des loges mixtes et féminines. Nous nous interrogerons sur leur ouverture sur la société ou au contraire sur leur volonté de discrétion, sur la nature de leurs travaux. Ces obédiences se sont développées dans certains pays uniquement, nous tenterons d’entrevoir pour quelles raisons. Nous évoquerons à la fois les organisations maçonniques en tant que telles et les trajectoires individuelles.
Nous tenterons de déterminer le poids des différents facteurs dans ces exclusions :
-le facteur culturel, social et politique : y a-t-il un lien direct entre le développement des obédiences mixtes et féminines, les avancées sociales en matière d’émancipation de la femme, la force des courants féministes aux XX et XXIe siècles ? Pourquoi le Royaume Uni, pays des Suffragettes qui a accordé aux femmes le droit de vote bien avant la France, pourquoi les pays scandinaves si soucieux des droits de la femme, ont-ils un tel retard en matière d’initiation féminine ?
– le facteur religieux : peut on observer des comportements différents en fonction des religions ? La question de l’initiation féminine s’est t elle posée de façon spécifique dans les pays catholiques, protestants, islamiques ou orthodoxes ?
– le facteur maçonnique : la ligne de fracture entre franc-maçonnerie latine et franc-maçonnerie anglo-saxonne, date de 1877 et de la décision du Grand Orient de France d’accorder une pleine liberté de conscience à ses membres et de ne plus imposer la croyance en Dieu. Or curieusement, elle se traduit également en termes d’exclusion ou de reconnaissance des femmes, même s’il convient immédiatement de nuancer le propos en ce qui concerne les obédiences dites « latines ».
Il existe aujourd’hui plusieurs degrés d’exclusion : les femmes peuvent être considérées comme non initiables, c’est encore formellement le cas au Royaume-Uni, aux USA et dans toutes les obédiences qui font allégeance à la Grande Loge Unie d’Angleterre, ou encore dans les Grandes Loges noires de Prince Hall. Dans d’autres cas, la présence des femmes est acceptée et même encouragée, mais dans des structures qui ne sont pas reconnues comme maçonniques bien qu’elles soient considérées comme au service des loges masculines grâce à leur actions charitables : c’est le cas des chapitres de l’Eastern Star. Les Women Freemasons ne sont toujours pas reconnues officiellement par la Grande Loge Unie d’Angleterre. Enfin les obédiences dites latines sont elles mêmes divisées sur la question de l’admission des femmes. Certaines sont mixtes, d’autres se posent la question de la mixité, d’autres encore la refusent par principe.
Peut on parler d’universalisme maçonnique ou bien la franc-maçonnerie est elle déterminée par le genre ? Il conviendra de s’interroger à la fois sur les raisons de l’exclusion des femmes, sous toutes ces formes, avec toutes ces nuances, et sur la spécificité de la franc-maçonnerie féminine dans le temps et dans l’espace, des premières loges à celles d’aujourd’hui en Europe, en Asie et dans les Amériques. Nous pourrons également nous interroger sur le regard que les féministes ont porté sur la franc-maçonnerie, à la fois sur les loges d’adoption et sur la franc-maçonnerie contemporaine. Nous encouragerons donc la diversité d’approches, et souhaitons que le champ historique et géographique couvert soit le plus large possible afin de mettre à jour tant les différences que les similitudes et de comprendre les évolutions.
Télécharger le programme : programme_les_femmes_et_la_franc_maconnerie_17_19_juin_2010